L'histoire sociale du port de Marseille est jalonnée d'éruptions de violence*. Un certain esprit méditerranéen qui prend au mot et à la lettre le rapport de force et une tradition anarcho-syndicaliste qui n'a jamais déserté les rangs ouvriers constituent un terreau favorable à l'action brutale. Surtout lorsque la voie du dialogue et de la négociation se mue en impasse. Le mauvais spectacle s'est déroulé le 29 juin dans l'hôtel de direction du GPMM, à la Joliette. Lorsque qu'une quarantaine de personnes vêtues de tenues du GPMM et cagoulés font irruption dans le bâtiment, le scénario ne fait plus de doute. Le temps de grimper les deux étages qui les séparent du niveau de la direction et malgré les systèmes de sécurité, les hommes armés de hache et de barres de fer saccagent le bureau de Jean-Claude Terrier. Au passage, ils menacent verbalement le directeur général présent : « Toi, tu ne nous feras pas partir, tu ne nous feras pas partir...».
Si l'identité des auteurs de l'opération coup-de-poing n'est pas encore connue - la CGT a repoussé en être l'instigatrice, le saccage est signé. « Cette agression, a indiqué GPMM, est intervenue une heure après que la direction générale eut envoyé aux délégués du syndicat CGT des bassins de Marseille une lettre contenant des propositions » sur les conditions de transfert de l'activité du terminal de conteneurs de Mourepiane (bassins Est) au manutentionnaire Intramar, dans le cadre de la réforme portuaire. Depuis plusieurs mois, des discussions tripartites se déroulent difficilement sur fond de grèves à répétition sur le terminal. Le 3 juillet, les manutentionnaires devraient rendre, conformément à la loi, leurs offres de reprise au GPMM. À L'approche du terme, l'ambiance devient orageuse.
La CGT du port a déploré, dans un communiqué, les dégradations matérielles. A-t-elle été débordée par une partie de ses troupes ? le syndicat a également condamné « l'attitude provocatrice de la direction générale du port, accusant sans aucune preuve notre organisation syndicale d'être responsable des agissements survenus ce matin ». « Nous avons, depuis plusieurs mois, prévenu de l'exaspération grandissante des salariés suite aux discours aléatoires sur leur avenir. Les menaces déclarées jeudi, lors de la dernière réunion, par la direction du port à l'encontre de ses salariés, ne sont pas de nature à apaiser les tensions sociales », a t-il ajouté.
Alors que le GPMM annonçait qu'il portait plainte contre X pour violence organisée, des réactions nombreuses se sont solidarisées autour de la direction de l'établissement public. L'UPE 13 accusait : « Ces agissements de voyous sont inadmissibles et à l'opposé de ce que l'on peut attendre de l'action syndicale et surtout de l'intérêt des salariés et des entreprises ». Elle appelait l'État « à ne pas se laisser intimider et à plus que jamais accélérer l'application de la réforme portuaire, comme dans les autres ports de France ». À Paris, le secrétaire d'État aux Transports condamnait vigoureusement « l'agression inacceptable » survenue au siège du port. « La violence est intolérable. Je demande la plus grande fermeté dans l'instruction de cette affaire », déclarait Dominique Bussereau.
Mais déjà à Marseille, la place spéculait sur l'aveu de faiblesse que comportait la mise à sac du siège du GPMM. « Nous avons connu cela en 1992 avec les dockers et regardez les partenaires qu'ils sont devenus », préférait se souvenir un vieil habitué de luttes sociales sur le port de Marseille. Même si elle n'est pas à l'origine de l'exaction, la voix de la CGT sortira certainement affaiblie de cette action aussi peu glorieuse que désespérée. Elle semble sonner la fin d'une cause perdue.
* Il y a trois mois, des ouvriers de l'Union Naval de Marseille en faillite avaient lancé au visage du directeur général adjoint du GPMM, un casier de sardines et d'oursins.
Intramar trouve un accord avec le GPMM
Intramar serait finalement parvenu à boucler sa proposition en établissant un pré-protocole avec le GPMM pour le transfert des agents et des engins du terminal de Mourepiane. C'est ce qui a déclenché la dernière flambée de violence. Alors que tous les autres manutentionnaires des terminaux conteneurs et vracs solides de Marseille-Fos étaient fin prêts, les agents de Mourepiane se refusaient au commandement unique. Mais ni les grèves, ni les menaces, ne seront parvenu à faire reculer le manutentionnaire « historique » des bassins marseillais pourtant en équilibre financier précaire.
Avec les autres, son offre sera examinée par le conseil de surveillance du GPMM prévu le 6 juillet prochain. Les propositions validées seront ensuite examinées par la commission nationale d'évaluation qui examinera la conformité du prix d'acquisition proposé par les opérateurs. Le processus semble irréversible. Les agents irréductibles l'ont bien compris. Revenant sur la mise à sac du bureau du DG du GPMM, Mireille Chiessa, secrétaire générale de l'Union départementale CGT a ainsi expliqué que « ce qui a mis le feu aux poudres, c'est le caractère obligatoire du transfert de personnel. La CGT du port veut que ce soit sur la base du volontariat ». Dernier recours auquel veulent encore croire les agents de conduite et de maintenance de Mourepiane, ils pourraient refuser à titre individuel le transfert vers la manutention. Les tensions ne seraient pas prêtes à s'éteindre. Le refus de la CGT laissant le GPMM et Intramar, seuls maîtres du jeu.