Restée confidentielle pour des raisons politico-administratives obscures, cette première étude avait estimé que les premiers clients du « cold ironing » seraient probablement les rouliers, puis les ferries faisant des longues escales (ceux de la SNCM par exemple et non pas de SeaFrance ; JMM du 2-10-2009 ; p. 14 et 15).
Le complément d'étude présenté aujourd'hui pose le délicat problème de « qui paie quoi ? » et « qui supporte le risque financier ? ».
Les consultants (AJI-Europe et EFEC Consultants) rappellent que le « courant quai » existe principalement en Californie et en Europe du Nord pour une raison bien précise : la réduction des problèmes de pollution locale (et donc de l'hostilité de l'opinion publique locale envers les activités portuaires). En renforçant leur image verte, les places portuaires peuvent, à terme, espérer rester compétitives vis-à-vis des ports concurrents qui investissement dans ces systèmes, estiment les auteurs du rapport. Ce qui suppose que ces ports soient substituables, ce qui n'apparaît pas au premier coup d'oeil.
Actuellement, en France, existent deux projets de courant quai à horizon défini. L'un au Havre qui est monté en association avec Louis Dreyfus Armateur. Il s'agit d'un poste à quai pour ferry prévu pour 2011. À la même époque, Marseille devrait disposer de deux postes à quai ; un pour les ferries de la SNCM ; l'autre pour ceux de la CMN.
Monaco et Nice ont des projets dont la période de réalisation reste à déterminer.
Les atouts du courant quai sont les suivants, rappellent les consultants :
- un potentiel de réduction significative des émissions de CO2 et de polluants (NOx, SOx, particules) générées par les grands ports maritimes ;
- une bonne adaptation aux ports situés à proximité de zones à forte densité de population (centres-villes) où existe une forte pression environnementale ;
- une réduction des coûts environnementaux supportés par la collectivité ;
- dans le cas des ports français, un intérêt renforcé par le « mix énergétique » favorable de l'électricité produite.
Actuellement, c'est l'alternative la plus appropriée à l'utilisation du fioul BTS (basse teneur en soufre).
Mais les principaux freins à surmonter résident dans :
- la « concurrence » de plusieurs options technologiques alternatives (propulsion des navires au gaz naturel, traitement catalytique des fumées...). Toutefois, le courant quai est la seule option (en France) apportant une réponse globale pour l'ensemble des polluants ;
- l'attente de l'officialisation de la norme ISO/IEC (Publicly Available Specifications) ;
- la réduction des émissions par l'usage de fioul BTS présente un bon rapport coût/efficacité lorsque le prix du fioul BTS est faible.
- des problèmes possibles de capacité réseau pour l'alimentation en électricité des ports situés en bout de réseau ;
- des aides financières aux perspectives incertaines ;
- les réticences de certains armateurs qui attendent un retour sur investissement rapide. Compte tenu des incertitudes sur l'évolution des tarifs de l'électricité et du prix du fioul BTS, ils hésitent à investir.
Un retour sur investissement incertain
La mise en place du courant quai impose des investissements nouveaux (équipements TP, transformateurs, convertisseurs de fréquence...) qui ne se substituent pas aux équipements dont sont actuellement équipés les navires.
Un des leviers du développement du courant quai dépend donc du taux de retour sur ces investissements.
Ce taux est directement lié aux quatre facteurs principaux suivants : le taux d'utilisation des nouvelles infrastructures ; les coûts des investissements ; le différentiel entre le prix de vente de l'énergie réseau et le coût de revient de l'énergie produite à bord d'autre part.
Ces variables ont des degrés de stabilité différents, les deux dernières pouvant à long terme être convergentes.
Avec un taux d'utilisation de 50 % et un coût d'investissement des équipements à 0,7 M¤/MW installé, le point mort est atteint avec un prix du MDO de 488 ¤/t pour un prix du kWh quai vendu au navire de 0,06 ¤/kWh.
Ce point mort monte à 710 ¤/t lorsque le prix du kWh quai vendu au bord monte à 0,10 ¤/kWh.
Or le prix du MDO varie fortement et de manière peu prévisible. Entre mars 2009 et aujourd'hui, il a commencé à moins de 500 $/t pour dépasser les 700 en début d'année.
Sur les quatre principaux agents économiques impliqués (le gestionnaire de terminal, l'armateur, le fournisseur d'énergie et l'équipementier), deux prennent des risques importants, le portuaire et le transporteur maritime ; risques liés directement du prix de l'énergie fossile consommée par les navires.
ou du tout ou rien
Actuellement, deux approches existent dans le monde : l'approche « progressive » qui domine en Europe et en Asie avec l'utilisation d'un courant à 50 Hz ; et la « globale ».
La première vise à brancher à quai quelques types de navires (des ferries) sur un à deux postes à quai, pour un investissement « raisonnable » et en fournissant un courant à 50 Hz, donc sans besoin de convertisseur.
La seconde concerne tous les navires en prévoyant des convertisseurs 50/60 Hz ; tous les postes à quai d'un même terminal et en jouant sur les économies d'échelles.
Cette présentation sous-entend que l'approche progressive repose sur une volonté commune de l'armateur et de l'autorité portuaire d'aller dans le sens d'une réduction des émissions. L'approche globale peut être plus autoritaire : l'autorité publique exigeant pour autoriser l'escale
que le navire soit branché à quai.
Les contextes sociétaux sont cependant différents : en Californie, tous les projets d'extensions portuaires étaient bloqués par la population locale forte de 18 millions d'habitants, rappelait Jacques Charlier, il y a juste un an lors d'une présentation faite à l'invitation de l'INRETS (JMM du 3/4/2009 ; p. 13). Long Beach et Los Angeles étant des ports municipaux, la pression de l'opinion publique pouvait s'y exercer plus « efficacement ». En France, la pression est moins sensible, sauf peut-être à Nice où une population âgée est peu favorable à voir, depuis son balcon, le panache noir des ferries en manoeuvre.
Vaste sujet qui devrait s'enrichir avant l'été prochain (voir ci-dessous).