Le 29 septembre, près de 80 personnes se pressaient dans les locaux de l'École nationale supérieure des techniques avancées, encore parisienne, pour entendre parler du dernier sujet à la mode: les fumées de navires et les moyens de les rendre moins nocives pour l'environement, en général et le vivant, en particulier. Une mode qui remonte toutefois à 1997 en ce qui concerne les gaz d'échappement nocifs (SOx, NOx principalement).
Bon gré mal gré, tout le monde maritime se met à réfléchir aux voies et moyens de réduire les émissions des navires, sachant qu'à horizon prévisible, le moteur à combustion interne restera le principal mode de motorisation des navires de commerce, qu'il soit couplé à une hélice ou à un groupe électrogène alimentant un POD plus ou moins optimisé.
MAN : on ne peut pas tout faire
Le directeur des ventes de MAN Diesel France, Jean-François Chapuy, a présenté les dispositifs, plus ou moins expérimentaux et volumineux que son groupe propose pour réduire les émissions polluantes ou nocives des moteurs diesel.
Pour réduire les NOx, MAN propose deux méthodes: agir avant la combustion ; et traiter les gaz d'échappement.
Dans le premier cas, il s'agit introduire de l'eau dans les chambres de combustion pour en abaisser la température, soit en formant une émulsion avec le combustible, soit en saturant en vapeur d'eau l'air d'admission. Un pourcent d'eau en plus diminue d'autant la production de NOx. On peut monter jusqu'à 20 %. La saturation en vapeur nécessite cependant de la place pour installer une sorte de « gros ballon ».
Mais la technologie la plus efficace, selon MAN, pour réduire les NOx, est le traitement des émissions par réduction catalytique sélective à base d'urée. Elle comporte cependant plusieurs contraintes: il faut de l'espace ; le coût d'exploitation augmente de 10 à 12 % ; la charge du moteur doit être élevée et constante, ce qui nest pas le cas lors des manoeuvres portuaires ou à quai ; le fioul doit avoir une faible teneur en soufre.
L'alimentation du moteur par une partie des gaz d'échappement, appauvris en O2, est une autre méthode. Si le traitement des NOx semble être maîtrisable, celui des SOx est une toute autre affaire, surtout pour un moteur à deux temps. Il existe bien la solution de laver les gaz d'échappement mais «l'usine à gaz est plus ou moins garantie», concluait Jean-François Chapuy.
Pour le CO2, du point de vue du motoriste, une diminution de la vitesse de 10 % réduit la prodution de ce gaz à effet de serre de 20 % et non pas de 30 % comme la théorie le voudrait car le temps de navigation s'en trouve allonger.
Le POD à pompe-hélice
Si les pods de grande puissance (20 MW) suscitent une certaine méfiance à la suite d'installations malheureuses sur une série de grands paquebots américains, la technologie est bien maîtrisée dès lors qu'il s'agit de moyenne puissance (10 MW), affirme Christian Gaudin, ancien architecte naval des Chantiers de l'Atlantique, en retraite «active» depuis 2007.
Raison de plus pour optimiser le fonctionnement de ce dispositif «élégant». Schématiquement un pod est constitué par un moteur électrique encapsulé dans une sorte de torpille au bout de laquelle se trouve l'hélice. L'ensemble tourne sur 360°, augmentant considérablement la manoeuvrabilité du navire.
Cette manoeuvrabilité permet de réduire le temps de mise en quai du navire ; ce qui favorise une baisse de la vitesse de service en mer libre, donc de la puissance du moteur et ainsi de la production de CO2 et d'autres émissions nocives. C'est ce schéma que Christian Gaudin et Converteam (ex Alstom Power Conversion) tentent de vendre à un exploitant de ferries en Baltique ; mer qui, depuis 2006, est une zone à émissions contrôlées en NOx et SOx.
La grande idée de Christian Gaudin, inventeur de l'hélice-pompe en 2002, est d'installer un stator devant l'hélice aussi qu'une tuyère autour afin d'en augmenter la charge, donc l'efficacité. Toujours selon l'ingénieur des Arts et Métiers, le rendement global atteint-il les 70 %.
Ce pod remplace donc la ligne d'arbre et la chaise porte-hélice, autant d'appendices qui freinent la coque et qui compliquent inutilement la construction du navire. L'utilisation de pod simplifie la conception de l'arrière d'un ferry, augmentant ainsi sa capacité commerciale. L'enthousiasme connu et reconnu de Christian Gaudin n'a cependant pas encore suffi pour convaincre un armateur de sauter le pas. Converteam et DCNS qui ont assuré les études de l'industrialisation du dispositif, se tiennent prêtes à répondre à la première sollicitation ; l'une pour les usages civils ; l'autre, militaires.
La supraconductivité à bord dans cinq à dix ans
D'ici cinq à dix ans, Abdollah Mirzaian, représentant de Converteam, espère bien qu'aura été vendu le premier moteur de propulsion synchrone dont le rotor sera un supraconducteur (résistance électrique nulle mais à très basse température) alimenté en courant continu (et non pas alternatif) par des câbles électriques , eux-aussi, supraconducteurs. C'est dans le cadre du projet européen POSE2IDON (Power Optimised Ship for Environnement with Electric Innovative Designs ON Board) que doit être construit un démonstrateur composé ainsi: deux générateurs d'un MW chacun fournissant du 600 V en courant continu ; d'un moteur de 2 MW simulant le moteur de propulsion ; d'un câble (et ses terminaisons cryogéniques) d'une capacité de 1 800 ampères en courant continu et de divers autres éléments dont la technologie est déjà au point (batteries de stockage ; connexions). Les équipements utilisant la supraconduction sont sortis des laboratoires mais restent rares. Converteam doit ainsi installer en Allemagne au printemps 2010, le premier hydrogénérateur supraconducteur au monde dans un barrage. En avril 2008, une ligne alimentant une sous-station électrique en courant continu a été mise en exploitation sur 600 m aux Etats-Unis.
Outre la motorisation des navires, cette technologie serait applicable pour le transfert à terre, sans perte en ligne, de l'électricité produite par un champ d'éoliennes situé à 50 km en mer.
De quoi susciter d'autres colloques.
Les réglementations applicables
Pour les SOx, l'annexe VI de la convention Marpol adoptée en octobre 2008, prévoit les teneurs maximales de soufre tolérées dans les combustibles marins, selon l'endroit où se trouve le navire. Elle complète une directive européenne de juillet 2005 qui fixe à partir du 1er janvier 2010, un plafond de 0,1 % pour tous les navires restant à quai plus de deux heures, dans un port de l'UE. Actuellement le plafond mondial est de 4,5 % avec une moyenne à 2,7 %. Le taux maximal doit être réduit à 3,5 % en 2012 et à 0,5 % en 2020 ou après (selon une clause de revoyure qui doit avoir lieu avant 2018). En mer Baltique (depuis 2006) et en Manche-mer du Nord (depuis 2007) qui sont des SECA (Sulphur Emission Control Aeras), le taux maximal de soufre est de 1,5 % aujourd'hui. Il passera à 1 % en juillet 2010 et 0,1 % en janvier 2015. Les navires à passagers exploités en Europe doivent brûler un combustible présentant moins de 1,5 % de SOx actuellement ; 1 % en 2010 et 0,1 % en 2015. Selon la même annexe VI, les émissions de NOx sont plafonnées selon trois vitesses de rotation du vilebrequin (moins de 130 t/min ; entre 131 et 1999 t/min ; 2000 t/min et plus) et selon trois dates clefs: avant le 1er janvier 2011 ; entre janvier 2011 et janvier 2016 ; après janvier 2016. Seuls les navires citernes doivent dans les ports ou les terminaux limiter leurs émissions de composés organiques volatils. Il n'existe pas de réglementation limitant les émissions de CO2.
Quelques données de base sur le CO2, les NOx, les SOx et autres particules
Le CO2 est l'un des six principaux gaz à effet de serre (GES) visés par le protocole de Kyoto (dont la vapeur d'eau). Particulièrement stable, la molécule de CO2 a une demie durée de vie de 120 ans (contre 10 jours pour la vapeur d'eau ou 50000 ans pour l'hexaflorure de soufre, un gaz particulièrement efficace en matière d'effet de serre).
Tout atome de carbone (C) qui entre dans un moteur à combustion en sort sous la forme de CO2, que cet atome provienne de fuel lourd (CnH2n+2) ou de méthane (CH4). En supposant que le moteur à combustion interne ait un rendement de «un», il produirait 282 g de CO2 par kWh s'il brûlait du fioul lourd et 206 g s'il utilise du méthane. Le rendement d'un moteur diesel est de l'ordre de 0,5, au mieux.
A horizon de 50 ans, il n'y a guère de raison d'espérer un changement significatif dans la production de CO2 par un moteur dit «propre» fonctionnant aux hydrocarbures.
Dans le transport maritime ou non, la principale solution est «simple»: réduire la puissance de la motorisation. Ce qui est possible en réduisant de la vitesse du mobile, de la résistance à l'avancement de la carène et de celle des superstuctureres dans l'air, sans oublier une optimisation de la propulsion.
Responsables des pluies acides qui favorisent la stérilisation des sols et des mers, la dégradation des façades en calcaire et la libération de métaux lourds, les SOx (SO2 et SO3) ont pour origine la présence de soufre dans les combustibles. En chute dans le monde terrestre depuis la fin des années 80, la production de SOx dans le monde maritime devrait se ralentir avec les nouvelles normes décidées à l'OMI. Il reste un «détail» à régler: fournir en 2015, des fiouls à très basse teneur en soufre (0,1 %). Ce qui nécessiterait un investissement des raffineurs de l'ordre de 400 Md$ (cf JMM du 2-10-2009) que les raffineurs semblent exclure. Question colatérale: quelle quantité de CO2 produira la raffinage du fioul TBS?
Comme les SOx, les NOx (NO et NO2) forment avec l'eau des pluies acides et, comme le CO, peuvent, sous l'effet du soleil, se décomposer en libérant de l'oxygène mono-atomique et de l'ozone (O3), directement toxiques. La production de NOx est proportionnelle à la fois à la température maximale de la chambre de combustion du moteur thermique et au temps d'exposition à cette température. En d'autres termes, un moteur diesel lent produit plus de NOx qu'un semi-rapide à puissance égale. Une norme OMI oblige à une réduction de la production de NOx en fonction du nombre de tours/minute du moteur.
Une partie des particules résulte d'hydrocarbures qui n'ont pas été brûlés du fait d'un mauvais réglage du moteur ou d'un changement de régime de ce dernier. L'autre partie est formée par les impuretées du combustible. Dans tous les cas, plus la particule est petite, plus elle peut entrer profondément dans les bronches pour ne plus en sortir. Les PM 10 (10 micromètres de diamètre ou 10 millièmes de mm) et PM 2,5mm sont, à partir d'une certaine concentration, à l'origine de pathologies pulmonaires et cardio-vasculaires. Certaines sont mutagènes voire cancérigènes.