La criminalisation du pilote maritime

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Le secrétaire général de l'OMI est intervenu à plusieurs reprises, notamment devant le Parlement européen (PE), pour faire part de ses inquiétudes face à l'utilisation croissante d'une procédure pénale à chaque événement de mer et à l'introduction de législations nationales imposant des sanctions pénales en cas de pollution par les navires, résultant de négligence.

« criminalisation » ?

Il s'agit d'un processus consistant à faire passer un fait ou un agissement d'une catégorie autre à une catégorie pénale. Pour le pilote, cela se traduit par le fait qu'auparavant, une autre personne était poursuivie (le capitaine ou l'armateur), voire aucune poursuite n'était engagée (infraction mineure ou pression moindre (1)), ou encore la qualification retenue n'était pas pénale (le but est de punir son auteur) mais civile (le but est de réparer les dommages). D'une responsabilité civile pour laquelle un préjudice lié directement à une cause est requis, la criminalisation renvoie à une responsabilité pénale pour laquelle un élément matériel (le non-respect de la loi, même sans dommage) est en principe accompagné d'un élément psychologique (l'intention ou la négligence. Un jugement du 29 janvier 2008 du tribunal de district du Pirée a, dans l'affaire du navire Grande Europa, condamné le pilote et le capitaine du navire pour avoir enfreint les règles de barre de manière négligente. Le navire a simplement heurté un obstacle sous-marin non répertorié par les services hydrographiques mais le tribunal, sans dire quelle règle aurait été enfreinte, a décidé qu'il y avait coupables).

criminalisation ?

Cela est dû à un contexte général provenant d'une baisse du niveau de tolérance du public face aux pollutions marines (depuis les accidents des pétroliers Exxon-Valdez en 1989 aux Etats-Unis, Erika en 1999 et Prestige en 2000 en Europe, il faut punir les pollueurs) ainsi que d'une volonté de prévenir ces pollutions en dissuadant les comportements inacceptables et en éliminant les opérateurs « voyous ». A cela, il faut ajouter le syndrome du 11 septembre.

Quel est le processus conduisant à la criminalisation ?

Il se situe à trois niveaux. Le premier, international, met en oeuvre les règles 4.2 (anciennement 11(b)) de l'annexe I, et 3.2 de l'annexe II de la convention Marpol 73/78 qui ne vise que le capitaine ou l'armateur et uniquement pour des dommages de pollution qu'ils ont causés avec intention, ou de façon téméraire, en sachant qu'un dommage en résulterait probablement (faute inexcusable). L'article 230 de la Convention de Montego Bay ne permet que d'infliger des amendes, à moins que la pollution causée dans les eaux territoriales ne soit intentionnelle et grave. Il ne suffit pas qu'il y ait pollution pour qu'il y ait infraction, et tant la Déclaration universelle des droits de l'Homme que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales assure la présomption d'innocence.

Au niveau européen, la directive 2005/35/CE transpose Marpol en droit communautaire, mais sans tenir compte des remarques de M. Mitropoulos. Elle entre doublement en conflit avec le droit international car elle ajoute la négligence grave comme élément moral de l'infraction pouvant être attribuée à d'autres auteurs que le capitaine ou l'armateur. Un bouleversement majeur est intervenu avec deux décisions (2) de la CJCE, donnant à la CE compétence législative en matière pénale. Le projet de directive, COD(2008)/ 0055, modifiant la directive 2005/35/CE, fixe des sanctions minimales et le rapport de première lecture du PE propose même de s'affranchir du caractère grave de la négligence. Une simple négligence suffira donc pour être sanctionné pénalement. Il faut y ajouter le projet de directive, COD(2007)/0022, où les Etats membres devront imposer des sanctions pénales pour certains actes causant un dommage grave à l'environnement.

Au niveau national, selon une étude du Bimco de 2006, la France, avec son code de l'environnement, serait le régime le plus sévère d'Europe, et les pilotes craignent une application possible à leur égard de son article L. 218-19. En effet, si ceux-ci étaient considérés comme « ayant en fait la conduite du navire », ils pourraient être sanctionnés pénalement pour une pollution accidentelle et seraient considérés comme auteurs directs du dommage au titre de l'article 121-3 du code pénal. Dans le cas contraire, le pilote pourrait cependant être considéré comme auteur indirect, mais pour établir sa culpabilité, il faudrait démontrer qu'il a « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ».

Au Royaume-Uni, où la convention Marpol est strictement appliquée, seuls le capitaine ou le propriétaire du navire peuvent faire l'objet de poursuites pénales pour pollution, et seulement si celle-ci est intentionnelle.

Quels sont les effets de la criminalisation ?

Un des effets possibles, rappelé par M. Mitropoulos, est de dissuader d'embrasser une carrière maritime. Cela serait catastrophique, l'industrie faisant face à une pénurie d'officiers, et le monde maritime étant quasi unanime sur ce point. Un autre effet dévastateur est l'impossibilité, contrairement à la responsabilité civile, de s'assurer pour sa responsabilité pénale. Même si les clubs P&I prennent généralement à leur compte les sanctions pénales infligées aux capitaines lorsqu'il y a absence d'intention, il y a peu de chances de voir la même chose se produire pour les pilotes. Cela pourrait alors entraîner un excès de précaution nuisible à la fluidité du trafic, avec des effets économiques néfastes.

Seule solution : l'assurance protection juridique

La seule solution envisageable pour les pilotes, face à cette vague de criminalisation, est d'envisager le recours à une assurance protection juridique efficace. En effet, seul le recours à un avocat sérieux et réputé pourra permettre à un pilote de se sortir d'une situation dans laquelle il n'aurait jamais dû être mis. Les fonds nécessaires à cette défense juridique étant hors de portée d'un pilote non assuré, l'assurance protection juridique devient alors son embarcation de sauvetage.

(1) A contrario, le capitaine du navire Pacific - Adventurer, qui a provoqué une pollution au large de l'Australie le 11 mars 2009 à la suite de la perte, lors d'un ouragan, de conteneurs ayant percé des ballasts à fuel, a été immédiatement mis en examen alors qu'il semble évident qu'il s'agisse ici d'un cas de force majeure.

(2) C-176/03 du 13 septembre 2005 et C-440/05 du 23 octobre 2007 annulant la décision cadre 2005/667/JHA.

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