Les 28 et 29 mai, l'Institut méditerranéen des transports maritimes (IMTM) a organisé, pour la première fois à Istanbul, un colloque sur le transport de pétrole et de gaz en Méditerranée et les risques induits.
Contrairement au pétrole, le gaz naturel liquéfié (GNL) est propre, non toxique, deux fois plus léger que l'eau et se dilue rapidement en cas de déversement accidentel. D'après Jean Lemonnier (société Elengy), son pouvoir calorifique est d'environ 20 % plus élevé que celui du fioul lourd, et son prix est de 20 % inférieur. Bref, c'est le futur combustible des navires de croisières, ferries et navires de servitude qui effectuent des trajets courts.
Selon Bernard Francou (Université maritime de Malmö), le centre de gravité maritime du pétrole et du gaz se déplace vers l'Est, où se trouvent les économies avides d'énergie, les ressources et les infrastructures de transport. En effet, l'économie de l'Europe occidentale est mature avec une croissance annuelle faible (1 à 2 %) et importe des produits finis souvent conteneurisés, alors que celle de l'Europe centrale et orientale émerge avec une croissance forte (3 à 7 %) et des besoins énergétiques en hausse. L'élasticité du transport maritime par rapport au produit national brut est de 0,7 pour la première, contre 1,4 pour la seconde ! Les navires-citernes doivent parcourir 3 400 milles entre le canal de Suez et l'Europe du Nord, contre 950 milles jusqu'à la mer Noire pour alimenter l'Europe de l'Est, l'Allemagne et l'Italie du Nord. Chaque année, ils transportent à travers la Méditerranée 420 Mt de pétrole brut en moyenne, dont 35 % viennent de la mer Noire, 25 % de l'Égypte, 18 % de la Libye, 17 % de l'Algérie et 5 % de la Méditerranée orientale. Dans vingt ans, le trafic pétrolier augmentera de 300 Mt et nécessitera 2 500 navires supplémentaires.
Le risque géostratégique
La sécurité des approvisionnements de pétrole et de gaz passe par une « solidarité euroméditerranéenne, plaide Bernard Dreyer, courtier et vice-président de l'IMTM. Istanbul, plus qu'un port, est au centre d'une crise civilisationnelle entre l'Europe nord-occidentale et le Sud méditerranéen. » La Turquie est une véritable « gare de triage » en la matière et se trouve aux portes de 50 % des réserves mondiales. L'Iran dispose de la deuxième réserve de gaz du monde après la Russie, et constitue une alternative au gigantesque groupe Gasprom, « annexe du ministère russe des Affaires étrangères et qui exerce une pression considérable sur les pays qui en dépendent ». Selon Petroleum Economist et Cambridge Energy Research Associates, la Russie fournit en effet le quart du gaz consommé par l'Europe dont, en 2005, 100 % pour les États baltes et la Finlande, 99 % pour la Slovaquie, 80 % pour la Grèce, 73 % pour la République tchèque, 72 % pour la Hongrie, 55 % pour l'Autriche, 53 % pour la Pologne, 35 % pour l'Allemagne et 28 % pour la France. Pour desserrer l'étau de Gazprom, l'Union européenne compte sur le gazoduc Nabucco (investissement de 5 Mde), qui drainera sur 3 300 km du gaz d'Iran, d'Irak, d'Égypte et des pays riverains de la Caspienne à travers la Turquie et le détroit des Dardanelles à partir de 2012. Toutefois, indique Bernard Dreyer, Nabucco se trouve contré par des initiatives de l'Italie, de l'Allemagne, de la Bulgarie et de la Roumanie. Entre l'Europe et la Russie, il s'agit d'un « partenariat obligé », car la seconde doit investir 753 Md$ de 2003 à 2020, soit 11 Mde par an en matière énergétique, dont 33 % dans le pétrole et 26 % dans le gaz.
Sécurité de l'environnement
Le transport maritime d'hydrocarbures, cause de graves pollutions, a donné lieu à diverses mesures au niveau européen, dont le « Troisième paquet en matière de sécurité maritime », publié le 28 mai. « L'Union européenne se veut un modèle en matière de sécurité maritime », a déclaré Gilles Bergot (Commission européenne). Sur le plan pratique, ce paquet prévoit notamment la mise en place d'une formation harmonisée pour le recrutement et la mise à jour continue des connaissances des inspecteurs de la sécurité en mer. « La Turquie joue un rôle essentiel dans le dispositif, car elle est la charnière entre la mer Noire et la Méditerranée, a ajouté Gilles Bergot, qui a précisé que « grâce à son amélioration continue, la flotte turque est désormais sur la liste blanche » du Memorandum de Paris.
Quant à la sécurité en mer, Albert Bergonzo (Centre régional méditerranéen pour l'intervention d'urgence contre la pollution marine accidentelle, Rempec) a indiqué que la deuxième phase du projet Safemed, qui a commencé le 1er janvier 2009, s'étendra du Maroc à la Turquie, sans la Libye mais avec la Jordanie et l'Autorité palestinienne.
Responsabilités juridiques
Qui dit pollution dit recherche de responsabilités. Qu'en est-il en Méditerranée ? Françoise Odier (docteur en droit maritime et administrateur de l'Institut français de la mer) a rappelé qu'il s'agit d'une mer fermée, donc vulnérable par le non-renouvellent de ses eaux. En outre, son trafic commandant l'approvisionnement de l'Europe, il y a donc communauté d'intérêts et de normes applicables. Au niveau international figurent les conventions Marpol, Solas et STCW, piliers de la sécurité maritime du ressort de l'État du pavillon. Au niveau régional, la convention de Barcelone (1976) comporte des protocoles très précis sur la lutte contre la pollution. Enfin, sur le plan local et de manière informelle, « les experts sont capables de préconiser des mesures d'application du droit, pour sécuriser la navigation du pétrole et du gaz dans une mer difficile ».
De son côté, Laurent Fedi (professeur de droit maritime, Euromed-Marseille) a souligné l'ignorance des opérateurs de terminaux en matière de droit maritime, alors qu'ils sont autorisés à charger et décharger des navires-citernes. En outre, ils ne sont pas reconnus dans un cadre juridique universel, contrairement aux armateurs et autres acteurs du transport maritime. Pour améliorer la sécurité et la protection de l'environnement au niveau mondial, Laurent Fredi recommande une approche systémique pour les installations maritimes et portuaires afin de donner aux opérateurs le sens de la responsabilité.
Un observatoire des flux
Pierre Ortolan, ancien pilote de Marseille-Fos, a noté qu'aujourd'hui, « l'information sur les flux est fragmentaire, limitée et non disponible ». En outre, il n'existe guère de mesures globales des flux de navires et de marchandises dangereuses et polluantes permettant d'identifier, d'évaluer et de maîtriser les risques induits. Or, d'ici à 2018, le trafic de la Méditerranée devrait progresser de 18 % pour les chimiquiers, porte-conteneurs et méthaniers, et de 23 % pour les cargaisons de pétrole brut, produits pétroliers et gaz naturel liquéfié. Dans cette perspective, l'IMTM recommande la création d'un « observatoire des flux maritimes en Méditerranée ». Ce dernier aurait pour missions : le suivi et l'analyse des flux des navires et cargaisons ; l'identification des zones à fortes densité de trafic ; l'analyse des risques d'accidents et de pollu- tions ; la préconisation de dispositifs et réglementations ; l'établissement de statistiques annuelles ; et la coordination des politiques de sécurité maritime des États riverains. Cadré par la convention de Barcelone, administré par les États riverains en coopération avec Rempec et l'Agence européenne de sécurité maritime, cet observatoire serait financé par le Programme des Nations unies pour l'environnement, l'Union européenne, les 22 États riverains et enfin les écotaxes sur le navire par escale et par transit sans escale.
Dialogue, vigilance et solidarité apparaissent donc comme les éléments clés de la sécurité en Méditerranée !
Les flux intraméditerranéens de GNL
Le Groupement international des importateurs de GNL a totalisé 416 cargaisons intraméditerranéennes avec des flux prépondérants sur la partie orientale. Il y a 263 cargaisons d'origine méditerranéenne contre 143 venant de l'Atlantique ou de l'Océan indien à destination de ports méditerranéens. Enfin, les flux Nord-Sud en Méditerranée orientale et les échanges Est-Ouest (Libye-Egypte/Espagne) et Ouest-Est (Algérie/Turquie) sont inexistants.
L'IMTM en bref
L'Institut méditerranéen des transports maritimes (IMTM) a été créé en 1967 à Marseille. Il regroupe aujourd'hui 250 représentants du monde des affaires, des collectivités locales, de l'université (géographie, économie et droit) et des professions libérales. À l'origine, purement maritime, il s'est ouvert aux autres modes de transport. Il participe à la formation de 3e cycle du Groupe École Internationale des Affaires et apporte son concours aux Écoles nationales de la marine marchande. Il publie les annales de ses travaux d'analyses et de réflexions et organise notamment un colloque à l'étranger par an : Tunis, Malte, Casablanca, Athènes, Alexandrie, Tanger puis, cette année, Istanbul.
Les flux des produits pétroliers en Méditerranée
La Méditerranée est le carrefour pétrolier des productions des pays de l'ex-URSS, du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, et des consommations des pays européens et méditerranéens, souligne Paul Touret (Isemar). En 2008, le canal de Suez a vu transiter 58 Mt, l'oléoduc Sumed (entre la mer Rouge et la Méditerranée) 87 Mt, les détroits turcs 90 Mt et celui de Gibraltar 220 Mt. En 2006-2207, les flux de passage et d'export de pétrole brut ont atteint 95 Mt pour le Moyen-Orient, 80 Mt pour l'Afrique du Nord et 15 Mt pour la région Russie/Caucase, dont 110 Mt vers l'Europe du Nord et 80 Mt vers l'Amérique du Nord. Parallèlement, les flux internes et entrant en Méditerranée ont totalisé 115 Mt en provenance de Russie/Caucase, 70 Mt d'Afrique du Nord, 60 Mt du Moyen-Orient et 30 Mt de l'Atlantique. Pour le gaz, les marchés sont devenus régionaux à partir de 1995, puis mondiaux depuis 2005. D'après BP, en 2007, 56 % des approvisionnements du nord de la Méditerranée étaient originaires du sud de la Méditerranée, 23 % se sont faits par mer et 56 % des flux maritimes vers le nord de la Méditerranée provenaient d'Afrique du Nord. À partir de 2020, la production de la Syrie déclinera, quand celles de l'Azerbaïdjan, du Kurdistan, de l'Algérie, de l'Égypte et de la Libye augmenteront, souligne Paul Touret.
Raffinage et transport
La capacité mondiale de production de pétrole est passée de 83,4 millions de barils par jour (Mbpj) en 2000 à 89,1 Mbpj en 2008, et la demande mondiale de 76,5 Mbpj à 85,8 Mbpj. Selon Jean-François Cousinié (Union française des industries pétrolières), en 2015, il y aura un excédent d'essence de 18 Mt en Méditerranée, et un déficit de gasoil de 29 Mt, originaire notamment de Russie. En 2009, les rives de la Méditerranée concentrent 12 % du raffinage mondial, soit 495 Mt/an dans 82 ports pétroliers disposant de 82 raffineries inégalement réparties. Ainsi, parmi les dix principaux pays, l'Italie dispose de 17 raffineries (capacité représentant 24,1 % du total), la France de 12 (19,9 %), l'Espagne de 9 (13,9 %), l'Égypte de 9 (7,6 %), la Turquie de 6 (6,9 %), l'Algérie de 4 (5,2 %), la Grèce de 3 (4,7 %), la Libye de 3 (3,9 %), la Croatie de 3 (3 %) et la Syrie 2 (2,8 %). La concurrence en matière de raffinage est faussée, car la réglementation sur la sécurité de l'environnement est moins contraignante au Moyen-Orient qu'en Europe, dont l'avenir est menacé. « Seules les grandes raffineries pourront installer des hydrocraqueurs, les petites vont souffrir », avertit Jean-François Cousinié.
Les accidents sont fréquents dans le détroit du Bosphore et y provoquent régulièrement l'interruption temporaire de la navigation. Les courants transversaux rendent la manoeuvre difficile dans les courbes du détroit. Chaque jour, 157 navires en moyenne franchissent le Bosphore, dont 20 pétroliers, 6 chimiquiers et 2 transporteurs de produits. Selon le commandant Cahit Istikbal, 93 % des navires accidentés n'avaient pas de pilote à bord. Le pilotage n'est en effet obligatoire que pour les unités de plus de 250 m de long. La navigation dans le détroit du Bosphore fera l'objet d'un article plus détaillé dans une prochaine édition du Journal de la marine marchande.