Journal de la Marine Marchande : Où en est-on aujourd'hui de la mise en oeuvre de la réforme portuaire dans le port du Havre ?
Laurent Castaing : Nous avançons bien. Il y a deux grandes discussions en ce moment : avec les opérateurs de terminaux et avec les organisations syndicales. Du côté des opérateurs, c'est là que nous avons la discussion la plus intense dans la mesure où nous sommes contraints par la date si nous voulons arriver à faire des accords de gré à gré avant le 9 juillet, soit trois mois après la signature du projet stratégique, le 9 avril dernier. De manière à pouvoir prendre les décisions le plus vite possible, nous nous sommes même donnés une échéance au 26 juin qui est la date du conseil de surveillance. Nous bouclons les négociations. Cela n'a pas toujours été facile et il y a eu une véritable négociation avec des moments parfois délicats, mais nous avons pratiquement convergé sur des protocoles d'accord qui prévoient l'organisation générale des conventions de terminal, leur durée (26 ou 36 ans), la vente des outillages et des bâtiments, les transferts de personnel et les conditions annexes. Il faut que cela soit signé le 9 juillet. Plus le conseil de surveillance pourra entériner de décisions, plus nous aurons solidifié les accords, au moins du côté port.
JMM : Qu'est-ce qui est à vendre dans le port ?
L.C : 85 % des outillages pour les conteneurs appartiennent déjà aux opérateurs privés. Seuls quelques portiques publics sont en vente. Pour le vrac, nous avons l'ensemble des outillages à vendre. Dans la réforme portuaire, le transfert porte aussi sur les bâtiments qui sont sur les terminaux et, particularité du port du Havre, nous vendons la dernière couche de terre-plein, celle qui va comprendre les réseaux et les rails. Pourquoi avoir fait cela ? Parce que cela laisse la liberté aux opérateurs d'organiser leurs terminaux comme ils le veulent : nous avons déjà fait ce choix à Port 2000, où les murs de quai et les remblais sont réalisés par l'autorité portuaire, les opérateurs aménageant l'ensemble de la dernière couche. Ainsi, ces derniers ne sont pas prisonniers de réseaux ou de rails qui auraient été posés par d'autres. Pour mettre tous les terminaux à conteneurs sur un pied d'égalité, nous avons mis tout le monde sur une même échelle. Cela ressemble aussi à ce qui se fait dans les ports du nord-ouest européen.
JMM : Et pour le roulier ?
L.C : Nous maintenons le statu quo pour l'instant. Nous restons sur un quai public avec des Autorisations d'occupation temporaire (AOT). Pour ce qui est des deux rampes d'accès aux barges roulières, leur statut n'est pas réglé. Cette décision avait été prise avant que nous entrions dans le vif de la crise. Nous n'avons pas été extralucides, le hasard fait que nous avions, heureusement, décidé de rester dans le statu quo.
JMM : Certains autres outillages vont rester dans le giron du port ?
L.C : Oui, il y a quelques outillages pour lesquels nous n'avons pas vraiment statué : la bigue et d'autres grues. L'ensemble de ces autres grues est promis à la démolition à plus ou moins court terme.
JMM : Combien ces cessions doivent-elles rapporter ?
L.C : Notre évaluation comptable de l'ensemble est d'une trentaine de millions d'euros. Nous devons vendre non pas à la valeur comptable mais à la valeur de marché. Nous devrions, néanmoins, arriver à un montant de cet ordre là. Dans le cadre des discussions actuelles, nous nous mettons d'accord sur un prix avec les opérateurs et la Commission nationale d'évaluation doit confirmer que ce prix est bien celui du marché avant que notre accord puisse être définitivement validé et que nous puissions procéder à la cession. Nous n'avons pas encore transmis nos dossiers ; nous le ferons fin juin-début juillet pour pouvoir présenter directement un prix négocié avec les opérateurs.
JMM : Y aura-t-il un appel d'offres international ou tout trouvera-t-il preneur ?
L.C : Sauf incident de négociation de dernière minute, nous avons eu des candidats pour l'ensemble des installations à reprendre. Nous avons même eu deux candidats sur un terminal. Il n'y aura pas d'appel d'offre si nous allons au bout. Ce qui est bien engagé.
JMM : Au final, moins ou plus d'opérateurs ?
L.C :Il y a juste un endroit où nous avons eu deux candidats : le terminal charbonnier situé à proximité de la centrale thermique. On leur a demandé de s'entendre, ce qui fait naître une entente nouvelle. Ce terminal est actuellement opéré par le port.
JMM : Sur la partie transfert du personnel, où est-on ?
L.C : Les choses ne se passent pas trop mal. Si nous avons eu des discussions serrées avec les opérateurs sur le prix de l'outillage, elles ont été moins serrées sur le détachement du personnel. Une discipline de la communauté portuaire a fait qu'aujourd'hui, les chiffres de personnel détaché devraient être très proches de ceux annoncés dans le projet stratégique : environ 350 personnes dans une direction de l'outillage qui compte 630 agents. Nous aurons un sureffectif d'une centaine de personnes et environ 150 personnes, qui étaient dans la direction de l'outillage, seront reclassées dans le port notamment au niveau des ouvrages mobiles. Il y a eu des discussions pour savoir, par exemple, si les formes de radoub devaient être gardées ; nous gardons les formes et leur exploitation. Nous ne les cédons pas pour un chantier de réparation comme cela se fait ailleurs. Ce sont des choses qui pouvaient être touchées par la réforme mais nous avons décidé de les conserver.
JMM : Quel traitement pour le sureffectif de cent personnes ?
L.C : Personne ne sera laissé au bord de la route. La totalité des personnes trouvera un emploi dans le port. Ainsi, le personnel administratif pourra se voir proposer d'autres postes voire d'autres métiers grâce à un plan de formation ambitieux. Nous allons combler les départs naturels et nous allons sans doute reprendre à notre compte des travaux que nous sous-traitions.
JMM : Il n'y aura pas de plan social au port ?
L.C : Non, tout ceci va s'étaler sur cinq ans. Les organisations syndicales ont montré que les simples départs naturels ne suffiraient pas pour résorber le sureffectif en cinq ans. A partir de là, le principe d'une décision de cessation anticipée d'activité a été acquis. On s'est engagé sur un plan dont l'âge restera à déterminer en fonction du sureffectif demeurant après les reclassements internes. Nous aurons probablement à le faire pour quelques dizaines de personnes.
JMM : Le port sera-t-il majoritaire dans la future filiale de maintenance ?
L.C : Oui, par définition. Nous la créerons avec des partenaires. Nous avons trois candidats potentiels et nous discutons. Ils se présentent séparément et nous ne travaillerons qu'avec un seul. Ce sont des entreprises de taille internationale. Nous avons demandé aux opérateurs de terminaux des engagements de chiffres d'affaires : ils ont proposé des engagements dégressifs sur trois ans qui vont permettre le lancement de la filiale.
JMM : A quelle date le détachement du personnel interviendra-t-il ?
L.C : La réforme portuaire devrait pouvoir être effective au Havre le 1er janvier 2010 si tous les accords sont conclus à l'automne, avec une mise en ?uvre opérationnelle progressive dès le mois de décembre.
JMM : Le détachement du personnel est-il soluble dans le contexte de crise économique ?
L.C : Oui, car le nombre de mécaniciens-conducteurs d'engins détaché correspond au nombre qu'il faut pour traiter le trafic actuel. Pour la maintenance, ce sont des frais fixes : quand on a des portiques, il faut les entretenir quelle que soit l'activité.
JMM : Le climat social vous paraît-il apaisé ?
L.C : Il faut être très prudent. Nous sommes dans une phase active de négociations liée à la mise en place de la réforme au niveau local. Je ne peux pas dire si elle est acceptée ni s'il y aura des soubresauts car beaucoup de gens sont inquiets de l'avenir. Ils savent qu'ils vont devoir changer d'employeur, voire de métiers. C'est une période assez stressante.
JMM : Quand Le Havre touchera-t-il les fruits de la réforme ?
L.C : Cela peut aller très vite. Il y avait un problème de confiance dans les ports français. A partir du moment où la confiance va revenir, des armateurs, qui évitaient Le Havre ou qui ne s'y engageaient pas vraiment, vont reconsidérer leur position. Nous avons des contacts avec des entités qui songent à ouvrir des lignes vers Le Havre et qui n'étaient pas dans notre port
350 agents détachés vers le privé
Au sein du GPMH, la direction de l'outillage portuaire compte 630 personnes. Environ 350 agents seront détachés vers le secteur privé. Parmi eux, 230 mécaniciens-conducteurs d'engins, dont les 54 qui avaient bénéficié d'une mise à disposition dans le cadre des conventions d'exploitation des terminaux de Port 2000. Aux 230 conducteurs, il faut ajouter 100 personnes pour les services de maintenance. Elles seront intégrées dans les entreprises de manutention afin d'assurer la maintenance des outillages, au quotidien. Vingt autres personnes seront affectées à la filiale de maintenance qui sera créée par le port avec un partenaire industriel. 150 personnes de la direction de l'outillage intégreront les autres services du port. Reste 100 agents en sureffectif. Ils feront l'objet d'un traitement social spécifique en interne (lire par ailleurs).