Centre de crise : anticiper, gérer et suivre

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Le Journal de la marine marchande s'est entretenu sur ce sujet avec deux responsables du CDC. Gérard Tournier, sous-directeur, chargé du centre de situation, a traité une trentaine de crises diverses par an depuis sa nomination en septembre 2008. Matthieu Gressier, chef de l'Unité de gestion des affaires individuelles et adjoint à la sous-directrice chargée des opérations d'urgence, s'est occupé directement de 92 otages (troubles politiques, blocages d'aéroports et piraterie) en trois ans.

Le CDC, qui fonctionne 24h/24, est rattaché directement au ministre, dont le bureau se trouve dans son enceinte et à proximité de la salle de crise interministérielle où se réunissent des représentants de la Défense, de l'Intérieur, de la Sécurité civile, de Matignon, de l'Élysée et d'autres ministères concernés. Il exerce une surveillance attentive à l'étranger au moyen de sources ouvertes (agences de presse de tous les pays, internet, télévisions et radios notamment en arabe et en chinois), diplomatiques (deuxième réseau consulaire du monde) et militaires (services de renseignements). L'État dispose ainsi d'une base d'information et de renseignements de très loin supérieure à celle de n'importe quelle entreprise privée.

Déroulement d'une crise

Le CDC a traité directement plusieurs cas de piraterie impliquant des otages français : les voiliers Le-Ponant, Carré-d'As et Tanit, détournés dans le golfe d'Aden, et les navires d'assistance offshore du groupe Bourbon, capturés au Cameroun et au Nigeria.

Quand des ressortissants de divers pays sont détenus en même temps, l'État du pavillon prédomine. Ainsi, dans l'affaire du Ponant, il y avait 22 Français, six Philippins, une Ukrainienne et un Camerounais à bord. Informées, les autres représentations diplomatiques à Paris ont laissé la France agir.

Dès la prise d'otages connue, le CDC vérifie auprès des Affaires maritimes les dossiers médicaux et les livrets maritimes des navigants et prend contact avec leurs familles. Le médecin du CDC et un psychologue criminologue établissent le profil comportemental de chaque otage, en vue d'évaluer la durée et les conditions dans lesquelles il vit sa détention. Parallèlement, le CDC entre en relation avec leurs employeurs : directeurs des ressources humaines, officiers de sécurité et directeurs généraux ou présidents. Il les accompagne pendant les négociations. Ont-ils un contrat « enlèvement et rançon » ? Passent-ils par les négociateurs privés ou l'État ? Les tarifs de rançon varient selon les pays. Le ravisseur ne négocie pas avec l'État, qui ne verse jamais de rançon, mais avec l'employeur qui la demande à sa compagnie d'assurance ou la paie sur ses fonds propres.

Le ministère des Affaires étrangères et européennes maintient un lien permanent avec l'état-major particulier du président de la République et prépare les éléments pour le ministre de la Défense, lors du conseil restreint présidé par le chef de l'État. Il ne recourt qu'à deux types de négociateurs :

les agents de la DGSE du ministère de la Défense pour la piraterie en mer ; ceux qui parlent le somalien ont négocié directement à bord de leurs zodiacs ;

ceux du GIGN et du Raid du ministère de l'Intérieur pour les actes crapuleux.

Les négociateurs privés, qui ne sont pas sous le contrôle de l'État, connaissent le plafond possible des compagnies d'assurances. L'employeur cède pour que les otages soient libérés le plus rapidement possible, même si son malus doit augmenter en proportion l'année suivante. En conséquence, le montant de la rançon monte et la durée de détention s'allonge.

« L'erreur est de croire que les pirates sont des débiles mentaux, souligne Matthieu Gressier, de 2008 à 2009, le nombre d'attaques est passé de 118 à 220 avec 39 succès. Les pirates sont organisés, ont des moyens de communications sophistiqués et tirent ». La discrétion accélère les négociations et réduit la durée de détention. Une intense couverture médiatique fait monter les enchères. Les pirates comptent sur la pression populaire pour faire céder les autorités politiques. En conséquence, pendant les négociations, il s'agit de dégager une marge de pression sur les pirates. L'intérêt du preneur d'otages est de les garder en bonne santé. Le rapt n'est pas toujours uniquement motivé par l'argent. Ainsi, le mouvement Bokassi Freedom Fighters veut atteindre aussi un objectif politique, estimant que les compagnies étrangères volent le pétrole du Nigeria. Les négociateurs doivent alors convaincre les ravisseurs que les otages ne sont pas les vrais responsables : Bourbon n'est pas Total ! Il s'agit aussi de dévaloriser l'otage pour faire baisser les exigences des pirates. Les ravisseurs ne touchent pas aux femmes dans les pays musulmans, même s'ils font de la mise en scène lors du détournement du Tanit (voir photo page précédente). Par contre, dans la même affaire, la présence d'un enfant, qui n'aurait pu tenir longtemps, a déclenché la décision présidentielle d'intervenir. Une action de vive force, décidée au plus haut niveau, envoie un message clair aux ravisseurs : « on ne vous laissera pas faire ! » (Carré d'As, Tanit, Le-Ponant). Complication judiciaire ultime, en cas d'interception, les pirates jettent leurs armes et équipements à la mer... pour qu'il n'y ait pas de preuves !

Suivi des familles et des otages

Tout se fait en coordination avec les familles des otages. Lors de l'affaire du Ponant, le CDC a contacté 22 familles françaises et les représentations diplomatiques, soit en tout 105 personnes. Chaque « référent » s'occupait de cinq familles. Celles-ci doivent pouvoir reprendre une vie normale. Si elles résident à Paris, elles peuvent venir au CDC. Le temps, paramètre le plus difficile à gérer pour elles, est dicté par les pirates : s'ils ne veulent plus négocier, ils coupent leurs téléphones portables. Le ministère devient l'interlocuteur unique des familles : appels téléphoniques tous les deux ou trois jours d'une durée de 1h à 1 h 30, surtout pour les gens en province. Il doit leur faire comprendre qu'une opération de secours est en cours. La menace sur les otages et la pression sur l'opinion publique générant une angoisse pour les familles, le CDC réagit sur ces trois facteurs. Les familles ont besoin d'explications pour supporter la situation.

Le ministère reprend en main la sécurité des personnes après la libération des otages : visite médicale par un médecin du CDC et règlement des formalités de retour en France.

Ce que les otages, souvent isolés, ont vécu n'est pas ce qui a été ressenti en France. Ils ont besoin d'être remis dans la réalité française pour comprendre ce qui s'est passé. À leur libération, il faut les montrer pour rassurer leurs familles qui ont vécu un enfer. Après la crise, celles-ci continuent à appeler leur référent, notamment pour la prise de décisions administratives. Le référent les aide à réfléchir, mais la décision reste de leur ressort. Les otages, qui ont vécu un événement qui bouleverse leur vie, ont besoin d'un exutoire : tenues de conférences ou écritures de livres.

L'État du pavillon

Un détournement de navires se traite différemment selon l'État du pavillon. Ainsi, l'expertise britannique en matière de systèmes de transmissions maritimes et d'écoutes est reconnue dans le monde entier. Par ailleurs, en Grande-Bretagne, la disparition de l'État providence incite à recourir davantage aux compagnies d'assurances privées. En France, l'attente sociale et le rapport à l'État sont plus forts. En conséquence, les consulats sont de plus en plus sollicités. En Espagne, les bateaux de pêche déployés au large des Seychelles avaient refusé de reprendre la mer, faute de protection, alors que les thoniers français disposaient d'équipes militaires de protection embarquées.

À ce propos, la réglementation très stricte du port d'arme en France ne permet pas l'emploi d'équipes de sécurité privées et armées sur des navires battant pavillon français. Les compagnies maritimes françaises qui en souhaitent doivent donc recruter des étrangers et placer leurs navires sous d'autres pavillons.

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