Jean-Louis Cambon réagit aux propos de Jacques Saadé

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Ècrire (en se référant à l'abolition du régime des conférences au départ et à destination de l'Europe) «... l'irrationalité de cette réglementation tient à son champ d'application limité aux seules compagnies européennes puisque les armements asiatiques ne subissent pas les effets de ces textes», relève de l'inexactitude. Tout armement, asiatique ou européen, qui commerce au départ ou à destination de l'Europe est soumis de façon identique à ces textes et encourt les mêmes risques de pénalité en cas de violation. L'abolition du régime des conférences en octobre ne fait qu'amener le secteur du transport maritime de ligne régulière sous le régime commun que connaissent toutes les autres industries au regard de la réglementation européenne sur la concurrence.

Comment peut-on imaginer une seconde que les chargeurs européens auraient apporté leur soutien à une initiative de la Commission Européenne qui aurait discriminé les armateurs européens par rapport à leurs concurrents asiatiques ?

En ce qui concerne les consortia maritimes, je ne partage pas l'opinion exprimée selon laquelle leur pérennité légale est en danger. La révision du texte de référence a donné lieu à un échange important d'arguments présentés par les différentes parties prenantes : il est clair pour tout le monde, en particulier pour les chargeurs, que ces regroupements permettent de rationaliser les services par un partage des navires, l'accent étant mis sur l'optimisation des coûts, plutôt que sur la maximisation des revenus comme c'était le cas au sein des conférences.

Les consortia sont bénéfiques à la concurrence

Les consortia permettent à des armateurs de taille moyenne, voire petite, de s'impliquer sur des secteurs géographiques où ils n'auraient pas nécessairement la taille critique pour monter un service en propre. En ce sens, les consortia sont bénéfiques à la concurrence. C'est d'ailleurs - dans la discussion sur le seuil de part de marché d'un consortium dans un «trade» donné - la raison pour laquelle un certain nombre de contributeurs ont attiré l'attention de la Commission sur le risque d'une lecture stricte du pourcentage de 30% sur les «trades étroits» (volume annuel inférieur à 1 M EVP et nombre restreint d'opérateurs) qui naturellement créerait une réticence à l'élargissement d'un consortium existant par l'intégration d'un nouveau membre, même de petite taille, et se révèlerait contre-productif.

En la matière, il s'agit de trouver un équilibre entre la mutualisation des actifs qui soutient la recherche du coût optimum et le risque d'une trop forte emprise sur le marché qui pourrait amener un dérapage sur les prix. A cet égard, l'étude menée en Asie-Pacifique par Meyrick et Associates à la demande de l'Apec sur l'activité des consortia dans cette région du monde est un bon révélateur de ce souci d'équilibre. L'annulation des consortia maritimes ne saurait avoir la faveur des chargeurs. Même si la Commission décidait de ne pas renouveler l'accord d'exemption de groupe au-delà de 2015, cela ne remet pas en cause l'existence des consortia, à condition que ces groupements se conforment à la réglementation.

Préserver des armements forts

Aucun doute qu'il faut préserver des armements européens forts, capables de faire face à la concurrence asiatique qui s'est formidablement développée depuis les années 80. Mais, ce n'est pas en revenant à un régime de cartels que l'on y parviendra. La chute exceptionnelle des taux de fret évoquée dans l'article a pour cause unique le déséquilibre sans précédent entre l'offre et la demande, aggravée - il faut bien le reconnaître - par l'attitude inchangée pour une grande majorité d'opérateurs de se faire concurrence sur une seule dimension, le prix...Ce qui engendre une course à la part de marché et une dynamique de représailles devant laquelle nombre d'observateurs restent médusés. Dans cette dynamique, les gains, aussi bien pour les armateurs (en volume) que pour les chargeurs (en prix), sont de courte durée. C'est un jeu à somme nulle, chacun retrouvant quelque temps plus tard sa part de marché initiale avec l'impérieuse nécessité d'aviser par voie de circulaire les chargeurs que les taux de fret doivent être restaurés. Combien de fois dans les négociations de fret constate-t-on que les rôles sont inversés, l'armateur commençant d'abord par s'enquérir de la compétitivité du prix et le chargeur des détails du service proposé? Comment apprend-t-on à vendre un service de ligne aujourd'hui? C'est ainsi que l'on voit des navires de plus en plus sophistiqués transporter des conteneurs dont le fret s'érode, l'érosion résultant - c'est très commun - d'offres cassées non sollicitées.... Continuer dans cette logique de « spirale vers le bas» et de banalisation du service ne peut conduire qu'à l'impasse.

Il faut changer d'asymptote. Ajouter d'autres dimensions que celle du prix à la concurrence. Retrouver du contenu, du «service +» que l'on apprendra à vendre. Plutôt que lancer chaque année des enquêtes de satisfaction, s'enquérir de ce que le client attend vraiment, de ce qui a de la valeur pour lui et le «packager» dans une offre de service sur mesure, à un niveau de prix correspondant à la valeur du service. Contrairement au poncif véhiculé par certains que «les chargeurs ne s'intéressent qu'au prix», je suis persuadé qu'il y a une demande sous-jacente pour des niveaux de service différents liés à des niveaux de prix différents.

Certes, dans l'immédiat, il faut parer au plus pressé, réduire les coûts tout en assurant une aussi bonne couverture de service que possible pour rebondir à la sortie de la crise. Mais ne pas profiter de la sortie de crise pour générer une nouvelle dynamique serait une grave erreur.

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