Les 10 et 11 décembre, la Société française pour le droit international, l'Institut de droit économique de la mer (Indemer), l'Université de Nice Sophia Antipolis (laboratoire Geredic) et le Conseil général des Alpes-Maritimes ont organisé les « Journées méditerranéennes sur la piraterie maritime » à Nice et Monaco.
les professionnels de la mer
La piraterie touche directement les professionnels de la mer : équipages, armateurs, affréteurs et assureurs. Les épreuves des équipages dans le golfe d'Aden ont déjà été évoquées dans nos colonnes. Les autres acteurs sont aussi très inquiets, a expliqué Françoise Odier, présidente honoraire de l'Association française du droit maritime. D'abord, ils n'ont pas le choix. Cette zone intense de trafic maritime est indispensable, car elle réduit les temps de transport et augmente la productivité des entreprises. Le renchérissement du détour par le Cap est aggravé par la crise économique. « Cette pression oblige à trouver des solutions (...), il n'y en a aucune qui s'impose, il faut être pragmatique et éradiquer le phénomène sans remettre en cause les fondamentaux » que sont la liberté de circulation et le lien entre le pavillon et l'État. Concrètement, un porte-conteneurs qui franchit le golfe d'Aden à 18 noeuds au lieu de 14, consomme plus de fuel et nécessite d'investir dans les équipements de prévention des attaques (caméras thermiques, alarmes automatiques, projecteurs et canons à eau). Les équipages doivent être formés à vivre avec la Marine nationale, ce qui prend du temps. Les armateurs doivent organiser leurs trafics, car 50 % de leurs flottes sont sous des pavillons (Panama, Liberia, Vanuatu, Bahamas etc.) qui ne peuvent compter sur la protection des bâtiments de la Marine nationale, alors qu'ils contribuent aux approvisionnements de l'Union européenne. L'embarquement de gardes privés coûte cher. Ainsi, selon son superviseur sécurité environnement Olivier Texier, CMA CGM exploite une flotte de 380 navires (80-90 en propre) sous pavillons français (un tiers), britannique (un tiers) et d'autres pays (un tiers). Pour les affréteurs, il est difficile de répercuter intégralement sur les entreprises la surcharge « risque de piraterie » imposée par les armateurs. Enfin, les assureurs doivent prendre en charge les réparations des navires attaqués, les dommages matériels et moraux subis par les équipages et enfin le paiement les rançons. Celles-ci, une fois la dîme versée aux villages somaliens refuges, permettent aux pirates... de s'équiper en matériels plus performants pour attaquer de plus en plus loin en mer ! « On assiste à une «industrialisation» de la piraterie, avertit Pierre Karsenti, directeur des transports maritimes du groupe Total, bientôt ce sera tout l'océan Indien qui sera soumis aux risques de la piraterie ».
Coopération et répression
La zone d'action des pirates dans le golfe d'Aden, où transitent 16 000 à 30 000 navires par an, s'étend sur 2 Mkm2. La lutte contre la piraterie touche trois domaines, explique Annick de Marffy Mantuano, vice-présidente de l'Indemer. Le premier, d'ordre militaire et opérationnel, concerne les moyens nécessaires pour prévenir la piraterie et repousser les attaques. Le deuxième, juridique, nécessite une adaptation de la législation nationale pour poursuivre les pirates en justice. Le troisième est politique : rechercher les moyens pour rétablir l'autorité de l'État en Somalie. Selon Geneviève Burdeau, professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), la police en haute mer, mission d'intérêt général en cas d'atteinte à l'ordre public, est un exercice facultatif. « Si en droit international les États délèguent cette mission au profit d'organisations internationales, ce n'est pas encore le cas pour la piraterie. L'intervention récente du Conseil de sécurité de l'ONU (au sujet de la Somalie) n'a pas modifié la situation ». Les États doivent coopérer dans la mesure du possible. Ils ont l'obligation des moyens mais pas des résultats. Depuis la convention de Montego Bay, cette obligation est mise en vigueur au cas par cas selon les périodes et les régions. Elle concerne la protection du pavillon et la sécurité du territoire et des intérêts nationaux (transports pétroliers), la lutte contre la grande criminalité et l'aide humanitaire (navires du Programme alimentaire mondial de l'ONU). Actuellement, la coopération interétatique est très dispersée : des solutions techniques sont à l'étude en vue d'aboutir à une certaine efficacité et donc à des résultats. Pour la piraterie d'origine somalienne, souligne Jean Charpentier, professeur émérite de l'Université de Nancy, la coopération opérationnelle en haute mer implique la compétence de l'État du pavillon du navire attaqué et la souveraineté de l'État côtier, qui doit donner son autorisation d'intervention. Sinon, il faut recourir au Conseil de sécurité de l'ONU. L'action de la force navale de l'Union européenne (opération Atalante), arrivée sur zone le 16 décembre 2008, a été complétée par deux accords judiciaires avec le Kenya (26 février 2009) et les Seychelles (28 octobre 2009), leur donnant délégation pour juger les pirates arrêtés. S'y ajoutent la présence de bâtiments de l'Otan et de divers pays concernés (Russie, Chine, Japon, Inde, Corée du Sud et Iran). La solution se trouve dans la restauration de l'ordre en Somalie, en guerre civile depuis 1991 et pour laquelle le Conseil de sécurité de l'ONU a tenté de mettre sur pied une force internationale. Mais les États membres, échaudés par l'échec américain de 1992, ne sont prêts à s'engager que sur le financement de la formation de garde-côte et de policiers.
La répression de la piraterie est prévue dans la convention de Montego Bay. « Mais en pratique, il faut aussi la coopération internationale pour en pallier les insuffisances », déclare Serge Segura, sous-directeur pour le droit de la mer au ministère des Affaires étrangères et européennes. Selon lui, les États-Unis confondent terrorisme et piraterie en s'appuyant sur la convention Sua (Rome, 1998), après le détournement du navire de croisières Achille-Lauro le 7 octobre 1985 par le Front de libération de la Palestine. Les amendements ultérieurs (Palerme, 2005) reflètent les attentats à New York et Washington du 11 septembre 2001. L'OMI est le bras séculier de la mise en oeuvre de ces conventions, rappelle Brice Martin-Castex de la division de la sécurité maritime de l'OMI. Toutefois, l'OIT, la FAO, Interpol, l'Otan et des ONG interviennent de plus en plus. À terme, l'OMI envisage non plus des recommandations, mais des mesures contraignantes : connections de centres de sauvetage du Kenya et du Yémen ; application du code ISPS ; coopération des polices à terre ; intégration à la convention Solas de la procédure d'enquête sur la piraterie ; circulaires sur la conduite à tenir pour les États, les armateurs et les équipages.
Adapter les droits nationaux
D'après un document de l'Otan, le nombre de pirates dans le golfe d'Aden est passé d'une douzaine en 2006 à 1 000-1 500 en 2009. « Pour éradiquer la piraterie, il est indispensable qu'il n'y ait pas d'impunité », déclare Anne Rainaud, maître de conférences à l'Université de Nice Sophia Antipolis et animatrice de l'équipe « Sentinelle ». Elle déplore l'incapacité de certains États à aller plus loin, faute de dispositif national adéquat. Le tribunal international du droit de la mer, n'étant pas une cour pénale, n'a aucune compétence pour juger des pirates. La solution reste donc nationale. Les bâtiments militaires sur zone intervenant comme force de police, les pirates arrêtés doivent être jugés par des tribunaux de droit commun. Or, les droits des pays concernés ne sont pas adaptés. Leur diversité se manifeste par l'étendue de la compétence de l'État à prendre en charge les pirates pour les juger et aussi par la définition même de la piraterie. Par crainte de rétorsions contre des navires otages et en raison des complexités juridiques, la tendance générale est à déléguer le jugement. Les accords en ce sens se multiplient : entre l'Union européenne, le Kenya, les Seychelles et Djibouti, entre le Japon et Djibouti, entre le Kenya, les États-Unis et la Grande-Bretagne et bientôt entre le Kenya et le Canada et entre l'Union européenne et la Tanzanie. Toutefois, « les États présents militairement dans la zone de piraterie ne se dérobent-ils pas sur le plan judiciaire, en faisant en pratique peser une trop lourde charge sur les États de la région et en étant fidèles à l'alternative posée par la répression du terrorisme : juger ou extrader ? », remarque Anne Rainaud.
La police de haute mer
La police de haute mer commence au port et dans les eaux intérieures, précise Jean-Louis Fillon, commissaire général de la Marine, mais « le souverainisme du droit de la mer » bloque ou retarde l'institution d'une police de la haute mer. En outre, la dissymétrie des organisations maritimes nationales gêne la coopération. Pour y pallier, les États concluent des accords de sûreté régionale. Surtout, « il s'agit de voir et savoir », souligne Jean-Louis Fillon. La surveillance maritime, outil de gestion partagé de l'espace maritime, peut encore se développer. En France, le réseau « Spationav » intègre les images radar (jusqu'à 20 milles) de 59 sémaphores et la base de données Traffic 2000 des Affaires maritimes et l'AIS (système automatique d'identification) embarqué sur les navires. Le renseignement maritime évalue la menace en traitant les informations de diverses sources selon des critères sélectifs : origine du navire, historiques de la coque et des escales, cargaison, destination, propriétaire, armateur, affréteur, chargeur et enfin cinématique (routes erratiques et arrêts inopinés). Ainsi, le Centre de renseignement de la Marine nationale dispose d'une base de données sur 10 000 bâtiments militaires et 15 000 navires de commerce. « 99 % des données sont traitées automatiquement, mais la menace peut venir du 1 % ». De plus, les petits navires des pirates ne sont pas répertoriés, car ils échappent réglementairement à l'AIS. « Il faut étendre les réseaux institutionnels et immatériels de la sécurité maritime jusqu'à la création d'un réseau des réseaux sous l'autorité de l'ONU, avant d'envisager une flotte des Nations unies constituée de coques bleues ! », conclut Jean-Louis Fillon.
Intervention armée
Tout État est investi d'un pouvoir de police et d'une compétence répressive nationale, et ses navires de guerre et aéronefs militaires peuvent intervenir contre les pirates, indique Jean-Christophe Martin, professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis. L'État du pavillon n'a pas à donner son accord au cas par cas en matière de piraterie pour l'intervention coercitive. L'État intervenant n'a pas à demander auparavant l'autorisation de l'État du pavillon ni même l'en informer. Une règle coutumière légalise le recours à la force contre les pirates selon deux critères cumulatifs : nécessité et proportionnalité. D'abord, l'usage de la force doit être évité autant que possible et être « inévitable », faute de solution alternative. Ensuite, il doit être proportionné aux exigences de la situation : « cela ne doit pas dépasser ce qui est raisonnablement requis en la circonstance » et « tout doit être mis en oeuvre pour veiller à ne pas mettre de vie en danger ». Le recours à la force armée en vue de détruire un navire pirate est, en principe, illicite au regard du droit international. Or, le 18 novembre 2009, dans le golfe d'Aden, une frégate indienne a coulé un bateau de pêche thaïlandais utilisé par des pirates, faisant un mort, un blessé et treize disparus. La Marine indienne a affirmé que les pirates avaient menacé de détruire la frégate et s'apprêtaient à tirer au lance-roquettes. D'après un expert militaire français, ce projectile perce des blindages de 26 mm à 70 mm.
Droits de l'Homme
Les États sont tenus de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés garantis par les instruments conventionnels de protection des droits de l'Homme qu'ils ont ratifiés, rappelle Caroline Laly-Chevalier, maître de conférences à l'Université Lille 2. Dans la lutte contre la piraterie, les États pourront être amenés à devoir justifier de deux légalités : l'emploi de la force contre de présumés pirates et l'arraisonnement des navires suspects. Deux questions fondamentales se posent. La première est de savoir si, dans le contexte de la lutte contre la piraterie et le cadre de l'intervention contre les pirates, les instruments de protection de droits de l'Homme sont applicables en dehors du territoire des États parties, vu que les juridictions de protection de ces droits restent indifférentes à la qualification juridique de la situation de conflit armé ou d'opération de police. La seconde question a trait au degré d'emploi de la force contre les pirates. À ce titre, l'apport du droit de la mer, de sa pratique et de sa jurisprudence, en matière de protection des droits de la personne, apparaît limité et inadapté aux situations de piraterie. La source d'inspiration pour établir une réglementation adaptée aux situations de violence en mer doit provenir du droit international des droits de l'Homme, notamment de l'article 2 CEDH (droit à la vie) et de son application. Ces obligations dictent aux États certains comportements. Il en résulte une tension continue entre les obligations du droit international de la mer et celles de la législation internationale des droits de l'Homme. Enfin, la grille de lecture du droit applicable à la lutte contre la piraterie rend les opérations miliaires des États plus complexes.
Projet de loi français
La piraterie a fait l'objet d'une loi datant de 1825... abrogée en 2007 ! Or, l'année suivante, deux voiliers français ont été victimes de pirates : le Ponant (avril) et le Carré-d'As (septembre). En conséquence, les services de l'État ont élaboré un nouveau projet de loi, qui sera présenté à l'Assemblée nationale début 2010. « Les armées sont employées de plus en plus dans des opérations de police avec toute la complexité que cela implique », déclare le contre-amiral Bruno Paulmier, secrétaire général adjoint au Secrétariat général de la mer. Le projet de loi répond à trois objectifs. D'abord, il affermit le cadre légal des poursuites judiciaires contre les auteurs d'actes de piraterie et traduit en droit interne le maximum des possibilités offertes par la convention de Montego Bay. Ensuite, il assure la sécurité juridique des actions de l'État et la protection pénale de ses agents. Enfin, il se dote de tous les moyens pour gérer l'implication internationale de la France et l'influence recherchée. Ce projet de loi est accompagné d'une étude d'impacts : juridique (droit interne et articulation avec le droit communautaire ou européen), administratif (conduite des opérations et formation juridique des intervenants), financier (transfert des personnes appréhendées, rapatriement du navire, traductions et expertise) et économique (essor des échanges maritimes et diminution des primes d'assurances).
Conseils pratiques de l'IMB contre la piraterie en Somalie
L'International Maritime Bureau a organisé à Londres, le 3 novembre, un séminaire sur la piraterie en Somalie. Des experts en sûreté ont expliqué concrètement à 25 opérateurs et affréteurs de navires comment réagir aux attaques de pirates. Celles-ci ont en effet reprises dans le golfe d'Aden et au large de la Somalie, à la fin de la saison des moussons du sud-ouest en septembre. Il est donc recommandé aux navires en transit de prendre des précautions supplémentaires et d'observer « de strictes veilles antipirates visuelles et radar 24 heures sur 24 ». En cas d'attaque, le commandant doit accélérer, suivre une route en zigzag et se signaler aux autorités compétentes. Depuis février 2009, le Centre de sûreté maritime pour le golfe d'Aden et la Corne de l'Afrique (MSCHOA), coordinateur des forces navales européennes sur zone, a établi un corridor de transit internationalement reconnu. L'IMB conseille aux commandants de navires et aux armateurs de signaler au centre leurs itinéraires de transit à l'adresse suivante :
Les pirates s'aventurent de plus en plus loin et lancent fréquemment des attaques à plus de 500 milles en mer, au-delà de la zone de protection des forces navales étrangères. Au cours des neuf premiers mois de 2009, l'IMB avait répertorié 168 incidents impliquant des pirates présumés somaliens. Il y a eu 32 détournements de navires, 533 membres d'équipages pris en otage, 8 navigants blessés, 4 tués et un porté manquant.
Malheureusement, l'IMB estime que l'efficacité même des patrouilles navales dans le golfe d'Aden contribue à élargir la zone dangereuse jusqu'en mer Rouge, à l'est d'Oman et à l'ouest de l'océan Indien. En outre, les pirates sont « plus désespérés » dans leurs tentatives de détournement de navires et font fréquemment usage d'armes automatiques et de lance-grenades pour intimider les commandants et les obliger à stopper. Le nombre d'incidents impliquant des armes à feu a augmenté de plus de 200 % en un an pendant la période considérée. D'après les retours d'expériences, les attaques réussies en mer se produisent normalement, dans de bonnes conditions météorologiques, au lever ou au coucher du soleil, mais pas pendant la nuit. Les pirates arrivent de l'est, d'ordinaire à bord d'embarcations rapides débarquant souvent d'un navire mère, qui assure le soutien logistique. L'IMB n'est pas partisan de l'embarquement d'équipes de sûreté, armées ou non, sur les navires en transit dans la région. Il préconise plutôt l'emploi de systèmes dissuasifs, comme notamment la mise ne place « d'un rideau d'eau » autour des navires pour empêcher toute tentatives d'abordage.
L'IMB assure une liaison hotline sécurisée 24 heures par jour par téléphone
(+ 60 3 20 31 00 14), fax (+60 3 20 78 57 69), e-mail (