Une prérogative de l’État

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Le vice-amiral Xavier Magne, sous-chef d’état-major de la Marine chargé des opérations aéronavales, a accordé un entretien au Journal de la marine marchande le 9 février.

JMM: Pouvez-vous définir les missions de la Marine nationale pour lutter contre la piraterie?

Xavier Magne: Il n’y a qu’une seule mission de lutte contre la piraterie. Les tâches sont différentes: accompagnement, escorte et patrouille dans la zone pour savoir avant d’agir. La partie surveillance est assurée par le bâtiment sur zone et l’avion de patrouille maritime stationné à Djibouti pour les missions de lutte contre le terrorisme et les actes de piraterie. Les informations collectées et utiles pour les bâtiments, engagés dans la lutte contre sur la piraterie et le terrorisme dans le golfe d’Aden, passent dans un circuit commun à tout le monde. Trois organisations regroupent les bâtiments sur zone: la Task Force 150 (volet maritime de l’opération Enduring Freedom de lutte contre le terrorisme); l’opération Atalante, qui compte quatre bâtiments européens de la Grèce, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne; la Task Force 151, pendant américain de l’opération Atalante, constituée de deux bâtiments. Le Standing NATO Maritime Group, composé d’une dizaine de bâtiments, a passé quelques semaines dans le golfe d’Aden en décembre et va revenir en tenant compte de la clause « opting out » de l’Alliance Atlantique, qui autorise certains membres à retirer leurs bâtiments de la force dans certains endroits.

Tous ces bâtiments passent leurs informations les uns aux autres dans une certaine mesure. La surveillance implique donc beaucoup de mobiles (bâtiments et aéronefs), auxquels s’ajoutent ceux de la Russie, de la Chine et de l’Inde qui assurent une présence sans forcément rendre compte aux autres. Il y a des contacts avec les bâtiments russes et indiens qui souhaitent une synergie en matière de renseignements. La présence de nombreux bâtiments permet un maillage plus fin.

JMM: Quelles sont les règles d’engagement des forces pour un bâtiment, un hélicoptère et les commandos à bord de zodiacs?

X.M.: Chacune des forces a ses propres règles d’engagement. C’est la légitime défense élargie, c’est-à-dire l’emploi de la force en cas de légitime défense. Par exemple, un hélicoptère a lancé des leurres devant une embarcation de pirates, qui ont compris que c’est dangereux et qu’ils risquent d’être coulés. Si une équipe de protection est attaquée par des pirates, sa riposte doit être immédiate, sinon ce n’est plus de la légitime défense. Si les pirates ouvrent le feu sur nous, on peut répondre « à niveau ». Si on coule leur bateau, ce n’est plus de la légitime défense. C’est le cas d’une frégate indienne qui a coulé un bateau de pirates dans le golfe d’Aden: il n’en est pas question de la part d’un bâtiment français. Pour les forces américaines, les règles d’engagement sont proches des françaises. Elles ne font pas toujours usage de leurs armes. Les États-Unis sont très respectueux du droit de la mer. Lors de la capture de douze pirates, il y a eu un mort et les onze survivants ont été gardés à bord pendant trois mois.

JMM: Une résolution de l’ONU n’autorise-t-elle pas l’usage de la force?

X.M.: Oui, pour stopper les pirates, pas pour les « canarder ». Un bâtiment ne fera rien contre une petite embarcation. Un hélicoptère effectue des tirs de semonce, mais uniquement devant l’embarcation qui s’arrête ou change de cap, annihilant ainsi l’attaque. Dans les zodiacs, il n’y a pas de commandos mais des fusiliers marins du bord ou venus en renfort de métropole et issus des groupes régionaux d’intervention. Tous sont formés à l’usage de l’arme individuelle. Si une équipe de visite sur zodiac essuie des coups de feu, elle revient. Le commandant du bâtiment est en contact avec l’état-major des Armées ou Alindien (amiral commandant les forces françaises en océan Indien) qui lui donne le feu vert pour l’étape suivante. Une échelle de délégation existe en fonction de la sensibilité de l’action. Plus c’est sensible, plus c’est haut, c’est-à-dire politique et ça remonte à l’état-major des Armées et l’Élysée.

Quand c’est techniquement sensible, le commandant du bâtiment peut ordonner le tir au but.

C’est politiquement sensible quand il y a un léger doute sur le bateau-base des pirates: ne serait-ce pas un navire détourné? Le commandant du bâtiment se met alors en contact permanent avec le commandant opérationnel, Alindien. En cas de tir sur une équipe de visite, cela monte jusqu’au chef d’état-major des Armées. Tout se fait en temps réel. Autre cas politiquement sensible, un bateau base de pirates à la limite des eaux territoriales yéménites où n’existe pas le droit de poursuite dans les eaux territoriales.

JMM: Quels sont les moyens français engagés dans le golfe d’Aden, à savoir bâtiments, aéronefs, effectifs et relèves, et quel est le rôle de la base de Djibouti?

X.M.: Il y a actuellement (à la date du 9 février) trois bâtiments: la frégate de lutte anti-sous-marine Jean-de-Vienne avec son hélicoptère et le patrouilleur de haute mer (aviso) Commandant-Ducuing déployés dans la Task Force 150, la frégate de surveillance Floréal intégrée à l’opération Atalante et enfin l’avion de patrouille maritime basé à Djibouti. Cela fait globalement 500 personnes, y compris le Commando (compagnie de commandos Marine) tournant à Djibouti, auxquelles s’ajoute le groupement d’intervention régional pour constituer les équipes de protection embarquée. La relève se fait tous les quatre mois pour assurer une permanence sur zone. Djibouti est une base de soutien, où relâchent les bâtiments pour les opérations d’entretien et de réparations et où s’effectuent les flux logistiques et les relèves de personnel. La lutte anti-piraterie y a augmenté les autres activités maritimes qui utilisent beaucoup de quai sdans le port autonome. Cela donne à Djibouti une plus grande sécurité et un statut de partenaire stratégique dans la région.

JMM: Quelle est l’articulation des moyens français engagés dans l’opération européenne Atalante vis-à-vis du quartier général à Northwood et sur zone?

X.M.: Les moyens sont désignés par le chef d’état-major des Armées qui en a transféré le contrôle opérationnel à Atalante. Il faut différencier le commandement opérationnel du contrôle opérationnel. Le commandant opérationnel définit la mission et affecte les moyens. Le contrôleur opérationnel à Northwood reçoit les moyens et dit comment on fait et ne peut affecter d’autres moyens. Il devra se débrouiller pour faire « au mieux ». Le commandant tactique conduit l’opération, agit localement. Si des moyens sont mis au service d’une coalition, le REP (représentant de la) France, à savoir Alindien, garantit qu’ils seront utilisés conformément aux directives et vérifie que les « lignes rouges » ne sont pas franchies, comme la destruction d’un bateau-base ou discussion s’il y a un doute. Il y en a eu pour la Task Force 150: lutte contre le terrorisme ou contre la drogue? Dans ce cas, on « fixe » le bateau litigieux et le contraint à stopper en attendant l’arrivée d’un bâtiment ayant un mandat adapté. Les « lignes rouges » sont politiques. Il faut éviter des incidents diplomatiques par la suite, éviter que la France soit entraînée là où elle ne veut pas aller.

Sur zone, il n’y a pas de problème grâce à la fonction de REP France qui permet d’agir en coalition.

JMM: Y a-t-il coordination avec les forces américaines sur zone, en termes de renseignement et d’action?

X.M.: Par principe, il y a coordination. On s’informe sur ce qu’on fait pour éviter les interférences. La coopération consiste à agir en se répartissant les tâches. Avec les Américains, il y a coopération pour l’action, car le golfe d’Aden est trop grand. Tout seul, on ne peut rien faire. Pour le renseignement, il y a coopération avec beaucoup de pays. Pour l’action, c’est plus difficile car le rayon d’action est très court. Celui d’un hélicoptère est de 15 minutes. Nous partageons les informations avec les forces américaines, conformément au système OTAN où on échange beaucoup. Au niveau de la coopération, le commandant sur zone connaît les règles d’engagement de chacun des participants. La France donne toutes ses informations. Les États-Unis ne donnent pas toujours toutes les leurs, car ils ont d’autres sources, notamment par le réseau Echelon (système mondial d’interceptions électroniques des communications privées et publiques, élaboré par les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande dans le cadre d’un traité américano-britannique), dont les informations ne sont pas partagées.

JMM: Y a-t-il coopération avec les bâtiments des autres États non riverains, à savoir de la Russie, de la Chine, de l’Inde, du Japon et de la Malaisie?

X.M.: C’est de la coordination. Si on a le feu vert politique, on discute localement avec échanges de programmes d’activités, mais on évite d’intervenir quand quelqu’un tire. Pas de problème avec le Japon, car il rentrera dans la coalition. Entre l’Inde et la France, les liens sont plus souples. La Russie peut intervenir à intervalles avec la France. Les Chinois font ce qui leur plaît avec des « boundaries » (lignes de démarcation). S’ils ont besoin de nous, ils viendront, sinon, leur efficacité est proche de zéro. C’est le seul pays membre du Conseil de sécurité de l’ONU qui se contente d’être présent sur zone pour se donner un rôle mondial. Ils vont apprendre les difficultés liées aux déplacements éloignés et la nécessité d’une logistique adaptée.

JMM: Quelles sont les relations avec les bâtiments des pays riverains, Égypte et autres?

X.M.: Les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et l’Allemagne font des efforts pour aider le Yémen à construire une Marine avec des gardes-côte pour faire respecter l’ordre, notamment dans l’île de Socotra qui lui appartient. C’est un État vacillant, il faut empêcher qu’il s’effondre comme la Somalie. Il n’y a aucune action avec le Soudan. L’Arabie saoudite n’opère qu’en mer Rouge. L’Égypte se méfie des pays riverains. Elle ne fait pas grand chose, sauf des patrouilles dans la zone du canal de Suez qui représente 25 % de son produit intérieur brut.

JMM: Quid des pirates capturés? Seront-ils toujours remis aux autorités de la province semi-autonome du Puntland? Y a-t-il des accords en négociations avec d’autres pays de la région pour qu’ils y soient jugés, comme en ont conclu les États-Unis et la Grande-Bretagne avec le Kenya?

X.M.: On a récupéré six pirates après la libération du Ponant et six après celle du Carré-d’As. Ils sont aux mains de la Justice. Pour les autres, on a défini un cadre préalable résultant d’une décision politique. Il faut l’intervention du ministère des Affaires étrangères pour les transférer en toute sécurité pour leur vie. Le droit maritime est l’un des plus complexes au monde. La convention de Montego Bay prévoit les cas de piraterie. Pour agir, il faut le transcrire dans le droit national. C’est fait partiellement en France, mais pas toujours ailleurs et de façon très disparate selon les pays. Un projet de loi est à l’étude en France sur l’emploi de la force en mer, qui profitera à la lutte contre la piraterie et les narcotrafics. En Somalie, le gouvernement fédéral de transition se trouve à Mogadiscio, soit à quatre jours de voiture aller-retour du Puntland… où vivent les pirates!

La France négocie des accords avec le Yémen, le Kenya et la Tanzanie. Mais, le cœur de la réponse se trouve en Somalie. Si les pirates somaliens sont transférés dans d’autres pays, ils deviendront des déracinés, donc il vaut mieux traiter avec le pays d’origine. Le Kenya étant limitrophe de la Somalie, les pirates peuvent rentrer chez eux.

JMM: Y a-t-il eu des embarquements de commandos à bord de navires marchands lors de leurs transits dans le golfe d’Aden, contre paiements à la Marine en bonne et due forme?

X.M.: Systématiquement, quand un navire civil demande protection, la Marine suggère une protection embarquée. La décision appartient au Premier ministre, mais les armateurs sont réticents. Pour la Marine, c’est la seule garantie, vu la durée d’une agression. La seule solution, c’est d’avoir des fusiliers à bord. Les armateurs prennent à leur charge les surcoûts comme les déplacements à partir de métropole. Ils sont très coopératifs avec les sociétés militaires privées. Pour la Marine, et nous insistons, c’est notre meilleure solution, la garantie que les pirates ne prennent pas pied à bord. Nos gens feront augmenter la vigilance, assureront un rôle de pédagogie et repousseront les assaillants. Ils sont habilités à utiliser la force régulée, car c’est un contrôle de l’État. Il n’est pas possible d’avoir un bâtiment en permanence à proximité et il n’y a pas de préavis de l’attaque de pirates au milieu d’une flottille de pêche. On n’a rien de meilleur! La négociation au coup par coup se fait avec le commandement de la Marine. L’enjeu économique est important.

Les États-Unis ont une philosophie différente. En France, on est contre les sociétés militaires privées, car l’usage de la violence doit être contrôlé par l’État. Pour les Américains, c’est la logique de la construction des États-Unis: tout individu a droit à une arme et à s’en servir, d’où la logique d’avoir une société militaire privée à bord. En France, on est contre, car c’est mettre la mer à feu et à sang à terme. Pour la Grande-Bretagne, la lutte contre la piraterie remonte à la tradition du XVIIIe siècle quand « on pendait les pirates aux vergues, haut et court », car ils ne faisaient pas de quartier! Mais aujourd’hui, les pirates respectent un code d’honneur: il ne faut pas faire de mal aux otages.

JMM: L’opération Atalante ne concerne que le golfe d’Aden. Qu’en est-il de la piraterie ailleurs dans le monde?

X.M.: Pour qu’il y ait piraterie, il faut un gain et un endroit pour s’abriter. Aujourd’hui, la Somalie est un État faible. Si un État s’effondre, il y a potentiel de piraterie. Par exemple, en Afrique occidentale, les tentatives existent dans des pays fragiles comme la Guinée, la Guinée-Bissau et le Bénin.

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