On ne prête qu'aux riches. À Marseille, on prête beaucoup à la CMA CGM, même si aujourd'hui on sait que sa cotation financière a baissé d'un cran. L'ascension de l'armateur y est admirée. La success story de Jacques Saadé rejaillit sur la ville. Jean-Claude Gaudin sait qu'il s'agit d'une des entreprises qui figure parmi les principaux pourvoyeurs de taxes. De plus, elle porte loin le pavillon de la renommée marseillaise, la meilleure. Le sénateur-maire n'est jamais à court d'éloge et se montre chaque fois reconnaissant d'avoir offert à Marseille et à Euroméditerranée « son nouveau phare ». La tour siège dont la construction s'achève sur le site d'Euroméditerannée, est l'édifice le plus élevé de la ville.
Elle attire les regards et... les suspicions. D'abord celles des syndicats. La CGT se méfie de ce patron tout puissant qui pensait que tout s'achète, la paix sociale comme la réforme portuaire. Le syndicat a plutôt tendance à le diaboliser. Il faut dire que le premier armement de Marseille s'est investi dans de nombreux secteurs portuaires : croisière, manutention, fluvial, ferroviaire, roro, réparation navale et bien sûr conteneurs. Cela inquiète aussi un peu les professionnels qui travaillent à l'ombre du groupe international. « Il peut faire la pluie comme le beau temps », confie l'un d'entre eux.
La CMA CGM sera-t-elle celle qui offrira enfin au port de Marseille son renouveau ? Ici, on le souhaite et on le redoute. À ses débuts et pendant longtemps, Jacques Saadé n'était pas prophète dans sa ville d'adoption. La situation a bien changé. Il est devenu le premier client du port.
Une escale sur dix et le quart des EVP portent sa marque
En consignation directe, il assure 775 escales, un millier si on compte tous les navires où l'armateur charge. Une escale sur dix, tout trafic confondu, porte ainsi sa marque. Sur le conteneurs, il a généré l'an dernier un trafic de 210 582 EVP, le quart des boîtes transitant par les bassins. Un chiffre significatif mais qui ne fait pas de Marseille-Fos un port-hub.
La réforme portuaire remporte l'adhésion sans réserve de Jacques Saadé. Avec la moitié du capital de Port Synergy, il doit jouer un rôle essentiel dans le transfert des agents de conduite du GPMM vers la manutention. Mais à MGM, Farid T. Salem fait la grimace chaque fois qu'on lui présente le déficit d'Intramar. Il faudra blinder et surblinder au pot du manutentionnaire. Et la mise en opération de Fos 2XL approche qui exige d'autres investissements. La CMA CGM a déjà largement misé sur le pré et post-acheminement. Sur le Rhône comme sur les autres fleuves, il est devenu avec River Shuttle Containers (RSC), le premier opérateur. Après avoir flirté avec Veolia Transport, sa filiale Rail Link rêve d'engagement profond avec la SNCF. Dernier épisode avec la réparation navale, là où MSC s'était dérobée devant l'obstacle, l'armateur marseillais est en passe d'hériter de la forme 10, la plus grande de Méditerranée.
Faire bouger toutes les lignes à la fois ?
Ces prochains mois, Jacques Saadé aura donc beaucoup de pièces à mouvoir sur l'échiquier marseillais. Reste à savoir si la stratégie de l'armement sera de faire bouger toutes les lignes à la fois. Une pièce est au moins assurée, sa tour. Contre vents et marées, l'édifice audacieux de 147 mètres de haut conçu par l'architecte Zaha Hadid sera livré fin de cette année pour accueillir les 1 500 salariés actuellement dispersés dans la ville. Le premier rendez-vous avec Marseille ne souffrira pas de retard.