Le roulier représente une base sûre pour Marseille-Fos. C'est même un trafic d'aubaine pour les bassins Est (Marseille) qui s'en sont fait une spécialité depuis l'apparition, dans les années soixante-dix, de cette technique de manutention horizontale. Du bassin de la Joliette au terminal Pinède, sur 4 km de quai, un coup d'oeil sur la douzaine de postes à quai où dominent les navires mixtes ou roro suffirait à s'en convaincre. On y retrouve les pavillons de la SNCM, de la CMN, de la COTUNAV, de Sudcargos (CMA CGM), de Louis Dreyfus, armements qui assurent 85 % de ce trafic de proximité. Lié au trafic passagers (ferries), autre spécialité des bassins Est, le trafic roulier (qui ne comprend pas les conteneurs sur remorques) trouve à plus de 90 % ses fonds de cale sur deux zones : la Corse et le Maghreb.
Réaliser le hub roro du XXIe siècle
Sous l'appellation plus moderne d'autoroute de la mer, l'activité qui rapporte en tonnage le double des conteneurs de Mourepiane, connaît un regain d'avenir. Il existe effectivement des marges importantes pour développer un trafic qu'on pensait borné par l'expansion du conteneur. Il y a deux ans la direction de l'établissement portuaire mettait le dossier au-dessus de la pile. « La qualité de service portuaire est un facteur clé de succès du roro. Un travail avec les manutentionnaires devrait permettre d'améliorer l'efficience et de réduire encore le coût de passage par Marseille ». Le PAM identifiait des marchés à potentiel au premier rang desquels figuraient le Maroc, la Turquie et l'Égypte.
Pour constituer le « hub roro du XXIe siècle », l'arrivée des mega carriers roro était espérée. Afin d'appâter leur venue, le projet d'implanter un terminal d'autoroute ferroviaire sur le terminal roulier sud (TRS) allait dans le même sens. Reprenant la technique Modalhor de transfert quasi direct sur les wagons, un service régulier de trains pourrait recevoir simultanément des camions entiers ou des remorques. Une moyenne de 60 000 remorques par an était projetée. Un tel hub mer-route-fer amorçait une plate-forme pour autoroutes maritimes à partir de laquelle les liaisons directes avec l'Italie et l'Espagne pourraient enfin prendre leur essor.
L'arrivée de GNV a dérangé les positions acquises
La perspective dressée par l'établissement portuaire séduit alors plusieurs opérateurs. En décembre 2007, la Socoma de Charles Emile Loo et Marseille Manutention de Philippe van de Vyvere établissent un joint-venture pour créer un nouveau manutentionnaire, Roro Marseille. Les deux partenaires ont doté la structure commune avec les dockers et leurs moyens de chacun pour intervenir sur un secteur aussi stratégique pour les bassins marseillais. En avril 2008, l'armement italien GNV (Grandi Navi Veloci-Grimaldi Gênes) signe un accord avec le PAM pour la création d'un terminal mixte marchandises-passagers à Marseille. L'affaire Ropax était donc sur de bons rails. C'est mal connaître l'équipe marseillaise qui perd souvent à domicile. Deux mois à peine après son engagement, GNV se retire de la concession du nouveau terminal Ropax. Il promettait 100 000 passagers, 40 000 remorques et un minimum de 4 escales hebdomadaires. Des explications de ce retrait, seul le PAM avancera des questions de gestion (flotte) et d'équilibre financier de l'armement. Mais personne n'y croit. Sur la place marseillaise, le dédit fera curieusement moins d'effet que l'annonce de l'arrivée de l'armement italien.
C'est que les armements marseillais en place sur cette activité de « rente » ont vu d'un mauvais oeil l'accostage d'un concurrent. Le Ropax est « un domaine dans lequel nous avons une légitimité et une pertinence », se défend alors Gérard Couturier, président de la SNCM. Comme leurs patrons, les marins ne se réjouissent pas qu'une compagnie au pavillon italien s'ancre à deux pas de la Joliette. « Laisser venir Grimaldi à Marseille, c'était comme faire entrer le loup dans la bergerie. Parce que la compagnie aurait pu se positionner sur la prochaine délégation de service public sur la Corse. On a déjà eu le précédent avec la Corsica Ferries », attaque Patrice Marty, délégué CGT.
Après les fruits, Sète dévie NGV
Un an, jour pour jour, Grandi Navi Veloci-Grimaldi annonce qu'il va s'installer l'automne prochain sur Sète. L'accueil du port héraultais est tout autre. On lui déroule le tapis rouge. La Région Languedoc-Roussillon va investir 26 M¤ dans une gare avec l'ambition d'atteindre un trafic annuel de 600 000 à 900 000 passagers. Le port de Marseille est une fois de plus débordé. Comme sur la Corse où Toulon a pris la place de leader, Sète va-t-il attaquer le marché de l'Afrique du nord juste après avoir « piqué » le trafic fruits et primeurs d'Agrexco ?
Entre-temps, et comme il l'avait promis, l'établissement portuaire marseillais a su attirer Fastmed Line. La filiale de l'armateur danois Scandinavian Shipping & Logistics vient d'ouvrir un service roulier Marseille-Tunis avec la jeune compagnie tunisienne Med Sea, sur une liaison qui compte déjà pas mal d'armateurs avec la Cotunav, le groupe CMA CGM et LD Lines. D'aucuns jugeront que le résultat ne fait pas le compte. Surtout en regard des grandes ambitions affichées par la place marseillaise avec la Société des autoroutes maritimes du sud (SNCM, Marfret, Sudcargos, CMN et CMA CGM). Il y a déjà six ans, l'autoroute de la mer Fos-Savone sombrait avant même de naviguer et alors que l'Union européenne (programme Marco Polo) avait amorcé la pompe des subventions.
Depuis, le « hub roro du XXIe siècle » semble toujours attendre qu'on le tire de son horizontale.