Dominique Montecer, directeur des opérations chez GEOS, a répondu aux questions du Journal de la marine marchande le 5 février.
JMM: Dans la marine marchande française, la présence d’hommes armés à bord des navires n’est pas souhaitable. Ce n’est pas le cas dans celles d’autres pays, qui font parfois appel à des sociétés militaires privées comme GEOS. Comment fonctionnent-elles?
Dominique Montecer: Nos concurrents proposent de mettre des hommes armés à bord, sachant que c’est interdit par les lois de 1989 et 2002. Ces sociétés n’ont parfois qu’une boîte aux lettres aux Seychelles et constituent une solution de facilité pour l’armateur. GEOS a pignon sur rue et enquête sur son personnel. Si une personne est passée en l’Irak, avec une société militaire privée française ou américaine, ou en Afghanistan, on veut savoir si son CV est exact. Si c’est le cas, le candidat est refusé, malgré ses compétences intéressantes. Nous n’avons aucun visuel de ses activités sur place. Il y a eu trop de bavures provoquées par ces sociétés militaires privées. On ne sait pas si ce candidat y a été impliqué.
GEOS, société de conseil et d’assistance, n’a pas que des gros bras. L’âge moyen de son personnel varie de 30 à 50 ans.
Le problème consiste à réduire le risque au maximum. Sur un pétrolier comme le Sirius-Star, il n’y a qu’une ou deux personnes de veille la nuit. Les pirates ont le temps de s’approcher sans être détectés. Personne n’a les yeux rivés sur le radar comme sur un bâtiment de la Marine nationale.
JMM: Quelle est votre approche de la question?
D.M.: En amont, nous proposons un plan de formation et de sensibilisation à tous les niveaux, du matelot au commandant. Nous procédons aussi à une évaluation technique du navire selon les recommandations du code ISPS. On va même les durcir, au moins temporairement pendant le transit dans le golfe d’Aden, par exemple par l’achat d’un canon à sons dégradés et couplé à une caméra thermique. On en trouve « sur étagères » (dans le commerce).
Ensuite, nous passons à l’accompagnement du commandant à bord. Une équipe de quatre à six hommes, chargés de la protection du navire, s’intègre à l’équipage pour assurer le quart, la veille radar et les rondes par binômes. Ceux-ci se relèvent entre eux pour les rondes extérieures de nuit.
JMM: avec quels moyens?
D.M.:On peut les équiper de moyens non létaux, comme des gilets pare-balles, casques, systèmes de projection de gaz pour repousser les pirates, lanceurs de balles en caoutchouc et grenades flash pour éblouir les intrus afin de les appréhender.
Nous mettons en place une procédure. Tous nos experts sont issus de la Marine nationale, de la marine marchande ou de l’armée de Terre. Chose importante: la formation des officiers. Celle du commandant du navire sera privilégiée. En effet, lors des négociations, il doit intégrer le fait d’avoir à bord un expert de GEOS, le patron de l’équipe. Pendant la permanence à la passerelle, la procédure avec risques militaires sera appliquée. Le commandant ne doit pas chercher à comprendre. Souvent, les pirates se mettent à l’affût d’une proie d’opportunité, puis se mettent à couple, lancent des grappins et montent à bord.
Nous définissons des « bulles de protection » avec une procédure particulière écrite, par exemple « changer de route si… ». Ensuite, actionnement des moyens techniques: détection et imagerie pour identifier les agresseurs. On va déterminer le mode d’action. Si trois embarcations rapides s’approchent avec des hommes lourdement armés, ce sont des gens spécialisés et formés. Si une embarcation pénètre dans la deuxième bulle, on active le projecteur et diffuse des messages pour lui demander de s’identifier en allumant ses feux. Pendant les vingt premières minutes qui comptent, il y a échange de vues entre le commandant et le conseiller pour opter pour la négociation et appuyer sur le bouton d’alarme. Il faut privilégier la sécurité de l’équipage. Il ne faut pas déclencher de conflit entre dix marins et vingt pirates armés. L’escalade de la violence est due à la volonté de mettre des hommes armés à bord, souvent des équipes anglo-saxonnes qui ont la culture de l’arme individuelle autorisée. Si des gens de GEOS étaient sollicités pour cela, ils n’accepteraient pas. Il vaut mieux perdre un client qu’avoir des armes à bord. Elles ne font pas bon ménage sur un navire marchand.
JMM: Pouvez-vous parler de vos retours d’expérience en matière de piraterie?
D.M.: Au vu du matériel utilisé par les pirates et de la façon dont ils ont abordé le navire, on fait une analyse instantanée de la situation. Quant à la barrière de la langue, tout notre personnel parle anglais. Mais il y a souvent des problèmes de compréhension de la part du pirate, souvent un petit pêcheur. Si c’est un occasionnel, il est stressé, il a peur, il craint une équipe de sécurité. Le commandant du navire est aussi stressé, même s’il ne le montre pas. Il y a alors danger d’incompréhension, donc de panique et un coup de feu part sans motif apparent. S’il s’agit de gens déterminés, il faut faire une évaluation restrictive dans l’urgence en vue de négociations. Si ce sont des petits malfrats, il vaut mieux les laisser venir et négocier avec une réserve d’argent liquide pour les calmer et qu’ils repartent. La perte financière est négligeable! Mais il faut rester vigilant. Le moment critique a lieu lors du contact, car il y a risque d’incompréhension du pirate. Ensuite, le commandant ou l’expert de GEOS discute, conformément à la procédure conclue avec l’armateur. Il n’y a pas de place pour l’improvisation. Il est très important de sensibiliser l’équipage, souvent composé de Philippins, structurés, organisés et n’aimant pas se laisser importuner. Il s’agit de faire passer le message: quel comportement à adopter dans tel cas pour éviter tel ou tel problème, notamment de fâcher les pirates.
JMM: comment ça se passe avec l’armateur désireux de faire appel à GEOS?
D.M.: Le client vient ou GEOS va proposer son offre. Nous faisons une présentation globale dite « secmar » (sécurité maritime), consistant à évaluer les besoins et faire un audit dans une zone sensible, comme la pose d’un câble sous-marin ou le transit dans le golfe d’Aden. La question la plus fréquente concerne le profil des experts mis à disposition. Tous nos gens sont issus des fusiliers marins de la Marine nationale. GEOS prépare la formation, l’accompagnement d’experts et la gestion de crise. La sensibilisation de l’équipage se fait au moyen de conférences à bord ou dans les ports. Il faut s’assurer qu’il intègre le fait qu’un incident est possible dans la zone traversée et comment le gérer. Il faut faire en sorte que tout se passe bien. Il y a une session particulière pour le commandant du navire. Nous recevons des demandes dans l’urgence, avec quatre jours de préavis, ou avec deux ou trois mois à l’avance. Notre personnel a l’habitude de prendre des décisions dans l’urgence. Le commandant du navire marchand s’appuie sur l’expert pour les négociations ou l’application du code ISPS.
Lors de la gestion de crise, une équipe de GEOS se rend chez le client pour réactualiser son plan de gestion de crise: coordination, opérations, qui est qui et qui fait quoi. À Bruxelles, Montrouge ou Londres, est activée une cellule de crise, qui a pour mission de récupérer les informations sur l’incident et de réfléchir sur un mode opératoire particulier pour régler le problème. S’il est validé, on envoie du personnel sur zone pour gérer la communication car, en cas de crise, les journalistes appellent GEOS. Tout le monde est placé sous les ordres du directeur des opérations, moi-même, qui désigne un responsable de crise. La cellule de crise assure la permanence des contacts avec le client et les experts sur place. La compagnie d’assurances est tenue informée. En cas d’attaque de pirates, le commandant sur zone prévient l’armateur, l’ambassade de France dans le pays le plus proche ou le ministère des Affaires étrangères et enfin la compagnie d’assurances. Il arrive que l’armateur ou l’assureur appelle GEOS, qui prépare son plan et prévient les services de l’État. Si la Marine nationale intervient, GEOS se retire. Enfin en ce qui concerne l’assureur et l’intervention de son équipe d’inspecteurs, tout est codifié à l’avance par contrat.
GEOS en bref
Société privée de sûreté/sécurité dont le siège se trouve à Montrouge dans la banlieue parisienne, GEOS est spécialisée dans l’intelligence économique, la sûreté territoriale et la sécurisation du développement international d’entreprises. Elle a fait passer son chiffre d’affaires de 366 000 € en 1998 à 33,7 M€ dix ans plus tard. Active dans plus de 80 pays, elle emploie 400 permanents: 210 en France (60 au siège et 150 dans des missions diverses) et 190 à l’étranger. Regroupés en équipes pluridisciplinaires, ses experts sont issus des secteurs publics (ministères de la Défense, de l’Intérieur, de la Coopération, des Affaires étrangères et des Universités et de la Recherche) et privé (entreprises, cabinets juridiques et financiers, médias, organisations non gouvernementales et grandes écoles). Son réseau étranger compte une quinzaine de représentations en Europe occidentale, Russie, Moyen-Orient, Inde, Afrique et Amérique latine.