Dans le box, ils ne sont que quatre marins à comparaître. Tous la quarantaine, Alain Mosconi, « grande gueule » et ex-secrétaire des marins du Syndicat des travailleurs corses (STC), Patrick et Jean-Marc Mosconi, ses deux frères, ainsi que Félix Dagregorio. Les faits sont avérés. Bloqués dans le port phocéen depuis plusieurs jours par une grève dure contre la privatisation de la SNCM, les syndicalistes corses décident pour rentrer chez eux de « réquisitionner le Pascal-Paoli » sur lequel venait de se dérouler une AG. Ils quittent la Joliette le 27 septembre 2005 en direction de l'Ile de Beauté « au nom du principe de continuité ». Vingt heures plus tard, devant Bastia, le GIGN met fin à l'équipée, par une intervention héliportée aussi spectaculaire que médiatisée. « Les seules cagoules que j'ai vues dans cette affaire sont celles du GIGN », ironisera à la barre Alain Mosconi. Il clamera « Nous ne sommes pas des criminels, ni même des délinquants. Nous sommes des syndicalistes et nous entendons le rester ».
Le « détournement de navire avec séquestration de personnes », crime passible de 30 ans aux assises, semblait patent. Il sera requalifié en « séquestration et usurpation de commandement ». Plus de risque de prison ferme, le procureur Michel Raffin requiert 18 mois à 2 ans de prison avec sursis, en soulignant qu'« il est faux de prétendre que la justice à Marseille tente de criminaliser le mouvement social ». « Nous ne jugeons pas une mutinerie, encore moins une sédition, conclura t-il, nous jugeons un dérapage survenu au cours d'un mouvement social dur. »
Dès lors, le procès tournera autour de la question du degré du « dérapage » et s'il a été accompagné de violences. Autrement dit, dans quelles conditions les officiers ont été « retenus » à bord et ont commandé les manoeuvres. Appelé à la barre, Jean Damiani, 25 ans de SNCM, alors commandant du Pascal-Paoli, mesure ses propos. « Je n'étais pas libre de partir, mais le rôle du commandant, c'est de rester sur son navire. » Il explique dans un murmure « J'étais très impressionné. On a été comme enfermé. J'avais un peu la trouille. » Vers midi, sous la pression des syndicalistes, le commandant informe du départ imminent du navire. La direction de la SNCM, la capitainerie du port et toutes les autorités refusent ce départ sauvage. Les marins du STC passent outre. Le chef mécanicien est poussé vers la machine. « Faut-il qu'on te casse la tête ? ». L'appareillage précipité fait dériver le navire qui tape le quai. Le commandant, resté à bord sur ordre de sa direction, est finalement « prié » de prendre le Paoli en main. Nul besoin d'imaginer la tension du moment. La lecture des enregistrements de bord fournit quelques réparties parfois brutales.« Discussion animée » comme le présente la défense ou menace, ce qui permettrait éventuellement au tribunal de requalifier les faits en « menaces sous conditions » ?
Le commandant Jean Damiani se gardera bien de faire pencher la balance de la justice. Prudent, il n'a d'ailleurs jamais porté plainte. Et sa compagnie, la SNCM, a depuis belle lurette retirée sa constitution de partie civile. Elle n'a pas plus sanctionné ses marins. Plus étrange, l'État, à l'exception du procureur de la République, n'est pas représenté après avoir évoqué la cour d'assises à l'époque des faits. Seule intention de partie civile au procès, l'Association française des capitaines de navire (AFCAN) semble jouer au trouble-fête. Son avocat, Me Guillaume Brajeux, a expliqué qu'il était là « pour défendre les nombreux officiers qui, depuis 2005, sont victimes de violences physiques ou morales, qui déposent plainte et qui ne sont jamais suivis ». L'avocat a demandé un euro symbolique au nom de l'association. Le jugement a été mis en délibéré au 2 décembre.