Attaque de pirates, au cœur de l’action

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Son commandant, le capitaine de corvette Alexis Béatrix, a répondu aux questions du Journal de la marine marchande Le 13 février.

JMM: Votre mission de lutte contre la piraterie a-t-elle nécessité une préparation particulière de votre équipage?

Alexis Béatrix: Les attaques à l’encontre des navires de commerce ont montré que les pirates sont des individus déterminés, armés, prêts à tout et qui agissent avec rapidité et sang-froid. Lutter contre la piraterie nécessite donc de savoir réagir très rapidement et d’être prêt à faire face à des hors-la-loi, dont on ne peut exclure qu’ils fassent usage de leurs armes pour éviter d’être capturés. Par ailleurs, une de leurs forces tient dans leur mobilité extrême, grâce à de petites embarcations rapides, et leur aptitude à se fondre dans le paysage. Pour cette mission, comme pour toute mission, nous avons donc défini des modes opératoires adaptés et nous nous sommes entraînés à réagir très vite à la moindre anomalie, à rapidement identifier les embarcations suspectes, à en prendre le contrôle et à neutraliser les pirates, avant qu’ils n’aient réussi à monter à bord de leur cible.

JMM: Comment se déroule une patrouille sur zone?

A.B.: Conduire une patrouille de lutte anti-piraterie nécessite d’être extrêmement vigilant et réactif: écouter très attentivement la VHF; scruter l’horizon à la recherche du petit point noir qui révélera la présence d’une petite embarcation de pêcheur ou de pirates; analyser la situation surface pour identifier les zones de pêche traditionnelles et les liaisons « régulières » entre Somalie et Yémen. Et puis, au premier indice de suspicion, à la première alerte, il faut être capable de se projeter très rapidement, d’envoyer en sécurité une équipe d’intervention, sur une mer qui n’est pas toujours clémente…

JMM: Vous avez participé à une opération réelle contre des pirates. Pouvez-vous en décrire le déroulement avec précision?

A.B.: Les premiers jours de 2009 ont été marqués par une forte poussée de piraterie. Nous étions déjà en mer depuis plusieurs jours et, peut-être par prémonition, nous nous sommes dit: si j’étais un pirate, c’est le 31 décembre ou le 1er janvier que j’attaquerais en pariant sur une baisse de vigilance. En plus, les conditions météo étaient excellentes. Sur cette base, nous avons adapté notre zone de patrouille. Et ça n’a pas raté! Dès le lever du soleil, le 1er janvier, les appels de détresse se sont succédé tout au long du corridor. Il y en a tous les jours quelques-uns, émis par des navires qui s’inquiètent de voir un « skiff » de pêche sur leur route. Mais, ce jour-là, parmi tous les appels et le brouhaha qui régnait sur le chenal VHF 16, les appels émis par le cargo S.-Venus étaient plus cohérents, plus clairs et parlaient vraiment de skiffs qui les harcelaient. Nous avons fait route une première fois à vitesse maximale vers la position reportée mais, au moment où nous sommes arrivés, les pirates avaient rompu le contact. Nous sommes donc restés dans la zone pour essayer de les retrouver, car le S.-Venus nous avait communiqué des éléments précis. Et puis, environ une heure après, le S.-Venus a de nouveau émis des appels à l’aide. Cette fois, nous sommes arrivés en pleine action: les deux embarcations pirates, les mêmes, étaient regroupées un peu sur l’arrière du S.-Venus, des échelles d’abordage étaient visibles, les embarcations correspondaient exactement à la description qui nous avait été faite par les marins du S.-Venus. Il n’y avait aucun doute possible sur la nature des embarcations! Maintenant qu’ils étaient localisés, il fallait les neutraliser en sachant qu’ils étaient armés et n’hésitaient pas à faire usage de leurs armes. La passerelle du S.-Venus a été abondamment mitraillée au cours de l’attaque.

L’arrivée soudaine et rapide d’un aviso avec son personnel aux postes de combat, toutes armes parées et servies par du personnel paré et résolu, a assurément eu un fort effet psychologique sur les pirates. Un tir de semonce pour les contraindre à stopper immédiatement, suivi du déploiement très rapide des embarcations de l’équipe de visite ont fini d’établir un rapport de force à notre avantage.

JMM: Quels ont été pour vous, en tant que commandant, les moments les plus intenses? Ceux où vous étiez seul à prendre une décision?

A.B.: Ce genre d’action est très rapide, l’essentiel se joue en quelques minutes, car ces embarcations sont petites donc difficiles à localiser et rapides. Les premières minutes sont les plus intenses: vérifier dans sa tête que le plan que l’on a prévu est bien adapté au cas considéré; éventuellement l’adapter très rapidement; prendre les dispositions techniques ad hoc; jeter un dernier coup d’œil autour de soi pour être sûr que tous les membres d’équipage sont bien « dans le coup »; envisager les cas non conformes, par exemple si les pirates s’enfuient ou ouvrent le feu ou se jettent à l’eau.

Il y a un deuxième moment très intense, c’est celui où le chef de l’équipe de visite, qui a pris le contrôle des embarcations, vous fait un premier compte rendu par radio: nombre de personnes; attitude des suspects; résultat sommaire des investigations comme la présence d’armes; « client » sous contrôle. C’est l’instant où l’on sait si l’on a « gagné » ou pas. La pression descend un peu, mais il faut rester extrêmement vigilant. Car l’ensemble de l’opération dure encore plusieurs heures et tout doit rester parfaitement sous contrôle jusqu’à la dernière minute.

JMM: Comment se sont comportés les pirates que vous avez rencontrés? Quel âge environ? Étaient-ils organisés et disciplinés ou plutôt impulsifs? Parlaient-ils anglais? Sinon comment se faisaient les communications avec eux?

A.B.: Les huit pirates que nous avons interceptés étaient plutôt jeunes, originaires de divers villages du Puntland. Sans surprise, ils ne parlaient ni anglais ni français. Par chance, l’un d’entre eux connaissait un peu d’arabe. C’est sur cette base, assez fragile, que nous avons discuté. En l’occurrence, ils ne paraissaient pas être de grands spécialistes: ce sont des hommes de main qui travaillent probablement pour des commanditaires. Peut-être plus pour eux que pour nous, la journée avait été épuisante: ils étaient exténués, transis de froid, affamés et certainement inquiets. Dès que la situation a été claire et que nous avons reçu l’ordre de les transférer vers Bossasso, au nord de la Somalie, pour leur remise aux autorités locales, nous les avons nourris et nous leur avons fait passer un examen médical pour nous assurer qu’ils ne nécessitaient pas de soins particuliers immédiats.

JMM: Quelle a été l’attitude des équipages des navires à qui vous avez porté assistance?

A.B.: Après avoir pris le contrôle des embarcations pirates, nous avons dépêché un officier sur le S.-Venus pour discuter avec le commandant, recueillir des informations et des témoignages. Pour tout l’équipage de ce navire qui avait été harcelé pendant plusieurs heures, notre intervention a été providentielle. Et tous les membres d’équipage ont multiplié remerciements et témoignages de gratitude, à notre endroit bien sûr, mais également à l’attention de tous les marins des diverses nations impliquées dans cette lutte.

JMM: Quels enseignements en avez-vous retirés? Le retour d’expérience?

A.B.: La piraterie est une réalité certaine. La prise de conscience a été lente et il a fallu que soient retenus jusqu’à vingt navires au large de la Somalie pour que les initiatives se multiplient. La France, familière de la zone, a été particulièrement motrice dans ce domaine.

La piraterie en Asie du Sud-Est semble à peu près jugulée et on peut espérer qu’il en sera bientôt de même dans la Corne de l’Afrique. Toutefois, comme la piraterie est une activité très lucrative et ne nécessite pas de gros investissements humains et financiers, il sera très difficile de l’éradiquer totalement. Pour y arriver, il faudra que le droit international évolue. Pour nombre de pays, il sera également nécessaire de faire évoluer le droit national. Si la plupart des récents succès anti-piraterie sont à porter au crédit de la France, c’est parce que notre droit nous ouvre certaines possibilités, dont ne bénéficient pas tous les pays. C’est un processus assez long.

JMM: Comment se passe une formation en convoi dans le cadre de l’opération Atalante? Quelles sont les consignes de base aux navires marchands escortés? Quelles précautions particulières doivent-ils prendre? Avez-vous eu des incidents ou des imprévus?

A.B.: Lors de la préparation des premiers transits en convoi, notre imaginaire nous a plus ou moins renvoyé l’iconographie associée aux convois de la seconde guerre mondiale, dans l’Atlantique. En fait, et heureusement, les choses sont beaucoup plus simples et moins dangereuses. L’état-major de l’opération Atalante identifie les navires les plus vulnérables, ceux qui sont lents ou bas sur l’eau, et essaie de grouper autour d’eux d’autres navires disposés à modifier un peu leur itinéraire ou leurs horaires pour bénéficier de l’accompagnement d’un navire de guerre. Lors des rendez-vous, naturellement, spontanément et très efficacement, les navires viennent se positionner à proximité du bâtiment de guerre, à distance suffisante pour que la navigation en groupe soit sans danger. Et le convoi ainsi constitué se met en marche, sous la coordination du bâtiment de guerre qui transmet des directives par VHF. C’est très simple, rapide et efficace: aucun navire accompagné n’a été attaqué.

Par ailleurs, tous les navires de commerce bénéficient de consignes et de conseils sur les sites de l’opération Atalante (www.mschoa.eu) ou de UKMTO. Nous avons constaté que les navires sont maintenant, presque tous, bien organisés et équipés pour repousser des pirates, avec notamment des lances à incendie et un éclairage puissant.

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