Dans son rapport annuel de 2008, le courtier maritime parisien Barry Rogliano et Salles (BRS) s'inquiétait de l'avenir du marché roulier. La rareté de la cale avait eu pour effet de voir des fonds d'investissements privés entrer dans ce marché généralement tenu à l'écart des grandes consolidations. Utilisé le plus généralement pour le transport de voitures neuves entre les continents, et des engins agricoles et de chantiers, les navires rouliers n'ont pas pu se préserver de la crise. En avril, dans son rapport annuel 2009, BRS a constaté que le marché a été « chamboulé par la crise financière intervenue au cours des dernière semaines de l'été 2008 ». Dès la fin de l'année dernière, la rareté de la cale a été un concept rangé dans les tiroirs des souvenirs. Et le courtier parisien de continuer, dans son rapport 2009, sur les effets de la crise. « La concentration s'est poursuivi tout au long de l'année 2008. (...) La crise devrait certainement favoriser la poursuite de ce mouvement ».
Le renversement de situation sur le marché du roulier est surtout lié aux difficultés économiques de l'industrie automobile. En effet, une majeure partie des cargaisons de ce marché sont alimentés par des voitures neuves. Avec la baisse des ventes d'automobiles, les taux de fret ont dégringolé. Dès les premiers signes de la récession dans l'automobile les gouvernements ont mis en place des primes à la casse pour favoriser le retour à la consommation.
130 navires à l'ancre
En Europe, dès le début de l'année, l'Association des entreprises logistiques de véhicules (ECG - European Car Group) a demandé aux gouvernements de l'UE de mettre en place des primes à la casse pour relancer l'activité du secteur. Après six mois d'activité, le même groupe affiche des chiffres catastrophiques. Quelque 58 % des opérateurs logistiques de ce marché automobile prévoient des pertes nettes sur leurs comptes en 2009 et 20 000 emplois ont déjà été supprimés. En France, la prime à la casse a été introduite dès la fin de 2008. Ces effets se sont faits sentir dès la fin de l'été. Aux États-Unis, l'onde de choc a été plus longue à se déclencher mais semble à présent produire ses premiers effets. Au mois de mai, une étude publiée par le Lloyd Register et l'hebdomadaire britannique Fairplay a mis en évidence la situation particulière de ce marché. Dans les années 70, les armateurs ont largement investi dans ce secteur. Les navires livrés à cette époque arrivent à la fin de leur vie. Depuis le début de l'année, une centaine de navires auraient été mis à la ferraille, selon les chiffres commentés par un responsable de Wilh. Wilhelmsen Lines. Et ce chiffre devrait continuer d'augmenter. Les deux partenaires de l'étude tablent donc sur une croissance du ferraillage de cette flotte. Sur la période 2008-2013, le marché du roulier devrait envoyer au rebut quelque 76 % de sa flotte. Ajouté à cela, un carnet de commande bien moins rempli que celui des porte-conteneurs. L'avenir ne semble donc pas aussi désespéré. De plus, depuis le début de l'année, les armateurs ont suivi le mouvement général de la mise à l'ancre d'un certain nombre de navires. Sur les 784 navires de la flotte mondiale roulière, représentant quelques 11,3 M tpl, 34 PCTC (Pure Car and Truck Carrier) sont actuellement à l'ancre. Ils représentent environ 455 729 tpl, soit 4 % de la flotte mondiale. Selon les derniers chiffres tirés du rapport trimestriel de Wilh. Wilhelmsen Lines, le nombre de navires actuellement à l'ancre serait proche de 130.
2010 sera encore difficile
Les premiers signes d'un redressement apparaissent. L'armement norvégien, lors de la présentation de ses résultats à fin septembre, a annoncé le retour sur le marché de deux unités, l'une pour Wallenius Wilhelmsen Lines et l'autre pour Eukor Lines. Deux navires de plus pour répondre à un retour de marché. Sjur Galtung, vice- président de Wilh. Wilhelmsen Lines, reste prudent sur cette reprise. Le retour de ces deux navires n'est pas pour autant synonyme de nouveaux gains. Sur les trois premiers trimestres de l'année, le groupe norvégien affiche des résultats en baisse. Et pour continuer sur la constitution de sa flotte, Sjur Galtung prévoit que, parmi les 18 navires du groupe encore à l'ancre, une partie est destinée à la casse quand l'autre doit venir remplacer les navires qui seront rendus aux affréteurs. « La croissance ne sera pas aussi forte qu'espérée, mais plutôt sur une courbe plus douce. 2010 demeurera encore difficile. » Dans le même ordre d'idées, Hoegh Autoliner a appliqué les mêmes recettes. L'armement a mis à l'ancre une vingtaine de ses navires sur sa flotte totale de 70 unités et ralenti son programme de renouvellement de la flotte.
À la différence du marché de la conteneurisation, le roulier dispose de nouveaux potentiels pour développer son activité. D'une part en Europe, la volonté des gouvernements de vouloir absorber la croissance du transport par des modes alternatifs, dont le maritime doit prendre une part, devrait permettre à ces navires rouliers de trouver preneur. Sur la côte Atlantique et en Méditerranée, les opérateurs préparent déjà de nouvelles offres. Les appels lancés par les gouvernements pourraient donner une nouvelle dynamique à ce marché. De plus, les navires rouliers, longtemps accaparés par l'industrie automobile, cherchent désormais à diversifier leurs trafics vers les colis lourds. À défaut de la reprise du marché, il est probable qu'un marché de l'affrètement se développe. Depuis le début de l'année, les contrats spots prennent une place plus importante. « Des marchandises qui auraient dû entrer dans le cadre de contrats de longue durée sont aujourd'hui mis sur le marché spot. Une tendance nouvelle qui s'est faite jour ces derniers mois », selon le responsable de K Line Europe. En outre, les armements fourbissent leurs armes pour se présenter sur les marchés émergents de l'automobile. Hoegh Autoliner vise plus particulièrement l'Inde, en ouvrant un bureau régional. « L'Inde sera un grand marché à l'export dans les prochaines années. Nous nous préparons pour répondre à la demande », a déclaré récemment Jim Butcher, président de l'armement. Pour les Scandinaves de Wallenius Wilhelmsen Logistics, l'Afrique du Sud et le Viet Nam sont des ouvertures. D'autres consolident leurs positions, à l'image des armements japonais qui misent sur un rebond de l'économie automobile dans leur pays. Dans son rapport annuel 2009, BRS a émis l'hypothèse d'un volume important sur le marché de l'affrètement sous réserve de deux conditions : des volumes toujours aussi bas et des prix de démolition bas. dans ce cas, les armateurs risquent de préférer des taux d'affrètement peu élevés au désarmement des navires.