Quand fidèle à la tradition du groupe, en février 2008, Jacques de Chateauvieux, actionnaire de référence et p.-d.g. du Bourbon, annonce le lancement de son plan stratégique Horizon 2012 et donc la livraison de 169 navires entre le 1er semestre 2008 et la fin 2011, les analystes financiers frémissent. Rue Sainte, à Marseille, les calculettes en font tout autant, mais pour une autre raison : 169 navires dont 95 remorqueurs releveurs d'ancres AHTS et autres platform supply vessels ; 69 transporteurs rapides de passagers (ces crew boats concurrents des hélicoptères) ; et 19 navires pour l'inspection, l'entretien et la réparation (IMR) de structures sous-marines, etc. Combien cela fait-il d'officiers et combien de personnel d'exécution, s'interroge Frank Dambrin, directeur général adjoint de la division offshore ?
Par exemple, un AHTS est armé par un équipage de 12 à 14 personnes ; celui d'un PSV est de 10 à 12 navigants. Le tout devant être multiplié par un coefficient compris entre 1,5 et 2 pour tenir compte des congés. L'affectation géographique des navires conditionne souvent l'origine des navigants.
Durant son exploitation, chaque AHTS ou PSV est confié à un shipmanager national ou régional, filiale du groupe. Celui-ci est chargé de recruter les équipages dans le respect des standards de Bourbon.
donc standards spécifiques
Aux exigences de formation initiale définies par l'OMI (STCW 95) s'ajoutent les exigences maison. C'est ainsi que Bourbon veut que chacun de ses officiers pont soit certifié pour opérer un navire à positionnement dynamique (PD), que cela entre ou non dans le cadre de son activité habituelle. Toutes les unités offshore sont concernées, y compris les transporteurs de passagers desservant les plates-formes. Autre exemple d'exigence « maison » : avoir clairement conscience des risques propres à l'offshore. Sans être exhaustif, il s'agit d'être préparé autant que faire se peut au risque d'émergence soudaine d'une poche de gaz toxique ou explosif ; de ne pas larguer une ancre en cas d'urgence si l'on n'est pas sûr qu'il n'y a aucune conduite immergée ; de savoir relever une ancre de 25 t, etc.
Tout cela débouche sur la définition des « standards d'opérations » : schématiquement, il s'agit d'une liste détaillée des tâches à accomplir lors de chacune des périodes de travail du navire. Encore plus schématique : qui fait quoi et quand ? Deuxième question : a-t-on le personnel habitué à le faire ? Sinon, il faut le recruter et/ou le former, en sachant qu'il existe plusieurs cas de figures, tant pour les officiers que pour le personnel d'exécution : il y a les jeunes diplômés ayant, par définition, peu d'expérience ; le personnel expérimenté mais pas dans l'offshore ; les promotions internes ; et le personnel expérimenté dans l'offshore mais venant d'autres compagnies. Pour fixer les idées, pour armer les navires du plan Horizon 2012, il faut environ 4 500 navigants dont 1 200 officiers. Cinq cents ont déjà été recrutés. De quoi occuper Valérie Le Gars, DRH du groupe.
Tout ce « beau monde » se retrouve dans les matrices de Frank Dambrin : chaque colonne représente un type de navire (AHTS, PSV, transporteur de passagers, IMR) ; chaque ligne comprend l'une des quatre catégories de personnel mentionnées ci-dessus réparties en pont et machine.
Tout nouveau recruté (sédentaire comme navigant) passe deux jours dans la filiale qui convient pour être sensibilisé à « l'environnement Bourbon ».
Le navigant fait ensuite son premier embarquement. S'il reste, il entre alors dans une période de formation plus ou moins longue, tant à terre qu'en mer. Chaque officier pont va, dans les douze mois qui suivent, faire son stage de positionnement dynamique, à Marseille, à Manille (centre ouvert en octobre 2007) ou dans un autre centre agrée. L'officier mécanicien affecté aux unités offshore ira faire un stage diesel-électrique en Chine où est installée une véritable salle de machine. À terme, l'officier mécanicien affecté aux navires IMR ira également en Chine, pour les mêmes raisons liées à la motorisation. Par contre, seuls les mécaniciens et les boscos des AHTS passeront par le simulateur de relevage d'ancre, car ce sont eux qui sont à la manoeuvre du treuil ou sur le pont principal. Ils y retrouveront leurs homologues, officiers de pont.
Des officiers référents
L'expérience de la simulation numérique chez Bourbon remonte à 2006 pour compléter la formation des officiers norvégiens. Particulièrement tournée vers l'offshore dans un environnement des plus hostiles, la Norvège a depuis longtemps monté des programmes de recherche alliant universités et entreprises, dans le domaine de l'apprentissage, entre autres. Bourbon a ainsi acheté les bons logiciels pour la conduite des AHTS et des PSV. Un simulateur a été installé dans l'Ecole nationale de la Marine marchande de Marseille ; l'administration mettant ses locaux à disposition et Bourbon, le simulateur. Un autre simulateur a été installé en novembre 2008 à Singapour où Bourbon a tout pris à sa charge.
Trois officiers pont référents (deux Français et un Norvégien) complètent le dispositif. Ayant accumulé plusieurs années d'expériences, ils servent à la fois d'instructeurs sur les simulateurs AHTS et PSV et tournent sur les navires afin d'aider des commandants nouvellement promus, de transmettre quelques « tours de main », de poursuivre en mer l'apprentissage fait en simulateur, voire de détecter d'éventuels besoins de formation complémentaires. Pour ne pas perdre la main, durant les deux tiers de leur temps de travail, ils assurent des commandements.
D'ici à six mois, espère Frank Dambrin, le même système devrait être mis en place pour la machine et les transporteurs de personnel. Deux officiers devraient être disponibles pour ce faire au Nigeria et à Singapour.
En attentant, à la mi-décembre, Bourbon a ouvert deux centres de simulation à la conduite des transporteurs rapides de passagers : l'un à Marseille dans les locaux mêmes de la société ; l'autre, au Nigeria, dans les locaux de sa filiale.
Formation initiale en Afrique
Compte tenu des réalités ouest africaines et de l'importance de ses activités locales, Bourbon doit investir dans la formation initiale des navigants devant embarquer sur les transporteurs de passagers. Ainsi les élèves officiers angolais sont-ils envoyés en Afrique du Sud et les Nigérians au Ghana. Cette démarche du groupe français renforce son intégration régionale.
En France, afin de les « fidéliser », Bourbon apporte un support financier aux élèves de 5e année. Celle qui, depuis longtemps, attend une réforme ambitieuse de ses contenus.
hors obligations légales
Tout ceci a un coût, souligne Valérie Le Gars, un coût bien supérieur à celui d'autres secteurs d'activité à dangerosité comparable. Ainsi, en plus des obligations légales pesant sur tout employeur, Bourbon consacre plus de 5 % de la masse salariale des navigants de l'offshore à leur formation continue.
Pour fixer les idées, en 2008, 532 officiers ont été recrutés ; 289 ont été formés dont 144 en formation initiale (5e année en France et école en Afrique) ; 236 ont suivi une formation sur simulation PD ; 207 sur simulation AHTS ; 55 personnes ont été formées pour l'IMR.
Le plus important employeur français d'officiers se donne les moyens de ses ambitions, tout en gardant un profil modeste 363 jours par an. Et deux jours par an, Jacques de Chateauvieux souligne la pertinence de sa stratégie.