Pourquoi un ambassadeur ? La piraterie, autrefois de faible intensité, est remontée en puissance. Il y a donc nécessité de coordination au sein de certains ministères, en interministériel et à l'international. Au ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE), elle se fait auprès de diverses directions dédiées : affaires stratégiques et de désarmement ; Union européenne (Atalante) ; affaires juridiques ; mondialisation, relations avec l'OMI et la marine marchande ; coopération en matière de sécurité et de défense (formation et équipements militaires) ; Afrique et océan Indien, point de vue politique de l'action de la France, « c'est très important ! », souligne Chantal Poiret ; Nations unies et organisations internationales, compétences judiciaires (faut-il des tribunaux locaux ou d'autres instances ?), contribution financière à l'OMI et création d'un fonds fiduciaire d'assistance technique sur les questions judiciaires et pénitentiaires.
Au niveau interministériel, le MAEE doit coordonner la position des autres ministères dans les enceintes internationales. « Je suis chef de délégation incluant les ministères des Affaires étrangères et européennes, de la Défense, de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer et le secrétariat général de la Mer sous la direction de Matignon et de l'Élysée », indique l'ambassadeur. Elle est aussi chef de délégation dans les quatre groupes de contact pour la lutte contre la piraterie dans la Corne de l'Afrique institués en janvier 2009 :
coordination opérationnelle des coalitions sur zone (Otan, CFT 151) et marines étrangères (Chine, Inde, Russie et autres) et construction des capacités maritimes des pays de la région ;
questions judiciaires et pénitentiaires ;
coopération avec les associations d'armateurs (« très important ! », précise-t-elle) de toutes nationalités (International Chamber of Shipping, Bimco etc.) ; les armateurs y exposent leurs points de vue et la France s'exprime le plus ; les armateurs, en général, sont prudents vis-à-vis des sociétés militaires privées privées que les lobbies américains veulent utiliser pour sécuriser les navires ;
communication vis-à-vis des opinions publiques, dont un responsable sera nommé prochainement à la suite d'une décision prise en janvier, auprès de la diaspora somalienne et en Somalie même par les radios locales, en vue d'éviter que les gens ne se transforment en pirates.
Quel bilan pour Atalante ?
« Atalante est un succès : sur plus de 20 000 navires/an en transit, un seul, qui a pourtant respecté toutes les consignes, a été capturé par les pirates », déclare Chantal Poiret. Champ d'application de la politique européenne, l'opération illustre l'effort de l'UE en termes de sécurité et de défense. Dans le golfe d'Aden et en océan Indien, elle répond à un besoin, notamment pour les câbliers et bateaux de pêche qui naviguent à vitesse réduite. Les navires doivent notamment s'inscrire sur le site MSC-HOA (centre de sécurité maritime pour la Corne de l'Afrique). Les navires vulnérables (vitesse inférieure à 14 noeuds) doivent s'inscrire pour utiliser le corridor IRTC (corridor de transit international reconnu), où patrouillent des bâtiments militaires dans les endroits les plus dangereux.
L'accompagnement de navires marchands se fait selon des situations spécifiques. Si un besoin est exprimé, le ministère de la Défense examine la situation selon deux critères : transport indispensable et qui ne peut se faire par une autre route. Les thoniers, qui disposent d'équipes de protection embarquées, sont rassurés. C'est une réponse à une demande, formulée en août 2009, de l'organisation des producteurs de thon congelé Orthongel de Concarneau. Le contrat de protection, qui prévoit la prise en charge du surcoût occasionné pour la Marine nationale, sera prolongé.
Quid des plaisanciers aventureux ? « Les voiliers n'ont rien à faire dans cette zone ou alors doivent être embarqués à bord de navires marchands », répond Chantal Poiret. Il est déconseillé aux navires de se rendre dans un triangle où des avions et des bâtiments militaires ont intercepté des pirates.
Fin février, la situation des forces navales internationales sur zone se présentait ainsi : Russie, quatre bâtiments ; Inde, un ; Chine ; un ; Arabie Saoudite, un ; Chine, un ; Japon, un ; Atalante (un bâtiment français, un allemand, un espagnol, un italien, quatre avions de patrouille maritime dont un français) ; Otan, un américain, un danois, un britannique, un canadien ; CTF 151 dirigé par les États-Unis, deux américains, un sud-coréen, un pakistanais, un turc. La coordination se fait à Bahrein.
La Chine veut se trouver sur un pied d'égalité avec les autres. Réponse d'Atalante : « Oui à une coprésidence, à condition d'en avoir la capacité technique. » L'Inde veut s'intégrer à la coalition, en raison de sa proximité géographique et s'affirmer face à la Chine. La Russie, qui manifeste une présence militaire accrue pour satisfaire son opinion publique, a proposé la création d'un tribunal pénal international... qui n'a pas rencontré d'écho ailleurs. Le gouvernement japonais a légitimé, devant le Parlement, l'envoi d'une force navale. Enfin, la Corée du Sud entend protéger ses intérêts économiques. Les partenaires européens sont d'accord pour continuer l'opération Atalante aussi longtemps qu'il le faudra. La demande de renouvellement du mandat se fera très en amont : d'ici à l'été 2010, en vue d'une prolongation jusqu'à fin 2012. Les principaux contributeurs sont dans l'ordre : la France et l'Allemagne surtout, puis la Suède, l'Espagne à cause de ses thoniers, l'Italie, la Grèce, la Belgique, la Norvège et les Pays-Bas. La France prend toujours l'initiative, les autres suivent. « L'action diplomatique consiste à donner leurs justes places aux grandes Marines (Russie, Chine). La mer est un espace de coopération, pas de confrontation », rappelle l'ambassadeur.
Comment éradiquer la piraterie dans le golfe d'Aden ?
L'Union européenne agit à la mer par l'opération Atalante, offre des assistances judiciaire et pénitentiaire et propose une coopération pour la montée en puissance de la sécurité maritime de la région. Elle a pris l'initiative des transferts de moyens de sécurité. L'Otan est présente, mais ne peut conclure de tels accords. La piraterie trouve son origine dans la situation économique de la Somalie. La France considère donc qu'il faut aider le gouvernement somalien de transition. Elle a assuré la formation - facilitée par la langue commune - de 500 soldats à Djibouti pour combattre efficacement les mouvements rebelles et souhaite que l'Union européenne fasse de même à plus grande échelle. Le processus est en cours à Bruxelles.
En outre, le Code de conduite de Djibouti a été décidé lors d'une réunion fin janvier 2009, pour que, sous l'égide de l'OMI, les pays de la région créent leurs instruments de sécurité maritime avec un centre régional de formation des gens de mer et de gardes-côtes à Djibouti et un centre d'informations régional à Sanaa (Yémen) avec deux sous-centres à Mombasa (Kenya) et Dar es Salaam (Tanzanie).
Otages et pirates capturés
Une prise d'otages reste de la compétence nationale touchant à la sécurité nationale. Toutefois, une coordination se fait dans l'échange de renseignements.
Quant aux pirates capturés, il existe des accords de transferts avec le Kenya et les Seychelles. C'est le « burden sharing » (partage du fardeau) entre la poursuite des pirates et leur jugement. Ainsi, l'ONUDC (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) aide le Kenya avec des contributions française et européenne. S'il y a assez de pays ayant des accords de transferts, il faudra trouver des formules pour juger localement à moyen terme grâce à la création d'un Fonds fiduciaire d'assistance technique. La volonté d'accords de transferts avec les pays de la région existe. L'État des Seychelles est demandeur.
Quant à la capacité de juger les présumés pirates dans les pays occidentaux, il n'y a pas encore d'harmonisation au niveau européen. « On va avancer dans cette direction », indique l'ambassadeur Chantal Poiret. En France, il faut un lien de rattachement à l'acte de piraterie : propriété du navire, pavillon, nationalité des équipages ou des passagers. Toutefois, il faudra modifier la loi de 1994 sur l'action de l'État en mer pour disposer des instruments juridiques adéquats.