Il existe trois détroits turcs, d'une longueur totale de 164 milles : celui du Bosphore (Istanbul), la mer de Marmara limitée par la séparation de trafic et le détroit de Çanakkale (Dardanelles). Présentant des courbes serrées et rocheuses, ils sont affectés par des conditions météorologiques variables quotidiennement. La navigation est rendue difficile par les courants et contre-courants en surface et en profondeur, les courants traversiers dans les courbes, la pluie et le brouillard. Le niveau de la mer Noire se trouve à 40 cm au-dessus de celui de la mer de Marmara. Les eaux de la mer Noire coulent vers la Méditerranée par le courant de surface, dont la vitesse est accrue par le vent, et les eaux méditerranéennes coulent vers la mer Noire par le courant de fond à travers les détroits turcs. Dans celui du Bosphore, la vitesse du courant nord-sud varie de 4 à 6-7 noeuds. Les courants de surface sont les plus gênants pour la navigation. Ceux de travers dans les courbes poussent littéralement l'avant et l'arrière du navire et rendent la manoeuvre très difficile. En outre, 2 500 traversées ont lieu chaque jour d'une rive à l'autre. Selon le commandant Cahit Istikbal, pilote et vice-président de l'Association internationale des pilotes maritimes, le pilotage est le meilleur moyen de réduire les erreurs humaines, à l'origine de 82 % des accidents maritimes. Seulement 38 % des navires franchissant les détroits turcs demandent un pilote. La proportion d'accidents dus à des navires sans pilote est passée de 85 % en 2007 à 93 % deux ans plus tard.
Accidents et pollutions
Les détroits turcs sont sujets aux accidents et pollutions, comme l'ont souligné Cahit Istikbal et le professeur Bayram Oztürk, président de la Fondation maritime turque, au cours du colloque de l'Institut méditerranéen des transports maritimes (IMTM) tenu à Istanbul les 28 et 29 mai.
Les pétroliers de plus de 200 m de long ne constituent que 5 % du trafic des détroits. Pourtant, deux accidents graves avec marées noires se sont produits dans celui du Bosphore.
Le 15 novembre 1979, le pétrolier roumain Independanta est entré en collision avec le cargo grec Evriyali à l'entrée du Bosphore en mer de Marmara. Il n'y a eu que trois survivants parmi les 46 membres d'équipage de l'Independanta, qui a pris feu et s'est échoué. En outre, 94 000 t de pétrole brut se sont répandues dans la mer sur une distance de 60 milles, entraînant la mort d'environ 17 000 oiseaux de mer et la pollution des zones de ponte des poissons. Une couche de goudron de 46 g/m et de 5,5 km de diamètre a recouvert le fond de la mer. La zone en a été affectée pendant plusieurs années.
Le 13 mars 1994, le pétrolier Nassia et le vraquier Shipbroker, tous deux sous pavillon chypriote, se sont heurtés à la sortie du Bosphore en mer Noire. Vingt-neuf navigants, dont le commandant du Shipbroker, ont perdu la vie dans les incendies qui ont duré plus de quatre jours et interrompu la navigation. Quelque 20 000 t de pétrole brut ont pollué la mer sur 40 milles. Plus de 1 500 oiseaux de mer ont péri. En outre, 4 espèces de crustacés, 6 espèces de mollusques et 9 espèces d'algues n'ont pu être réacclimatées. Enfin, la plupart des baies et des plages ont été couvertes de goudron et de pétrole, certaines pendant plus de cinq ans.
En cas d'accidents plus graves, les détroits turcs pourraient être fermés pendant une durée indéterminée. La mer Noire ne serait plus accessible. La liaison Rhin-Danube-mer Noire serait interrompue, sans compter les catastrophes écologiques. Cahit Istikbal recommande donc : pas de navire sous normes ; pas de passage sans pilote ; pas de navires aventureux qui ne renseigneraient pas les stations de surveillance ; pas de navires chargés de cargaisons dangereuses sans escorte de remorqueurs.
Bayam Oztürk cite d'autres sources de pollution : les composés TBT des peintures antifouling et les eaux de ballast qui véhiculent les espèces exotiques susceptibles de menacer la faune et la flore. Une analyse des étiquettes de déchets sur les plages sablonneuses de la mer Noire a établi que 50 % d'entre elles provenaient de 25 pays. Or, l'annexe V de la convention Marpol 73/78 stipule que tout rejet d'ordures par les navires est interdit dans les mers Noire et de Marmara, désignées comme « zone spéciale » ! Par ailleurs, la pollution sonore des navires réduit la migration des dauphins, qui dépendent du son sous-marin pour communiquer et se nourrir. La pollution des navires affecte la mer Égée, les détroits turcs et la mer Noire, les organismes qui vivent dans le fond des détroits et la biodiversité de la mer Noire. En outre, les espèces de poissons migrateurs comme le tessergal, la bonite et le maquereau peuvent changer de comportement de migration et de zone de ponte. La Turquie, responsable de la liberté de passage en sécurité de tous les navires dans ses détroits, a tous les droits pour établir des mesures nécessaires à la protection de l'environnement et de la biodiversité marine, conclut Bayam Oztürk.
Les terminaux aussi
Les oléoducs, qui acheminent le pétrole des pays riverains de la Caspienne et de la mer Noire, arrivent aux terminaux où viennent charger les navires-citernes. Leurs opérateurs ont donc aussi leur part de responsabilité dans la pollution des détroits. C'est ce qu'a expliqué le professeur Hakan Karan, directeur du département de droit maritime de l'université d'Ankara, lors du colloque de l'IMTM. Les termes de la police d'assurance, que doivent souscrire les opérateurs de terminaux de pétrole et de gaz, ont été promulgués en 2007 par le sous-secrétariat au Trésor.
Pourtant sa couverture exclut le coût des mesures de protection, les dommages à la vie marine, la restauration des dégâts causés à l'environnement, les pertes économiques, le manque à gagner et autres dommages publics. Hakan Karan propose donc la constitution d'un pool de compagnies d'assurances sous l'égide du sous-secrétariat au Trésor.
Le mot de la fin revient à Cahit Istikbal : « Les usagers des détroits turcs doivent participer à l'amélioration de leur sécurité ! »
Un trafic en progression
Selon la Direction générale de la sécurité côtière, le trafic du détroit du Bosphore est passé de 46 954 transits en 1995 à 54 794 en 2005 et la proportion de navires embarquant un pilote de 37,8 % à 45 %. Pour celui des Dardanelles, il y a eu 35 459 transits en 1995 (23,4 % avec un pilote) et 49 077 (32 %) en 2005. Les moyennes journalières de passages de navires-citernes sont passées de 12 (Bosphore) et 16 (Dardanelles) en 1996 à 28 et 24 en 2005. Pendant cette période, les trafics de marchandises dangereuses sont passés de 60 119 t (Bosphore) et 79 810 t (Dardanelles) à 143 567 t et 148 951 t. Entre 1995 et 2005, Les nombres d'accidents sont passés de 4 (Bosphore) et 12 (Dardanelles) à 42 et 20. Il s'agit surtout de collisions (plus de la moitié) et d'échouements (plus du quart). Une comparaison des trafics des principales voies maritimes mondiales avait été établie pour la période 1999-2000 : 100 000 transits pour le détroit de Malacca, contre 48 000 pour celui du Bosphore, 23 945 pour le canal de Kiel, 13 352 pour celui de Suez et 12 755 pour celui de Panama. En 2006, 54 480 navires, dont 10 153 pétroliers, ont franchi le détroit du Bosphore et un peu plus de 48 % avaient un pilote à bord.
Une navigation très réglementée
À l'exception du trafic local, tous les navires transportant des marchandises dangereuses et ceux de 20 m et plus de long doivent se conformer à la procédure de comptes rendus en vigueur dans les détroits turcs (résolution A.851 (20) de l'OMI). Les autres doivent être branchés en permanence sur le canal VHF de leur secteur et suivre les instructions des centres VTS. Les commandants, armements ou agents des navires transportant des marchandises dangereuses et ceux de plus de 500 tjb doivent soumettre leurs plans de navigation écrits aux centres VTS au moins 24 heures à l'avance. Ce préavis passe à 48 heures pour les navires de 200-300 m de longueur hors tout et d'un tirant d'eau de plus de 15 m. Il monte à 72 heures pour les navires de plus de 300 m de long, ceux à propulsion nucléaire et ceux transportant des matières ou déchets nucléaires. Les sous-marins doivent naviguer en surface. La langue de communication est l'anglais avec l'emploi des phrases standard de communication maritime. Enfin, le commandant reste à tout moment seul responsable de la manoeuvre de son navire.