L'Association des utilisateurs de fret justifie son opposition aux règles dites de Rotterdam en répondant négativement à trois séries de questions.
Le règlement permet-il un rééquilibrage de la relation juridique entre transporteur et chargeur ? Va-t-elle contribuer à la clarification du droit maritime ?
La réponse est non sans équivoque. Trois exemples sont fournis pour conforter cette réponse. Ainsi dans sa rédaction définitive, l'article 12, § 3 portant sur la « durée de la responsabilité du transporteur », conçu à l'origine pour étendre la période de responsabilité du transporteur du lieu de prise en charge jusqu'au lieu de livraison, permet aisément d'aboutir à la définition d'une période minimum de la responsabilité du transporteur en "sous palan /sous palan". Selon la compréhension de l'AUTF, un « contrat de volume » ne semble même pas nécessaire pour déroger au principe posé, une clause intégrée dans le document de transport semble suffisante, en particulier si le contrat de transport est signé des deux parties.
Les règles de Rotterdam vont-elles sécuriser les relations chargeurs transporteurs ? Contiennent-elles de véritables innovations dans cette perspective ? La liberté contractuelle est-elle la solution à tous nos problèmes ?
Le texte final comporte « quelques innovations positives », estime l'AUTF comme la disparition du concept de faute nautique ou l'augmentation de la limitation de responsabilité du transporteur. Le droit de contrôle qui permet de modifier les instructions relatives au destinataire, au port de déchargement ou au lieu de livraison finale est limité par le fait que pour exercer ce droit, l'expéditeur doit avoir conservé un jeu complet de connaissement. Sans compter les frais que le transporteur est en droit de demander en cas de modifications des instructions de voyage.
Mais les chargeurs « refusent » de considérer comme une innovation positive, la liberté contractuelle que permet la signature d'un contrat de volume. La définition de ce dernier est si vague que tout ou presque peut devenir « contrat de volume ». Auquel cas, il devient possible de déroger à la plupart des dispositions des règles de Rotterdam. Or compte tenu des compétences juridiques des chargeurs d'aujourd'hui, et notamment des plus petits (voir encadré), cela devrait tourner au net avantage du transporteur qui, en échange d'une moindre responsabilité, proposera de bons taux de fret. C'est ainsi que la délégation américaine a justifié la nécessité d'instaurer des contrats de volume, rappelle l'AUTF.
Les règles de Rotterdam clarifient-elles le transport multimodal avec un trajet maritime, et contribuent-elles à promouvoir le développement du cabotage maritime ainsi que les autoroutes de la mer ?
Au terme de trois pages d'argumentation, les chargeurs « considèrent qu'il vaut mieux mettre en place un système juridique régional qui fonctionne et contribue à la réalisation de cet objectif, plutôt qu'un hypothétique instrument harmonisé mais totalement inadapté au transfert modal des flux routiers vers le transport maritime intra-européen ».
Les récentes déclarations de la Commission européenne qui a annoncé un projet de texte européen après une évaluation négative des Règles de Rotterdam (voir p. 13) « confortent notre position », conclut le texte de l'AUTF.
Les règles de Rotterdam connaîtront-elles le même sort que celui réservé à la convention HNS ?
Michel Neumeister
Devenus ignorants, nous fûmes absents
Défaillance avouée est à moitié pardonnée. Il faut reconnaître à l'AUTF son franc-parler au sujet du niveau de connaissances juridiques des chargeurs, français ou non. Niveau qui expliquerait l'absence des chargeurs européens dans le groupe de travail de la CNUDCI jusqu'à la fin de 2005.
« Concernant le niveau de conscience des chargeurs sur l'existence des règles de Rotterdam, nous pensons avec une certaine assurance que le pourcentage de chargeurs (hormis les adhérents de l'AUTF) ayant une certaine connaissance de l'existence de ces règles est proche de zéro, tout comme est proche à zéro, leur connaissance des concepts clés de cette convention. Cette situation est le reflet d'une ignorance plus générale des chargeurs de l'environnement juridique qui entoure leurs négociations de fret, ainsi que l'organisation opérationnelle de leurs trafics maritimes. Le transport (et pas spécifiquement maritime) est d'une façon générale de plus en plus considéré comme un élément de coût, et donc confié à des spécialistes d'achat plutôt qu'à des experts du transport maritime comme c'était le cas dans le passé. C'est une situation que nous pouvons vérifier au sein de notre organisation qui représente la fine fleur des sociétés industrielles et commerciales françaises au sein desquelles les cadres en charge du secteur maritime sont pour la plupart ignorant du droit maritime, une situation également constatée dans la majorité des pays européens, y compris dans les pays avec une longue tradition commerciale ».
(...) Hormis les conseils de chargeurs africains, organismes quasi-publics, qui sont entrés progressivement de la discussion grâce à leur statut de délégations officielles, seule une organisation américaine intégrée dans la délégation officielle des États-Unis, a pu assister aux travaux. Aucune organisation de chargeurs asiatiques, moyen-orientaux ou sud américains n'est apparue dans les débats, pas plus qu'ils n'ont, semble-t-il, pris de position vis-à-vis de leur gouvernement ou de leur administration nationale sur cette question.
En revanche, le monde maritime a été fortement représenté soit en tant que « conseillers » plus ou moins officiellement incorporés dans les diverses délégations nationales soit au sein de nombreuses ONG (WSC, BIMCO, CMI, ICS et le P & I clubs, etc.).»