Le Ponant, sang-froid et capacité de résistance

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Patrick Marchesseau, commandant du Ponant et officier de Marine de réserve, a fait part de son expérience au cours d’une conférence, organisée à Paris le 3 février par le Centre d’études de la mer (CETMER) et l’Institut français de la mer (IFM).

Précautions d’usage

L’équipage de 30 personnes a embarqué le 30 mars 2008, sachant qu’il allait traverser une zone à risques. Les précautions d’usage ont donc été prises: distance minimum 200 milles à l’est de la Somalie; navigation le plus loin possible des deux côtes dans le golfe d’Aden; vitesse, 10-11 nœuds tous feux éteints; cordages dans le sillage pour qu’ils se prennent dans les hélices des « skiffs » (embarcations rapides); deux membres de l’équipage en veille à l’arrière. En cas d’alerte, un homme sera positionné sur le pont avec une manche à incendie. Les sept femmes du bord seront cachées au fond du navire. Le commandant était plus méfiant que d’habitude, car le bulletin d’informations d’Alindien (amiral commandant la force navale française itinérante en océan Indien) avait annoncé une recrudescence des vols.

Prise d’otages le 4 avril

À midi, un palangrier yéménite de 40-50 m de long est aperçu au milieu du golfe d’Aden à 80 milles au large des côtes, au droit du Ponant. Le commandant décide de le contourner à 11 nœuds au moteur, à environ 4 milles par le sud. Le vent venant du sud-est, il se trouverait en effet face au vent, donc gêné. 45 minutes plus tard, deux skiffs se dirigent vers Le-Ponant. L’alerte générale est déclenchée: tous les hommes sur le pont et les femmes au fond du navire. D’ordinaire, le commandant d’un navire poursuivi par des pirates fait faire des va-et-vient en zigzag pour créer un sillage perturbateur. Or, « les skiffs se sont collés au milieu du navire, là où ça ne bouge pas, indique Patrick Marchesseau, ils en avaient l’expérience! » Malgré les lances à incendie, les pirates tirent à la kalachnikov. Le commandant fait replier l’équipage à l’intérieur et presse le bouton d’alerte à la terre pendant 30 secondes. « On ne sait pas si ça passe. J’ai appelé Alindien au téléphone et lui ai donné ma position. Quand j’ai raccroché, les pirates étaient à la passerelle. En 10-15 minutes, ils nous ont pris d’assaut ». L’équipage est rassemblé au pont supérieur. Les présentations sont faites et un pirate s’adresse au commandant en baragouinant l’anglais. Que veut-il? De l’argent? Le coffre ne lui suffit pas. Le-Ponant continue sa progression à 4 nœuds. Patrick Marchesseau demande trois hommes d’équipage pour assurer la veille pendant le trajet vers la Somalie. Une troisième embarcation arrive et annonce qu’un de leurs hommes est tombé à l’eau. Dix minutes après, les recherches sont abandonnées car l’homme est considéré comme mort. 45 minutes après l’assaut, un hélicoptère canadien apparaît et tient Le-Ponant sous surveillance, rassurant ainsi l’équipage. Les pirates prennent tous les appareils et jouent avec. Quelques jours plus tard, ils rendront les postes VHF portables, qui permettront ainsi à l’équipage de communiquer avec l’extérieur par le canal 69. De son côté et à l’insu des pirates, le commandant est parvenu à lancer des messages par VHF sur le canal 16 (canal d’urgence à l’attention des bâtiments militaires) en disant « équipage sain et sauf ». Il a aussi diffusé des informations et confirmé le détournement du navire à la Compagnie des îles du Ponant, filiale de CMA CGM. En outre, « pour ralentir la progression, j’ai fait faire un stop moteur et on a simulé une panne », continue Patrick Marchesseau. Le-Ponant repart vers la Somalie à 8 nœuds pour se faire rattraper par les bâtiments militaires. À la nuit tombante, une frégate apparaît, puis l’écho radar d’un deuxième navire. L’éclairage est adapté au cas où un assaut serait lancé.

Le soir à la passerelle, le commandant a engagé une conversation avec un garde somalien. Ce dernier avait perdu son père. Sa mère a disparu. Il a été enrôlé à 17 ans.

Le 5 avril à 3 heures du matin, Le-Ponant atteint la Corne de l’Afrique et, 24 heures après l’assaut, arrive à unepremière destination.

« Problème, ma famille et les filles au fond du navire, poursuit Patrick Marchesseau, j’ai décidé de ne plus penser à ma famille, car ça me déstabiliserait. Pas question de dévoiler la présence des femmes à bord! Je suis resté 24 heures non-stop à la passerelle ». Lors d’une pause à 16 heures, le chef des pirates l’appelle et le met face aux femmes du bord… sorties de leur plein gré! « Elles nous croyaient morts et étaient conscientes de se faire violer et tuer. Or, les pirates m’ont accusé d’avoir maltraité les femmes! ». D’abord, les pirates exigent la séparation des hommes et des femmes puis acceptent que tout le monde soit ensemble « Ça a donné du « peps » au moral! ». Tout l’équipage logeait dans le salon, couché sur le sol et les banquettes.

Le 6 avril au soir, Le-Ponant doit quitter l’endroit défini pour trouver un interprète, en raison de l’hostilité des villageois. Il y a même un échange de coups de feu avec deux morts du côté du village.

Le 7 avril au matin, au deuxième mouillage à un mille de la côte, l’interprète des pirates monte à bord pour négocier la demande de rançon. En raison des allées et venues régulières, 20 à 25 Somaliens se trouvent à bord. Parmi le commando qui a mené l’assaut, l’« officer one » est mandaté par quelqu’un à terre, dont il suit les instructions: un « captain » ou un « chairman ». L’organisation compterait 400 personnes, avec un groupe à Aden et l’autre sur la côte somalienne. « Comme il y avait cinq interlocuteurs, il était difficile de savoir qui était qui ».

Pendant deux jours, les négociations avec l’armateur se poursuivent, afin de gagner du temps et faire venir des moyens sur place. Le commandant dort un peu pendant la période négociations et se fait remplacer à la passerelle par son second ou un lieutenant.

Estimant trop faible le montant proposé par l’armateur, les pirates veulent couper les communications pendant dix jours! Une heure après, Patrick Marchesseau propose de reprendre les négociations. Le chef lui laisse une dernière chance: un seul appel, pas plus. « Les Somaliens sentent une menace d’assaut militaire. Des renforts montent à bord avec des mitrailleuses et j’ai deux mitraillettes pointées sur moi ». Les Somaliens disent non, mais ne proposent rien en échange. L’armateur accepte finalement une rançon de 2 M$ en espèces et versée sur place. Il propose de libérer l’équipage et de procéder à la remise de la rançon en mer entre Le-Ponant et un bâtiment militaire. Or, les pirates exigent aussi une garantie pour retourner à terre, alors qu’au début, ils voulaient tout: le navire, l’équipage et l’argent qu’ils voulaient se répartir à bord. « J’avais cinq interlocuteurs d’avis différents. Le temps et la fatigue ont joué en ma faveur. Tôt le matin, je n’avais plus que deux interlocuteurs qui proposent la libération de l’équipage et que je reste à bord jusqu’à ce que l’argent arrive ». Patrick Marchesseau parvient à convaincre l’armateur. La libération est prévue pour le 11 avril à 9 h, selon les conditions suivantes: 6 Somaliens restent à bord, 6 récupèrent l’argent et tous les autres doivent quitter le navire. le commandant propose aux pirates de leur prêter un zodiac pour qu’ils puissent récupérer leur embarcation.

Dénouement le 11 avril

Une diffusion générale informe les pirates qu’ils peuvent quitter Le-Ponant. Ils partent avec tout ce qu’ils peuvent embarquer. Par chance, le commandant récupère une valise… qui contient des ordinateurs portables de l’équipage!

Les trente membres de l’équipage sont alignés sur le pont supérieur pour être visibles de la frégate Jean-Bart qui les compte mais déclare qu’il en manque trois. « J’ai dû convaincre les militaires qu’on était bien trente! Il n’y a plus que deux interlocuteurs: le Jean-Bart et le traducteur qui attend la rançon ».

Les embarcations sont mises à l’eau pour le transfert d’argent. Soudain, les Somaliens aperçoivent des points noirs. Ce sont des embarcations militaires. « J’ai demandé au Jean-Bart qu’elles ne s’approchent pas. Après plusieurs échanges « diplomatiques », je crie: « Les Somaliens ne sont pas cons, ils ont vu vos zodiacs! » précise Patrick Marchesseau.

Une fois l’argent reçu, l’interprète donne l’ordre de libérer 29 membres d’équipage qui ont embarqué en direction du Jean-Bart, en couple avec l’embarcation qui devait récupérer la rançon. Puis, une partie de la rançon est transportée à terre. Ceci fait, les gardes somaliens restés sur Le-Ponant ont été récupérés par une embarcation des pirates. Patrick Marchesseau reste encore 45 minutes sur Le-Ponant, puis, sur ordre de la Marine, saute à l’eau, est récupéré par le zodiac qui avait apporté la rançon et rejoint le Jean-Bart.

Les hélicoptères de divers bâtiments sont intervenus à terre et ont fait six prisonniers et récupéré l’autre partie de la rançon, à savoir un sac que les pirates avaient jeté à la mer.

Relation avec les pirates

Les pirates à bord, tous des hommes, ont une vingtaine d’années et leurs chefs entre 35 et 40 ans. Ils consomment une drogue, le kat, qui les tient éveillés et sont motivés par l’appât du gain. Selon Patrick Marchesseau, ils deviennent maladroits en cas d’inconvénient et tirent par négligence. Ils jouent avec une kalachnikov comme un enfant joue avec un pistolet en plastique.

À une question sur le syndrome de Stockholm, c’est-à-dire une relation confiante entre l’otage et ses ravisseurs, le commandant du Ponant répond: « J’ai essayé de comprendre leur motivation et de définir un interlocuteur. J’avais besoin d’eux et eux de moi pour faire avancer le navire. Je suis resté en uniforme, j’étais donc leur interlocuteur privilégié. On a perdu une de leurs embarcations, puis une deuxième. J’étais prêt à la récupérer et, en change, qu’ils ne pillent plus les affaires, dont l’appareil photo qui a pris ces tirages. C’était donnant-donnant ».

Pendant toute la durée de la prise d’otages, l’épouse de Patrick Marchesseau a été tenu informée par l’armateur et le ministère des Affaires étrangères. Présente dans la salle lors de la conférence de son mari, elle a indiqué qu’elle n’avait pas lu les journaux, ni regardé la télévision: « Je me suis fiée à ces coups de fils. Plus rien le lundi (7 avril). Ça devait être la phase de négociations ».

L’affaire du Ponant vue de la Jeanne-d’Arc

Le porte-hélicoptères Jeanne-d’Arc, bâtiment école des officiers élèves de la Marine nationale, qui se rendait de la Réunion à Djibouti, a été détourné sur la zone du détournement du Ponant.

Selon un officier qui se trouvait à bord à l’époque, il y est resté une semaine, en attendant l’arrivée d’un TCD (transport de chalands de débarquement), dépêché spécialement de Toulon. Son équipage a été mis aux postes de combat pendant une journée, lorsque l’un de ses hélicoptères a été mis en œuvre pour participer à l’opération de suivi du Ponant, dirigée par l’aviso Commandant-Bouant. Après leur libération, les otages ont été transférés sur la Jeanne-d’Arc et pris en charge par des psychologues et un psychiatre. Ils ont ensuite été mêlés aux officiers élèves. Pendant plusieurs jours, ils ont pu lire des journaux et visionner des bandes vidéo d’actualités pour qu’ils sachent ce qu’ont dit d’eux les medias. De Djibouti, ils ont regagné la France par avion militaire.

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