Plus d’une centaine de participants s’étaient donc donné rendez-vous les 25 et 26 mars dans les locaux soignés de l’École (nationale) de la Marine marchande de Marseille, par un temps rappelant plus celui de la façade Atlantique.
Professeur de l’enseignement maritime, Jean-Pierre Clostermann ouvrait le dossier d’autant plus aisément qu’il vient de publier un ouvrage sur le sujet
Jean-Paul Clostermann rappelait donc quelques données de base: l’homme est un « agent de fiabilité » du transport maritime, mais il est faillible; ce dont la conception des systèmes doit tenir compte.
La préparation d’un navigant passe donc par plusieurs étapes: la sélection (quels critères?); la formation à l’outil technologique; la formation aux facteurs humains qui est l’objet du cours sur la gestion des ressources passerelle; l’entraînement et l’acquisition d’expérience; le maintien des compétences et de la motivation; celle-ci n’ayant pas fait l’objet de commentaires sur les moyens de la conserver. La gestion des ressources passerelle est actuellement enseignée en 15 h. Avec la nouvelle version de STCW qui devrait être adoptée en juin 2010, il serait question de monter à 24 h d’enseignement, notait Jean-Pierre Clostermann, « mais les résultats de cet enseignement seront aussi décevants que ceux de l’apprentissage de l’anglais, si la pédagogie employée reste inchangée. Il faudrait envoyer des sortes de messages subliminaux à chaque cours nautique. Les pièges ou les limites du système technique doivent être enseignés à chaque instant ». Les vraies questions que l’élève officier doit être amené à se poser seraient les suivantes: « Que puis-je faire, moi, opérateur confronté à des limites cognitives avec cet appareil? Dans quelle mesure cet appareil peut-il devenir pour moi une aide à la navigation? Dans quelles circonstances peut-il être dangereux, par excès de complexité, par défaut d’ergonomie ou autre? »
Vive la low technology
Représentant Louis Dreyfus Armement, Hervé Lapierre expliquait comment son armement avait intégré le facteur humain dans la conception de la passerelle et du système de conduite de la machine. Dans le premier cas, LDA ne souhaite plus avoir de passerelle intégrée. Un système dont les inconvénients l’emportent sur les avantages: une « complexité qui demande une formation spécifique; une gestion d’alarmes difficile; une informatique basique donc non fiable et des jeunes officiers qui regardent plus les écrans que le plan d’eau ». Encore faut-il que le chantier accepte d’installer des équipements classiques.
En ce qui concerne la conduite de la machine, LDA distingue entre les navires devant effectuer de longues traversées ou être armés par un équipage « non-européen » et des unités à forte activité de conduite (cabotage ou navires de travail): dans le premier cas, LDA continue à faire simple à comprendre, et réparer, même si de nombreux chantiers européens ne proposent plus cette option. Dans le second cas, il passe à un système informatisé, soutenu par une redondance généralisée et conçu de façon à ce qu’il lui soit « impossible de tomber en panne ». LDA choisit donc la « Rolls des systèmes informatisés ».
Ne pas se prendre pour le demi-dieu des sous-marins
Ancien commandant de sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) et instructeur de futurs commandants, le capitaine de vaisseau Fabrice d’Ornano expliqua que l’un de ses principaux objectifs était de « provoquer l’autocritique » chez ses stagiaires; « ne pas se prendre pour un demi-dieu, mais se rendre accessible », car le commandant d’un SNA est aussi faillible que n’importe qui. Et seule l’écoute de l’autre peut rattraper une erreur d’appréciation. Ainsi après divers tâtonnements, la responsabilité d’un sous-marin est-elle confiée à un binôme constitué par le commandant et le second, « son chien de garde ». La culture du point d’arrêt est encouragée: il s’agit, quand les circonstances le permettent, d’organiser une réunion de 15 minutes avec l’ensemble de l’encadrement pour décider d’une action importante. Malheureusement, la formation « trop scolaire, trop académique » des jeunes officiers de la Marine nationale ne facilite pas l’émergence de la critique vis-à-vis de décisions prises par un supérieur hiérarchique. Celui-ci doit combattre tout « surégo » ou « toute aura » qu’il pourrait avoir vis-à-vis de l’équipage.
L’incapacité à remettre en cause une décision du supérieur hiérarchique relative à la sécurité du mobile n’est pas propre aux jeunes officiers de Marine nationale, à en croire Jean-Philippe Barat, directeur des formations aux facteurs humains. En procédure de décollage, un avion d’Air France ne passe pas loin d’une collision. Le commandant en titre était aux commandes; commandant, qui plus est, instructeur. Le copilote qui l’assistait, « au garde-à-vous », n’a pas osé exprimer le doute qu’il avait relatif au contenu exact d’un message de la tour de contrôle. Après débriefing, le message autorisait l’entrée sur la piste de décollage et non pas le décollage. Jean-Phillipe Barat évoquait le fameux « gradient hiérarchique » qui fait que certaines personnes ou certaines nationalités respectent plus ou moins aveuglement la décision du supérieur. En France, ce gradient est très élevé dans la sécurité aérienne. Il est très faible en Grande-Bretagne, soulignait Jean-Phillipe Barat.
Dans la marine marchande, le gradient hiérarchique est très élevé chez les navigants philippins, estimait Jean-Pierre Clostermann, lors d’une conversation privée. « Il est hautement improbable qu’un timonier philippin remette en cause un ordre aberrant d’un lieutenant européen. Cela est étranger à sa culture ou à sa formation maritime quasi-militaire ». Un paquebot français a ainsi fini sur le corail au Sud de l’île Nevis. Contrairement au maritime, le transport aérien encourage depuis des années la remontée, sans risque, d’informations sur les quasi-accidents. Le DG d’Air France s’engage même par écrit à ce « qu’Air France n’entame pas de procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent qui aura spontanément et sans délai révélé un manquement aux règles de sécurité dans lequel il est impliqué et dont Air France n’aurait pas eu connaissance autrement. »
D’ailleurs, Éric Levert, directeur adjoint des Gens de mer et de l’enseignement maritime, se posait la question de savoir comment faire pour que les quasi-accidents maritimes remontent et soient analysés.
Christine Chauvin, maître de conférence à l’Université de Bretagne Sud (UBS), fit remarquer que la gestion des ressources humaines dans les cockpits d’avion existe depuis une vingtaine d’années mais que la profession s’interroge actuellement sur sa réelle efficacité.
Les Pays-Bas peuvent estimer les conséquences de leurs décisions
Ancien officier au pétrole, Cess Muijskens souligna tout le bien que l’on pouvait penser du simulateur de conduite du navire installé à côté de l’Institut maritime Willem Barentszde situé sur l’île de Terscheling. Tous les types de navires et toutes les conditions nautiques peuvent y être simulés. Plus le stage est long, plus cela valide des jours de navigation à la mer. Ainsi 15 jours de simulateur représentent-ils 60 jours de navigation réelle. « Il faut cependant prendre garde à ce que les stagiaires ne considèrent pas cette formation comme un jeu vidéo ».
Ce simulateur peut avoir une tout autre application, bénéfique aux marins pêcheurs français: en y enfermant deux officiers néerlandais, de préférence âgés, durant deux semaines, au rythme quotidien de deux fois six heures de conduite en mer du Nord, en hiver, auxquelles s’ajouteront deux à trois heures de travail administratif, le temps de sommeil étant accompagné de bruits divers simulant la « vraie vie », les Pays-Bas pourraient se rendre compte des conséquences de leurs décisions en matière d’armement de leurs caboteurs: le commandant de l’Arklow-Ranger (néerlandais) aurait peut-être pu éviter le Pépé-Roro (deux morts et un disparu); et celui de l’Artemis, de finir sur la plage des Sables d’Olonne. Cela serait également bénéfique à la charge émotionnelle des autorités britanniques très agacées par l’état de fatigue des équipages des caboteurs (JMM du 12/3/2010; p. 7).
Est-il préférable d’être fatigué, stressé, nostalgique ou de s’ennuyer à bord? Faute d’études françaises sur ces états psychologiques, le docteur Jegaden, également maître de conférence de l’UBS, s’est gardé de répondre, renvoyant prudemment aux études britanniques sur ces sujets. Il estimait cependant que l’ennui était probablement générateur d’addictions aux jeux, à l’usage d’internet, à l’alcool ou aux drogues.
Et dire que dans l’immense majorité des cas, les navires arrivent à destination avec des équipages au complet. Incroyable.
La conduite du navire marchand, facteurs humains dans une activité à risque. Éditeur InfoMer
Côté scène, côté cour
En débutant sa synthèse des présentations, Bernard Dujardin, président de l’Association des amis de l’Université maritime mondiale, a salué Henri Poisson, en sa probable qualité de futur directeur général de l’École nationale supérieure maritime, ENSM. Actuellement, Henri Poisson est directeur régional des Affaires maritimes. Il pourrait être remplacé par Pierre-Yves Andrieu, actuellement en poste aux Antilles et ancien conseiller mer de Dominique Perben.
La rumeur relative au nom du futur président de l’ENSM s’est élargie: Eudes Riblier ne serait plus seul. Thierry Buzulier, ex-DRH du groupe Bourbon, serait également sur les rangs; ce qu’il dément. « J’ai honte de l’attitude de la France envers l’Université maritime mondiale », expliquait publiquement Francis Vallat, président de l’Institut français de la mer et du cluster maritime français. En toute discrétion, la France a décidé de mettre fin au soutien financier qu’elle accordait à l’UMM. L’unique professeur français en poste à Malmö revient en France, sans être remplacé. « La France s’affirme de nouveau comme une nation maritime », lit-on dans le Livre bleu sur la stratégie maritime nationale. Tout va bien.
« Je ne mettrai pas les pieds sur les ferries “XXX” qui font escale à Marseille » soulignait, devant des fonctionnaires français spécialisés, Chantal Henry, consultante dans la gestion de crise à bord de navires à passagers. Les espaces publics de certains de ces ferries présentent des goulots d’étranglement qui seraient fatals en cas de mouvements de foule, devait-elle préciser. Sujet d’un prochain colloque? La sécurité maritime est-elle compatible avec le maintien de bonnes relations Nord-Sud Med?
« Nous avons du prendre des dispositions pour que l’on ne retrouve plus de jeux vidéos installés sur les PC constituant la passerelle intégrée de nos navires » laissait comprendre, un peu las, le responsable de l’armement d’une compagnie exploitant des navires un peu délicats à manier. Dans son rapport 2005, le patron de la Maritime Accident Investigation Branch évoquait déjà l’intérêt que portaient aux jeux électroniques, quelques officiers durant leur quart à la passerelle. La rampe si tôt abaissée, commence le déchargement des camions embarqués sur certains ferries étrangers (de par leur immatriculation), constate avec admiration un opérateur. Il s’interroge toutefois sur le type de matériel de saisissage qui permet une pareille prouesse technique, à moins que cette rapidité trouve son origine dans une pratique d’exploitation plus discutable.
Le facteur humain dans la sécurité maritime semble échapper aux navigants. En effet, aucun syndicat de navigants n’est intervenu officiellement durant les deux jours.
Conçus de façon résolument « humano-décentrée », les écritoires instables de la grande salle de conférence de l’ENMM de Marseille ont fait environ une vingtaine de victimes qui durent rechercher à quatre pattes leurs documents. Un bon score en deux jours.
M.N.