« La sortie de la crise est longue »

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Journal de la Marine Marchande : En 2009, le marché du transmanche a connu quelques déconvenues. Les résultats montrent une baisse générale plus accentuée sur le fret que le passager. Comment analysez-vous ce marché ?

Fabrice Vennarucci : Le marché du Transmanche est sensible aux aléas économiques. Si le monde économique a enregistré les premières secousses de la crise économique mondiale au second semestre 2008, le marché du Transmanche était déjà touché. Les premiers signes d'une crise de ce marché se sont ressentis en novembre 2007. Dans ce contexte, il apparaît que l'année 2008 a été difficile pour les opérateurs. En 2009, la baisse de 13,5 % sur le fret est dans la continuité de l'année précédente. Sur le Détroit du Pas-de-Calais, le nombre de camions a baissé de 13,8 % à 3,07 millions d'unités. Sur la partie centrale et occidentale de la Manche, ce trafic est en diminution de 10,8 % à 282 000 camions. Quant à la Mer du Nord, les seuls opérateurs qui publient des chiffres, P & O Ferries et Stena Line affichent tous les deux des baisses de respectivement 11 % et 38 %.

Ces chiffres démontrent de la morosité du marché. La baisse de volumes lié à la crise économique a été accentuée par la faiblesse de la Livre Sterling. En effet, de nombreuses marchandises achetées auparavant par les britannique sur le marché de la zone Euro le sont désormais sur le marché américain. La baisse du dollar a participé à ce glissement. À cela vient s'ajouter la baisse de la monnaie polonaise, le Sloty. Les transporteurs routiers Britanniques et Polonais ont pris des parts de marché aux routiers de la partie occidentale du continent.

JMM : Cette analyse démontre bien de la morosité du marché Transmanche. Comment réagissent les opérateurs ?

F.V : Sur le plan des opérateurs, nous observons une volonté marquée d'Eurotunnel de reconquérir sa première place sur le marché. Elle est aujourd'hui estimée à 45 % du marché sur le Détroit du Pas-de-Calais. À la différence des compagnies maritimes, Eurotunnel ne subit pas la hausse des prix du carburant et se trouve en position idéale pour récupérer les clients perdus suite à l'incendie en offrant des prix compétitifs. L'écart de prix entre les tarifs d'Eurotunnel et de ses concurrents s'est réduit ces derniers mois. P & O Ferries est aussi en première ligne pour reprendre des parts de marché. La structure des coûts de l'armement se fait essentiellement en Livre Sterling. La baisse de la monnaie britannique lui permet ainsi d'offrir des prix plus attractifs que ses concurrents de la zone Euro. L'armement est aujourd'hui en pleine préparation pour l'arrivée de ses navires géants, prévus en 2011.

SeaFrance est pour sa part sortie d'une crise structurelle. La mise en place de son plan de restructuration devrait lui permettre de repartir sur des bases plus saines. Il apparaît que l'armement français n'a perdu que 11,8 % de son marché fret, soit moins que la tendance générale du marché.

LD Lines a su faire preuve d'une grande maîtrise sur le Détroit en prenant pied sur Boulogne Douvres. Cette année a surtout été mise à profit pour stabiliser son offre. Les volumes fret que l'armement réalise demeurent malgré tout confidentiels. Enfin, pour finir sur le Détroit du Pas-de-Calais, Norfolk Line attire à Dunkerque de nombreux transporteurs est européens.

Sur la Manche centrale et occidentale, les lignes du Havre vers Portsmouth et de Poole vers Santander progressent. Toutes les autres lignes sont en baisse au point ou on peut se demander aujourd'hui s'il existe vraiment un potentiel de progression pour les routes de l'ouest, tant le Détroit est attractif, de par la variété de son offre et le nombre de départs. Cette attractivité tient aussi au nombre grandissant des transporteurs de l'est européen qui préfèrent passer par le Détroit pour raccourcir la route. Ils prennent une part de plus en plus importante sur ce marché et orientent le marché.

JMM : Après deux années consécutives de crise, les premières semaines de l'année montrent-elles des signes d'embellie ?

F.V : Il est encore trop tôt pour parler d'une embellie sur ce marché. Les transporteurs routiers ne constatent aucune amélioration par rapport à l'année dernière. Tout au plus, la baisse de volume est stoppée, mais le retour à la croissance n'est pas encore effective. N'anticipons pas, la sortie de crise est lente et le démarrage sera long. À l'heure actuelle, les niveaux de prix sont encore à des niveaux bas et les armateurs alignent toujours autant de navires. La surcapacité est encore de mise sur ce marché. Le maintien en l'état de la flotte est surtout liée aux attentes du marché. Tous les opérateurs veulent être présents lors du retour à la croissance. Avec la baisse des tarifs et l'augmentation des capacités, les compagnies souhaitent fidéliser les clients en espérant qu'ils renvoient la balle quand les temps seront meilleurs. C'est à partir du moment ou les volumes auront repris qu'il sera possible de parler d'une reprise du marché.

JMM : Ce marché du Transmanche est composé de deux éléments majeurs : le fret d'une part et le passager d'autre part. Au cours des années, il est apparu de nouvelles répartitions entre le fret et le passager dans les compagnies maritimes. Quelles sont les interactions entre les deux volets de ce marché ?

F.V : Il est difficile de parler de deux marchés mais plutôt de modèles économiques différents selon la position géographique des armements. En Mer du Nord et dans le Détroit du Pas-de-Calais, le fret représente la part la plus importante du chiffre d'affaires. En Manche occidentale, c'est l'inverse qui prévaut avec une dominante passagers. Ensuite, le fret a cette particularité, peu importe sa position géographique, d'être régulier tout au long de l'année avec un creux pendant le mois d'août. À prendre les dernières années, hormis celles de crise, les échanges de marchandises entre la France et la Grande-Bretagne n'ont cessé de croître.

Le trafic passagers est plus aléatoire. Une saison peut être bonne ou mauvaise selon des conditions plus difficilement prévisible. Une marée noire sur les côtes françaises et ce sont plusieurs milliers de Britanniques qui désertent le littoral français. Des conditions météorologiques peu favorables et les Anglais se tournent vers d'autres destinations. La réussite de la saison dépend donc principalement de ces conditions et des moyens mis en place pour répondre à la demande. Ce trafic passagers est aussi largement dépendant des opérations menées par les opérateurs aériens « low-cost ». Ces dernières années, ces opérateurs aériens ont pris une part de marché importante qui utilisait auparavant les liens Transmanche.

Enfin, l'aspect monétaire entre aussi en ligne de compte. Les utilisateurs de ces services sont à hauteur de 85 % des britanniques. Ils paient leur traversée en Livre Sterling. Quand la monnaie britannique est à un niveau élevée, les britanniques disposent de moyens financiers pour partir en vacances sur le continent. Dans le cas inverse, quand la Livre Sterling est basse, comme ce fut le cas en 2009, ils désertent le littoral de la zone Euro. En effet, leurs revenus se font en Livre Sterling et leurs vacances en Euro. De fait, leur pouvoir d'achat sur le continent diminue. Sur les dernières années, avec la baisse de la Livre Sterling, les prix de la zone Euro ont augmenté de 25 % pour les britanniques. Il est alors moins cher de partir en congé en Floride ou aux Antilles qu'à Bergerac.

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