Niveau opérationnel : « On n'a pas droit à l'erreur »

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Atalante est une opération militaire, pas de police. L'objectif n'est pas de capturer des pirates à tout prix, mais de maintenir ouvertes les voies de communications maritimes dans le cadre de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer. Il est atteint dans le golfe d'Aden : les navires de commerce, dont ceux du Programme alimentaire mondial de l'ONU pour la Somalie, et les thoniers transitent sans encombres quand ils respectent les mesures de sûreté. « C'est un succès », déclare Arnaud de Tarlé. Le golfe d'Aden et le bassin somalien constituent un espace grand comme cinq fois la France. Un bâtiment de combat ne pouvant sécuriser que la surface d'un département, il en faudrait donc au moins 450. Or, la présence navale internationale tourne à 30 unités. La grande difficulté réside dans le court laps de temps, à peine 15 minutes, entre la tentative et l'attaque réelle de pirates. C'est le jeu du chat et de la souris. Une prise d'otages complique énormément la situation. Le navire marchand ciblé doit réagir convenablement pour gagner du temps. Pourtant, certains d'entre eux sont capturés : « 75-80 % d'entre eux n'ont pas respecté les normes élémentaires de la navigation, à savoir l'appel à l'organisation militaire sur zone, et vont à l'aveugle. » En janvier 2010, le transporteur de voitures Asian-Glory (pavillon britannique) ne l'a pas fait et a été détourné. Quant aux voiliers, « il y en a toujours qui ne croient pas aux avertissements et estiment qu'ils pourront passer de toute façon. Ces gens sont hermétiques aux avertissements des ministères de la Défense et des Affaires étrangères », souligne l'amiral. Les navires capturés sont souvent sous des pavillons douteux et leurs armateurs sont fréquemment des sociétés écrans qui disparaissent très vite. Si les secours échouent, l'équipage sera pris en otage. Il y a eu 400 navigants dans cette situation en 2008 et 600 en 2009, surtout des Philippins, retenus pendant des mois et pas toujours dans de bonnes conditions. Le 11 février, le bateau de pêche taïwanais Win-Far-161 a été libéré contre rançon au bout de dix mois de captivité, pendant lesquels trois membres de son équipage sont morts de privations.

Selon l'amiral, il est possible de progresser à condition « que la marine de commerce respecte les normes de sécurité. Si on pouvait revenir à des taux de piraterie marginaux, les Somaliens comprendraient que ce n'est pas un bon business ! Un bateau pris, c'est la justification que c'est un bon business, donc la piraterie continue ». Mais pour les pirates, leur activité est devenue plus difficile dans le golfe d'Aden et ils doivent agir à 1 000 milles des côtes, rançon du succès de la coalition navale sur zone. Leur taux de pertes est élevé, faute de sécurité en mer pour leurs petits navires mères et leurs skiffs (embarcations rapides) qui doivent prendre de plus en plus de risques.

Il n'y a pas de transfert d'une activité de pêche vers la piraterie. Le pêcheur somalien ne se transforme pas en pirate la nuit, comme ce fut le cas un temps dans le détroit de Malacca. La disparition de la filière industrielle ne permet plus aux pêcheurs de gagner leur vie. En Somalie, plus personne ne fait d'activités suivies. « Dans un État failli, tous les coups sont permis ! » La capitalisation de richesses est un processus normal. Autrefois, c'était le pillage des caravanes. À une autre époque, Aden était le centre des trafics de migrants à la suite de la sécheresse dans la région. « On va là où il y a du business ! ». La piraterie apporte beaucoup d'argent qui est redistribué dans le pays selon des circuits difficiles à suivre. Cet afflux d'argent fragilise encore plus l'État somalien et favorise l'émergence d'autres structures sociales et économiques. Toutefois, l'arrestation de quelques pirates exerce une certaine pression dissuasive sur les autres. Par ailleurs, ceux qui sont relâchés rentrent chez eux sans armes ni navires, perdent la face et entraînent une perte financière pour leur commanditaire.

Réévaluation et coordination

Atalante est réévaluée périodiquement au bout d'un an et suit les résolutions de l'ONU. Il n'y a pas de chèque en blanc pour une opération sans limite de temps. « Ça va durer longtemps, car c'est lié à la sécurité en Somalie. C'est une opération de longue haleine, comme celles au Tchad, en Afghanistan et en Côte d'Ivoire qui durent depuis plus de dix ans », insiste l'amiral.

Atalante est similaire à toutes les opérations militaires européennes, qui disposent d'un mandat pour une action commune et sont contrôlées par le Comité politique et de sécurité. Celui-ci dialogue avec la chaîne de commandement et les représentants des États membres. Au bout d'un an, Atalante a fait l'objet d'une évaluation en vue de nouvelles directives. « Cela fonctionne de façon transparente et bien ! »

Dans l'océan Indien, une coopération avec le Yémen, les Seychelles et le Kenya est engagée sur le plan maritime. Le groupe énergétique français Total participe à la protection du terminal de gaz du Yémen, la sûreté des méthaniers étant assurée par les autorités yéménites. Dans le golfe d'Aden, les nombreuses actions militaires nécessitent une coordination, qui s'améliore avec les bâtiments russes et chinois. L'Inde n'est pas présente en permanence.

Les bâtiments de ces pavillons ont découvert que l'Otan et Atalante travaillent ensemble. Ils sont petit à petit intégrés au mécanisme par le biais de réunions communes. La coordination progresse de mois en mois de façon satisfaisante, malgré les difficultés.

Quels enjeux ?

Pour le contre-amiral Arnaud de Tarlé, la route du golfe d'Aden et du sud de l'Afrique est stratégique pour l'Europe et l'Asie en ce qui concerne le pétrole et le commerce, mais pas pour les États-Unis, dont les approvisionnements passent surtout par le Pacifique. Elle a donc un impact relativement faible sur les intérêts stratégiques américains qui, d'ordinaire, coïncident toujours avec ceux de leurs alliés. En conséquence, les principaux acteurs concernés sont l'Union européenne, le Japon, l'Inde et la Chine. Les États-Unis ne se sont impliqués ensuite que « par ricochet ». Pour eux, globalement, ce sont des enjeux financiers en Somalie où l'anarchie, qui sévit depuis 1991, en fait un foyer de terrorisme. Or, la piraterie n'a pas de lien direct avéré avec le terrorisme qui poursuit des objectifs politiques. Les États-Unis, qui ne sont pas signataires de la convention de Montego Bay qui cadre la notion de piraterie, recherchent donc la sécurité au sens large qui mêle terrorisme et piraterie.

Ailleurs dans le monde, les mécanismes de la piraterie varient selon les régions. Certaines méthodes de lutte peuvent être transposées, d'autres non. La Somalie est un État failli et les pays voisins disposent de peu de capacités navales, terrestres et aériennes. En revanche, la sécurité a pu être renforcée dans le détroit de Malacca, car les États riverains fonctionnent !

Pirates et commandos - Les secrets des opérations spéciales

par Patrick Forestier

Les éditions du Rocher ont publié un ouvrage sur la piraterie en Somalie, intitulé Pirates et commandos Les secrets des opérations spéciales.

Les détournements et prises d'otages des voiliers Le-Ponant, Carré-d'As et Tanit, déjà traités en leur temps dans nos colonnes, sont décrits minutieusement en mettant l'accent sur les hommes et les moyens mis en oeuvre pour y mettre fin : des bâtiments et aéronefs envoyés sur place aux négociateurs de la DGSE et du GIGN et aux commandos Marine pour la phase finale, sans oublier la cellule de crise de l'Élysée. La tentative de capture du navire de croisières MSC-Melody (avril 2009, 1 100 km de la côte somalienne, 991 passagers et 536 membres d'équipage) est déjouée par l'équipe de sécurité, qui riposte d'abord avec des lances à incendie... puis des fusils automatiques ! Elle est en effet constituée d'anciens militaires israéliens. Cinq mois plus tôt, l'équipage du transporteur chinois de colis lourds Zenghua-4 résiste avec succès aux pirates, grimpés à bord, pendant six heures à coups de cocktails molotov et de lances à eau. En novembre 2005, le paquebot américain Seabourn-Spirit échappe aux pirates, grâce à un appareil LRAD (long range acoustic device) qui émet des sons de 150 décibels dans leur direction. À titre de comparaison, une alarme incendie ne dépasse pas 90 décibels. Patrick Forestier, grand reporter à Paris Match, a poursuivi son enquête sur les bateaux de pêche attaqués par les pirates. Le littoral somalien, riche en bancs de poissons, attire la pêche internationale dans des conditions parfois douteuses, sans compter les rejets illégaux de déchets industriels, pratiques dénoncées dans plusieurs rapports de l'ONU. Selon l'expert somalien Abshir Waldo, cité, « les pirates somaliens croient qu'ils oeuvrent à la protection des zones de pêche. Ils estiment que leurs exigences de justice et de réparation pour le vol des ressources marines et la destruction des écosystèmes par des bateaux étrangers sont légitimes. Leur façon de penser est partagée et pleinement soutenue par les collectivités côtières qui sont devenues les protecteurs et les fournisseurs de main-d'oeuvre des pirates ».

Loïc Salmon

Pirates et commandos Les secrets des opérations spéciales

par Patrick Forestier

Éditions du Rocher

222 pages/18 ¤

ISBN : 978-2-268-06866-4

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