Journal de la Marine Marchande : Vous aviez protesté à travers des mouvements de grève contre ce projet de réforme de la manutention. Quelle est votre position aujourd'hui ?
Jean-Yves Sanguinet : Je continue à penser que c'est une réforme complètement irresponsable qui ne vise qu'à un seul objectif : la libéralisation du domaine portuaire avec toutes les conséquences sociales qu'on peut imaginer. On a bien vu ce qui s'est passé avec la réforme des dockers en 1992. Beaucoup de sociétés employant ces dockers et ne pouvant assumer ce surcoût ont dû fermer. Seules sont restées les plus importantes, libres alors d'appliquer une politique ultra-libérale. Au final, 3 000 emplois de dockers ont été supprimés et, par contre, on a assisté à des gains de productivité énormes faits sur le dos de la précarisation d'une profession pour un résultat nul en termes de développement des trafics. C'est sans doute ce qui va arriver avec cette nouvelle réforme.
JMM : Les négociations à Bordeaux pourtant ne sont pas trop mal passées ?
J.-Y. S. : On n'avait pas le choix. On s'est retrouvé face à des opérateurs confrontés à des situations financières précaires et qui n'avaient pas les moyens d'intégrer les 70 agents d'exploitation du port. Il a donc fallu appliquer la loi en construisant un scénario faisant plus appel à l'intelligence qu'à la doctrine politique. On a donc créé cette société dans laquelle le port est partie prenante et l'on a prévu le transfert de seulement 45 salariés. Sachant que l'activité manutention du port est déficitaire, on devait redimensionner cette activité avec une masse salariale moins importante. On court cependant le risque à l'avenir de ne pas avoir assez de main-d'oeuvre pour assurer le service.
JMM : Cela va-t-il représenter un grand bouleversement pour ces manutentionnaires ?
J.-Y. S. : Non, parce que l'on a su se mettre autour d'une table. Toutes les questions sur le recours aux boîtes d'intérim, sur la polyvalence ont été tranchées. La participation du port à la SAS est aussi pour nous une sécurité. Les salariés, en cas de problème, peuvent également bénéficier d'un retour au port pendant 30 ans. Restent lors des négociations à trouver des compromis sur l'organisation du travail. Heureusement, les accords-cadres sont des garde-fous qui remettent en place ceux qui ont les dents longues. Quant aux manutentionnaires restant au port de Bordeaux, des départs progressifs en retraite, dans le cadre du plan amiante, sont prévus dans les deux à trois ans.