Dans le cadre de l'exposition internationale Interspill qui s'est tenue assez discrètement à Marseille du 12 au 14 mai, l'OMI a organisé son 4e forum R & D. Ce dernier étant consacré pour la première fois aux produits chimiques. L'idée était de présenter, durant deux jours et demi, l'état de l'art en matière de pollutions chimiques (HNS -1-) résultant d'un déversement de navire en mer, depuis l'estimation du risque «navire » jusqu'à l'éventuelle indemnisation des dommages, puis de détecter de nouveaux besoins en R & D.
La convention internationale sur la responsabilité et l'indemnisation des dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD/HNS) a été adoptée depuis 1996 sans être à ce jour en vigueur car un certain nombre d'États n'en veulent pas. Par contre depuis le 14 juin 2007, est applicable le protocole HNS-OPRC (Preparedness, Response and Co-operation). Directement inspiré par la convention sur la préparation et l'intervention face à la suite un déversement d'hydrocarbures en mer, le protocole HNS-OPRC constitue un cadre mondial pour la coopération en matière d'anticipation et de réaction face à une pollution résultant d'un déversement de produits chimiques en mer.
Peu de retours d'expérience
Sur le thème « les déversements de substances HNS sont-ils plus ou moins dangereux que leurs équivalents pétrole ? », Michel Girin, conseiller du directeur du Cedre, a expliqué que seuls quelques accidents maritimes ayant concerné des produits chimiques, en vrac ou emballés, ont été correctement « documentés ».
Seule la Méditerranée a bénéficié d'une étude statistique sérieuse couvrant la période 1988-2007. Elle a été produite par le REMPEC, Centre régional méditerranéen pour l'intervention d'urgence contre la pollution marine accidentelle. Au total, 106 accidents ou quasi-accidents ont été répertoriés ; 13 ont entraîné des pollutions de 2 000 t. et plus de produits dangereux ou pouvant le devenir dans certaines circonstances (comme le blé).
Depuis 1947, dans le monde entier, le Cedre a retrouvé la trace de 84 accidents ayant concerné les HNS ; 14 ont eu lieu dans des ports ou à proximité. Certains ont laissé des traces dans la mémoire française : explosion de l'Ocean-Liberty en 1947 à Brest avec un chargement de nitrate d'ammonium ; désarrimage de la pontée mal saisie du Sherbro en 1993 avec dispersion de milliers de petits sacs de pesticide. Mais au total, le nombre d'accidents devrait dépasser les 200, a estimé Michel Girin.
Sur ces 84 accidents répertoriés, 38 concernaient des produits emballés ou conteneurisés. Les spécialistes distinguent les produits emballés et les vracs liquides ou solides. Une fois à l'eau, ces derniers se subdivisent en produits totalement solubles (comme les acides), qui flottent de façon plus ou moins longue ; qui coulent plus ou moins vite ; ou qui s'évaporent rapidement ou non. Un comportement n'excluant pas l'autre. Schématiquement, Michel Girin estime que les responsables de la lutte antipollution disposent d'une vaste expérience en matière d'hydrocarbures ; ce qui est loin d'être le cas pour les HNS. Le retour d'informations est modeste et d'autant plus nécessaire que sa prise en compte est faible lorsque l'on n'acquiert par soi-même cette expérience.
La première difficulté avec un déversement d'HNS commence dès le début : comment le détecter et le suivre. La détection aérienne (voire satellitaire) ne concerne que les produits qui flottent. Et ce qui flotte peut, selon le produit, s'évaporer et faire exploser un hélicoptère en approche pour sauver l'équipage. D'où la nécessité de pouvoir estimer avec une bonne précision la dérive de la nappe et celle du nuage qui s'en dégage, surtout si l'accident a lieu à proximité de côtes habitées ; au large, la problématique concerne principalement l'équipage et les sauveteurs. Une étude est en cours sur ce thème. Elle doit se terminer à l'automne prochain.
Éviter la Galerne
Ainsi le projet « GAz et Liquides Evaporants et Risques de Nuisances Environnementales et humaines », Galerne, associant entre autres Météo France, le BV et Gaz de France, a pour objet de modéliser le comportement de la nappe et du nuage en « mariant » les deux modèles utilisés par Météo France : le mothy, pour les nappes et le perle, pour les nuages. La présentation faite par Météo France a donné lieu à quelques remarques techniques : un délégué a expliqué par deux fois que le comportement d'un nuage de gaz à la surface de la mer est sensiblement différent de celui à la surface du sol à cause, probablement d'un effet de vague ; effet qui n'est pas, à ce jour, pris en compte par les modèles de Météo France. L'utilisation de mothy suppose une bonne connaissance de la courantologie. Tous les États côtiers n'en disposent pas.
MSC-Napoli : l'avant et l'après
Si le comportement dans ou sur l'eau de mer d'un seul produit chimique, quelle que soit sa phase, peut être relativement facilement estimé, les mélanges «aléatoires » inquiètent plus. Or c'est bien ce qu'il risque de se passer en cas d'accident grave de porte-conteneurs. Les règles de ségrégation ont toutes les « chances » de ne plus être respectées. Le transbordement des conteneurs de chimiques du MSC-Napoli a permis aux autorités britanniques de se constituer un certain savoir-faire.
« Mais nous avons eu de la chance car nous n'avons pas trouvé des produits classés IMDG en dehors des 147 conteneurs déclarés dangereux sur un total d'un peu moins de 3 000 » a souligné le représentant de la société Braemer Howells Ltd qui fut chargée de la neutralisation des marchandises classées. Après avoir été triés dès leur débarquement de la barge qui les ramenait du MCS-Napoli échoué, les conteneurs dry étaient acheminés vers une zone éloignée du centre des opérations. Parmi les nombreuses difficultés rencontrées, commençons par la première : celle de l'ouverture des portes. Celles-ci devaient être entravées par des chaînes afin d'éviter que les fûts, par exemple, ne sortent en « vrac ». Autre problème : comment sortir des palettes disloquées et chargées en hauteur alors que de nombreux fûts ne sont plus manipulables. Réponse : il faut découper le toit du conteneur à la cisaille hydraulique et trier les fûts tout en étant équipé d'une combinaison totalement étanche et un masque respiratoire.
Pour rendre les choses encore un peu plus compliquées, l'accès à la zone de traitement ne permettait pas l'utilisation de grues de forte puissance et le sol interdisait l'usage de chariots élévateurs de quai. Il fallut donc utiliser un « déchargeur » télescopique tout-terrain.
Le représentant de la société concluait en insistant sur la nécessité de disposer de personnel bien entraîné, très motivé et capable de s'adapter à une multitude de situations.
Un représentant du Ghana finit par poser la question de savoir comment les États qui n'ont rien ou pas grand chose, peuvent traiter avec une certaine efficacité une pollution marine aux produits chimiques ? Un excellent sujet de R & D pour le 5e forum de l'OMI qui, comme toutes les autres conférences d'Interspill, se tiendra à Melbourne du 12 au 16 avril 2010.
Michel Girin rappela toutefois qu'aux Galapagos, en janvier 2001, les habitants avaient ramassé à main nue, au moins les premiers jours, une partie des 600 t. de fioul léger et les 300 t de fioul intermédiaire qui s'étaient échappées du Jessica, à la suite de son échouement.
1- Rien que cette expression pose un problème. Un représentant de la Maritime and Coast Gards Agency britannique estimant que le pétrole brut est aussi nocif que bien d'autres produits himiques.