« La concertation pour faire en sorte que les choses avancent au mieux des intérêts du port »

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Journal de la Marine Marchande : La situation économique actuelle pèse lourdement sur les trafics. En France, mais aussi en Europe et dans le Monde, les ports affichent des baisses de trafic. Comment se manifeste la crise sur les trafics du Grand port maritime de Rouen ?

Philippe Deiss : La crise est présente partout. À la fin du mois d'avril, nous résistons bien. Nous affichons une progression de 16 % de nos trafics globalement. L'analyse par types de courant montre malgré tout que la situation est plus favorable dans les vracs que sur les diverses. Les vracs solides sont sur une courbe ascendante grâce aux céréales. La bonne campagne actuelle porte ces trafics. Hors céréales, les vracs solides affichent même une croissance de 2 %. Les autres vracs solides progressent globalement de 27,5 %, poussés par le charbon mais aussi les graines oléagineuses. Ce type de produit n'est pas comptabilisé dans les céréales. Le développement de l'usine Saipol pour la fabrication de Diester n'est pas étranger à cette augmentation. Pour les liquides, tous les postes sont au vert. Nous enregistrons une amélioration de 4 %. Les produits pétroliers augmentent de 1,5 %. La structure du raffinage français nous permet d'être bien positionnés pour les imports de diesel et les exportations de produits raffinés. Quant aux autres vracs liquides, ils s'envolent avec une hausse de 12,5 % dopés par les biocarburants. Sur le début de l'année, ces produits améliorent leur score de 33 %

Enfin, les marchandises diverses sont moins à la fête. Globalement ce courant recule. Sur les conteneurs, nous accusons un retard de 26 %. Notre trafic se divise en trois parts à peu près égales : l'Afrique, les Antilles et l'Irlande. Sur l'Afrique, la situation est à peu près étale. Aux Antilles, les mouvements sociaux du début de l'année ont eu des effets importants pour notre économie. Aujourd'hui, la situation se stabilise mais nous comblerons difficilement les pertes. Sur l'Irlande, la crise économique s'est fait beaucoup plus ressentir que chez nous. Nous avons enregistré une chute dramatique de nos mouvements avec ce pays. Et la liste des courants de diverses qui baisse n'est pas terminée. Sur les produits papetiers, nous chutons de 40 %. Ce secteur est un thermomètre de la consommation française. Cette baisse s'explique donc par la conjoncture économique actuelle. De plus, sur Gonfleur, nos trafics de bois étaient liés à une usine de déroulage de panneaux qui a provisoirement fermé ses portes. À cet élément vient s'ajouter un changement profond dans le commerce de bois. Nous assistons de plus en plus à l'ajout de valeur dans les pays producteurs. Le bois est expédié sous forme de planches. Il tend à être transporté par conteneurs. C'est un risque de perdre des trafics pour nous, même si parmi nos partenaires commerciaux, ces pays exportateurs entrent en bonne place. Et pour finir dans ce secteur des diverses, nous souffrons aussi sur la sacherie, farine et sucre notamment. Nous perdons 48 % de ces volumes d'abord parce que les pays importateurs de farine deviennent producteurs et importent moins de farine et plus de matières premières, mais aussi, et cela concerne le sucre, en raison des réglementations européennes. Sur le sucre nous avons souffert, mais nous pensons que nous pouvons remonter.

JMM : Un état des lieux qui paraît plutôt mitigé. Dans ce contexte économique difficile, vous avez entamé, depuis votre arrivée en septembre, la poursuite des négociations avec les partenaires sociaux et commerciaux pour la mise en oeuvre de la réforme portuaire. Le plan stratégique a été adopté par les organes de décision du port. Quelles en sont les grandes lignes ?

Ph.D : Le timing de cette réforme a été serré. Au cours des derniers mois, nous avons eu de nombreuses réunions pour exposer et expliquer la réforme aux personnels et à la communauté portuaire. Nous avons négocié mais nous avons aussi essuyé des conflits sociaux. La mise en place de la nouvelle organisation portuaire ne s'est pas faite sans heurts. Si les premières réunions des conseils de surveillance et de développement se sont déroulées normalement, les autres ont été plus tendues. Dans un premier temps, les partenaires sociaux ont eu une attitude d'opposition de la réforme. Par la suite, ils ont changé en demandant une filialisation de l'outillage. Notre réponse a été claire. Cette option n'est possible qu'après avoir épuisé les autres modalités. La loi est la loi et nous ne pouvons pas y déroger. L'accord-cadre signé par les syndicats en octobre ne prévoit pas de dénaturer la loi mais de donner un cadre d'application local.

Nous discutons sur un transfert de l'outillage de gré à gré. L'âge de notre outillage s'étend de 3 ans à 30 ans, nous avons donc commencé les procédures d'estimations financières de ces engins. Au port de Rouen, nous avons sept terminaux pour lesquels nous entamons des négociations de gré à gré avec les manutentionnaires historiques. Parallèlement, nous avons d'autres terminaux, dont l'activité est réduite, sans opérateurs. Nous lançons un appel à projet sur ces terminaux pour trouver des partenaires commerciaux qui s'engagent sur le développement de ces activités. En résumé, nous avons des contrats qui se feront sur une période de 10 ans ou 20 ans pour les sept terminaux selon les investissements prévus. Notre objectif est de proposer un panachage entre les longues et les courtes durées et d'éviter les abus de position dominante et de conserver des potentiels de développement.

JMM : Ces dispositions visent les matériels. Qu'en est-il du personnel de l'ex-port autonome ?

Ph.D : Quelque 125 personnes sont concernées au port par cette réforme. Parmi ces personnes, 43 mécaniciens et conducteurs d'engins seront détachés auprès des opérateurs de manutention. Une trentaine de salariés sera reclassée au sein du Grand port maritime. Des salariés, au nombre de 23, rejoindront les ateliers de réparation navale du port. Ensuite, dans notre projet stratégique nous avons prévu la création d'une filiale avec une société privée pour la maintenance. Nous estimons que 25 personnes rejoindront cette structure. Nous sommes actuellement en négociation avec une société spécialisée dans la maintenance industrielle. Le port disposera d'une majorité dans le capital. Des départs de fin de carrière sont aussi prévus. Nous avons pris en compte dans nos calculs des départs des personnels en fin de carrière. Entre 2009 et 2013, 90 salariés vont quitter nos services. Nous devrons en remplacer certains et revoir notre organisation. Nous aurons donc besoin de reclasser à terme de nombreuses personnes.

JMM : Au fil des réunions que vous avez eu avec les partenaires sociaux, constatez-vous une évolution dans l'approche des représentants du personnel ?

Ph.D : Nous avons été clair depuis le début, et nous avons confirmé les motivations de la loi, nul ne sera oublié. Nous avons donné toutes les garanties aux salariés. Maintenant, nous devons reconnaître que cette réforme a suscité des inquiétudes parmi notre personnel. Au cours des semaines, nous constatons une évolution. Il existe encore des mouvements sporadiques des partenaires sociaux pour maintenir la pression sur les opérateurs de manutention et le port. Les partenaires sociaux demandent une filialisation de l'exploitation. Les discussions demeurent et nous entrons dans une phase difficile sur les critères de détachement.

Le calendrier dont nous disposons, et qui est prévu dans la loi du 4 juillet, nous laisse jusqu'à la fin de l'année. Nous pensons être en ordre de marche pour 2010.

JMM : Comment réagissent les opérateurs face à ces négociations ?

Ph.D : Nous disposons d'une trentaine d'engins à céder. Tous ne sont pas à reprendre et nous avons bâti notre projet stratégique en concertation avec les opérateurs. Ils nous ont manifesté leur intérêt par courrier. Force est de constater que le travail fournit avec les entreprises et le syndicat local des entrepreneurs de manutention a été riche. Nous avons multiplié la concertation pour faire en sorte que les choses avancent au mieux des intérêts du port, dans le sens de la communauté portuaire.

JMM : Ce projet stratégique doit déterminer les conditions de mise en application de la réforme. La loi lui demande aussi de se pencher sur les orientations à donner au port sur ses trafics, son aspect environnemental, la gouvernance. Ces dernières années, la direction du port de Rouen a milité pour l'approfondissement du chenal d'accès. Quelles sont les dispositions dans le projet de Rouen sur ce sujet ?

Ph.D : L'approfondissement du chenal d'accès n'est pas oublié. Il s'intègre dans le projet stratégique. Nous prévoyons de déposer un dossier à l'automne pour obtenir l'autorisation administrative. Dans ce calendrier, le début des travaux est programmé au début de 2011. Cet approfondissement doit se réaliser en trois phases. La première permettra de remonter de la mer à Port Jérôme à 11,70 m et doit se réaliser la première année. La seconde phase concerne la partie amont du fleuve depuis la courbe de Duclair à Rouen, avec notamment la zone d'évitage. Enfin, nous terminerons par la partie centrale de ce projet. Au final, nous disposerons d'un chenal de 11,70 m à la montée et de 11,4 à la descente, soit un gain d'un mètre par rapport à aujourd'hui.

Ce dossier est lourd dans son approche financière. Nous avons prévu de réaliser la première phase par l'accès des navires à Port Jérôme pour permettre de bénéficier des gains de trafic sur cette portion. Le plan de financement se répartit entre l'État, la Région, le Département, la Communauté d'agglomération et le port.

JMM : Ce projet lourd financièrement est-il encore d'actualité compte tenu de la crise économique ?

Ph.D : Il doit nous permettre d'accueillir des navires de 60 000 t à 70 000 t pour les vraquiers. Pour les porte-conteneurs, cet approfondissement devrait permettre aux navires de repartir à pleine charge à la descente, ce qui est difficile aujourd'hui.

De plus, nous avons lancé une étude sur l'actualisation de l'évolution de la flotte. Selon les premiers éléments en notre possession, il apparaît que nous pouvons étaler les travaux sur un ou deux ans mais le besoin existe. Nous sommes le port de la région francilienne, et cet approfondissement doit offrir des opportunités de massification pour les produits destinés à ce marché.

JMM : Cette massification est synonyme de transport terrestre massifié. Que prévoit le projet stratégique sur cette partie ?

Ph.D : Notre premier constat tient à la perte de nos trafics ferroviaires. Au cours des dernières années, nous sommes passés de 25 % de part modale ferroviaire à 9 %. Dans le même temps, le fluvial a perdu de son volume au profit du pipe line. Dans ce projet, nous avons prévu d'augmenter le fluvial de 25 % en cinq ans. Ainsi, par exemple, sur le trafic conteneurisé fluvial, nous traitons aujourd'hui 50 000 conteneurs. Nous pensons pouvoir passer à 200 000 unités. Nous devons travailler conjointement avec le Port du Havre. À Port 2 000 les conteneurs sont manutentionnés, à Rouen, ils sont traités logistiquement.

Quant au ferroviaire, nous avons créé une structure commune avec le Grand port maritime du Havre pour opérer le réseau ferré portuaire. Nous prévoyons de signer avec RFF une convention pour libérer des sillons, donner la capacité d'aligner des trains plus lourds et offrir une meilleure desserte des terminaux.

La massification des flux ne va pas sans une offre logistique complète. Nous devrions ouvrir dans les prochains jours un second secteur de notre plate-forme RVSL (Rouen Vallée de Seine Logistique). Cette ouverture se fera pour la réservation, la viabilisation des terrains n'est pas encore achevée. Nous aurons 2 fois 40 000 m2 de terrains à offrir. De nombreuses sociétés se sont déclarées intéressées. Notre communauté est reconnue pour son savoir-faire logistique et la présence de nombreux transitaires milite en ce sens. Nous devons travailler en coopération avec Le Havre pour être une base arrière logistique des terminaux havrais.

JMM : Vous citez souvent la coopération avec Le Havre dans différents domaines. Un point sur lequel la réforme a voulu mettre l'accent. Dans le projet stratégique apparaît une dimension de gouvernance. Quelles sont les opérations de coordination entre les ports de Seine que vous souhaiteriez mettre en place ?

Ph.D : Le conseil de coordination entre les ports de l'axe séquanien est une réalité puisque le secrétaire d'État aux Transports, Dominique Bussereau, en a annoncé la création et a précisé qu'il serait présidé par Claude Gressier. Concrètement, nous avons des opérations à mener ensemble. Nous pouvons réaliser des économies d'échelle comme la mutualisation des dragues. Dans deux ans, nous n'aurons qu'une drague pour les deux ports maritimes. Ensuite, nous avons déjà créé une structure ferroviaire commune. De plus, lorsque nous avons présenté devant la région nos projets stratégiques, nous sommes intervenus de concert. Sur la réparation navale, nous avons des synergies à trouver. Notre politique environnementale est également commune. Cette coordination est en marche. Nous réfléchissons aujourd'hui à des prises de participation croisées dans des plates-formes situées le long de l'axe Seine-Nord. La coordination prévue par la réforme portuaire est en marche en Seine.

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