Annoncé de longue date, le mouvement a été déclenché à l'approche de la prochaine élection territoriale et durant la période des vacances scolaires en Corse. Malgré la Corsica Ferries qui continue d'assurer sa desserte à partir de Toulon, de Nice et de l'Italie, les médias ont titré sur la paralysie de l'Ile de Beauté. Ajoutant à la confusion, les transporteurs routiers corses ont à leur tour décidé de bloquer tous les ports de l'île à partir de 24 février pour protester contre cette grève illimitée. « Plus un kilo de fret n'entrera en Corse à partir de mercredi matin », a déclaré le président du Syndicat des transporteurs, Jean-Marie Maurizi.
L'épreuve de force tourne autour de l'avenir de la délégation de service public au départ de Marseille. Sa révision, en novembre dernier, par l'Assemblée territoriale corse a amputé l'enveloppe de la continuité territoriale de 11 M¤ (sur un total de 106 M¤ alloués à la SNCM et à la CMN) et supprimé 108 traversées sur les plus de 400 de l'obligation du service complémentaire. À l'époque, les syndicats évoquaient déjà une connivence entre les directions de la SNCM et de la CMN et l'Office des transports de la Corse pour tenter de remettre en cause le schéma de service public et, par voie de conséquence, le démantèlement des entreprises.
Cette inquiétude est ravivée par la concurrence de la Corsica Ferries qui, au départ de Toulon et de Nice, ne cesse de prendre des parts de marché (passagers et fret) et du positionnement d'ici quelques semaines de l'italien Moby Lines sur Toulon. « La concurrence est totalement faussée ! Comment peut-on par exemple exiger de la SNCM qu'elle fournisse des bateaux de moins de 20 ans quand les deux compagnies concurrentes alignent des navires de 32 et 35 ans ? Comment résister à la concurrence de compagnies italiennes qui ne payent pas de charges sociales sur leurs marins ? », explique ainsi Frédéric Alpozzo, secrétaire du syndicat CGT de la SNCM.
L'argument a été repris de manière inattendue par Roland Blum, député UMP et premier adjoint de Jean-Claude Gaudin. Ce dernier a, en effet, demandé au gouvernement de « mettre fin aux distorsions de concurrence » concernant la desserte maritime de la Corse. Dans un communiqué, l'élu marseillais qui porte les mêmes couleurs UMP qu'Hubert Falco à Toulon et la majorité de l'Assemblée territoriale, regrette que « l'aide sociale au passager versée aux opérateurs entre Toulon, Nice et la Corse bénéficie pleinement aux armateurs italiens sans le moindre contrôle ».
Visée, la Corsica Ferries a répondu en avançant ses racines bastiaises depuis sa création en 1968 par Pascal Lota, et la légalité du choix du pavillon italien pour sa flotte. Elle en a profité également pour rappeler que « la DSP revenait au contribuable à 100 ¤/passager alors que l'aide sociale ne coûte à la collectivité que 10 ¤ en moyenne/passager ». Particulièrement aiguisée dans ce genre de polémique, la Corsica Ferries a ressorti la réponse de Dominique Bussereau, secrétaire d'État aux Transports à une question d'un député communiste sur les distorsions de concurrence : « l'intensification de la concurrence s'est traduite par une modération des tarifs et peut-être une restriction des parts de marché pour certains, qui en portent malheureusement parfois une part de responsabilités » (JO du 27 janvier 2010).
Il existe un point sur lequel tout le monde s'est accordé : la mission donnée par le gouvernement au sénateur Charles Revet « d'examiner, en coordination avec toutes les parties concernées, l'organisation de la desserte maritime de la Corse et les conditions dans lesquelles la concurrence entre les opérateurs s'exerce (...) et d'analyser l'ensemble des dispositifs d'aides publiques attribuées à ces opérateurs et, si nécessaire, formulera des ajustements de ces aides, afin que la concurrence entre compagnies maritimes soit équitable. » De cet examen, chacune des parties entend, bien sûr, tirer confirmation de sa position. Mais cela n'a pas désarmé la CGT et le SAM de la SNCM et de la CMN qui, aux dernières nouvelles, laissaient le Napoléon- Bonaparte et le Scandola bloqués à Ajaccio, le Danielle- Casanova à Bastia et le Paglia- Orba à Porto-Vecchio.