« Nous nous inscrivons dans la continuité »

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Journal de la Marine Marchande: Vous avez pris les rênes de l’armement en 2007, après la disparition d’Alexis Gourvennec, fondateur de l’armement. Vous inscrivez-vous dans la continuité de l’action du créateur ou avez-vous apporté u virage dans la stratégie de l’entreprise?

Jean-Marc Roué: Alexis Gourvennec et moi sommes issus du même milieu, l’agriculture. C’est un métier rude, difficile et peu rémunérateur. Alexis a souhaité que la présidence de l’armement revienne à un agriculteur du Léon pour assurer une continuité. L’actionnariat est resté entre les mains des agriculteurs du Léon, qui conservent 70 % de l’armement. Les régions conservent aussi leur part. Les fondements de l’armement s’inscrivent dans la continuité.

J’ai pris les rênes de l’armement après son décès et, si Alexis Gourvennec a un bilan, il est un peu tôt pour en tirer un de mon action. Depuis mon arrivée à la barre de Brittany Ferries, j’ai pris le temps de l’analyse et de l’observation. Je connaissais l’armement mais j’ai dû prendre mes marques.

En outre, la situation a changé depuis le début de l’année 2008. Les prémices de la crise se sont faits sentir dès les premiers mois de l’année. La baisse de la Livre Sterling et la hausse du pétrole nous ont amené à revoir la stratégie de l’armement. Nous avons pris des décisions difficiles comme le désarmement du Pont-L’Abbé ou l’arrêt de navires comme le Bretagne. Mon rôle est de prendre les orientations de l’armement pour ne pas le fragiliser. Et dans ce sens, nous nous inscrivons dans la continuité de l’action menée par Alexis Gourvenec.

JMM: Quel premier bilan tirez-vous de l’année 2008?

J-M.R: En 2007, nous avions connu une année de forte progression. La comparaison est donc difficile. En effet, les premières tendances montrent une baisse du chiffre d’affaires. Le marché français sur la Grande-Bretagne a perdu de sa teneur. En revanche, les liaisons entre l’Espagne et la Grande-Bretagne et de Grande-Bretagne vers le continent sont restées stables. Une progression qui na pu compenser les pertes du marché français. Plus spécifiquement sur le fret, nous n’avons pas réalisé les objectifs que nous espérions avec le Cotentin. Notre perte est estimée aux alentours de 5,8 %. Nous avons perdu du fret sur Cherbourg en raison de la grève des pêcheurs. Un mouvement qui a bloqué le port pendant de nombreuses journées. La bonne tenue du fret sur la ligne entre Poole et Santander a permis de redresser la barre et d’éviter une chute trop brutale. Au final, nous devrions enregistrer une diminution d’environ 3 %. Malgré ce contexte difficile, notre ligne de Caen demeure la première liaison fret à l’ouest du Détroit du Pas-de-Calais.

Au final, sur l’année 2008, nous devrions voir refléter la baisse de volume de certaines routes et l’effet de la £ivre Sterling par une baisse de notre chiffre d’affaires. Une tendance aggravée par un coût des soutes important sur les premiers mois de l’année.

JMM: Dans ces conditions comment appréhendez-vous l’année 2009?

J-M.R: Cette année sera difficile. La baisse du volume et la baisse de la monnaie britannique aura des effets. Bien plus, nous pensons que le redémarrage de notre activité ne se fera pas avant la saison estivale 2010. Tant que la £ivre Sterling ne remontera pas à des niveaux plus hauts, il nous sera difficile de redécoller.

Malgré ces prévisions, nous conservons les reins solides et nous avons pris les mesures pour ne pas mettre en péril notre armement. Notre actionnariat, composé à majorité d’agriculteurs régionaux, attendent un service. Nous nous attachons à leur rendre.

JMM: Face aux difficultés économiques actuelles, n’est il pas audacieux de faire entrer aujourd’hui un nouveau navire dans votre flotte?

J-M.R: Les investissements que nous réceptionnons aujourd’hui ont été décidés en 2007, selon les prévisions que nous pouvions faire à l’époque. Construire un navire ne se fait pas du jour au lendemain. Nos navires sont utilisés sur une base de 25 ans environ. Nous devions disposer d’un navire spécialement adapté aux conditions nautiques du port de Roscoff. L’Armorique répond parfaitement à nos attentes et s’inscrit dans la continuité de notre action de renouvellement de la flotte de l’armement.

JMM: Brittany Ferries est parmi les premiers employeurs de marins français. Au moment où vous baptisez l’Armorique, la question du pavillon français sur le transmanche revient au devant de la scène. Pensez-vous qu’il faille apporter des changements aux conditions sociales d’emploi des navigants?

J-M.R: Un de nos atouts se retrouve dans la qualité de nos équipages. L’inconvénient porte sur la masse salariale. Le pavillon français n’est pas au même niveau que ses concurrents. En Méditerranée, Grimaldi a ouvert neuf lignes, Norfolkline, armement danois, s’en tire bien et ouvre aussi des lignes. Les exemples des autres pavillons européens sont nombreux. La conclusion est simple: nous devons tendre, comme ces pavillons, vers le système de « net wages ». Le gouvernement doit prévoir rapidement un allégement des charges salariales. Toute la question repose sur un point: le gouvernement souhaite-t-il mettre en place une véritable politique maritime en France? Le discours politique est parfois en décalage par rapport à la réalité. Il demande une compétitivité des sociétés françaises sans leur donner les moyens.

Je ne laisserais pas notre armement aller dans une situation critique et je prendrais les dispositions en interne. De plus, je demanderais au gouvernement d’agir pour que nous disposions des mêmes conditions que nos concurrents. En cas de réponse négative, j’en tirerais toutes les conclusions.

JMM: Cela signifie que vous réfléchissez à changer de pavillon?

J-M.R: contrairement à certains armements opérant sur le transmanche, nous ne sommes pas dans une situation telle que nous devions licencier du personnel. Par contre, si les volumes demeurent à des niveaux bas, nous devrons agir sur les contrats à durée déterminée.

De là à annoncer un changement de pavillon, ce n’est pas à l’ordre du jour. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour conserver le pavillon français sur nos navires. Et si nous devions étudier un autre pavillon, c’est que la situation serait intenable pour l’entreprise.

JMM: le gouvernement a récemment signé un mémorandum avec les autorités espagnoles pour la mise en place de deux autoroutes de la mer. Vous aviez postulé à l’appel à projets. Quel sentiment avez-vous à l’issue de cet appel?

J-M.R: En effet, nous avions postulé. Notre projet prévoyait de 1,5 à trois départ par jour. Notre philosophie tournait autour d’une liaison entre l’Espagne et La Rochelle appuyé à des volumes importants. Le schéma financier que nous proposions ne rentrait pas dans les critères de l’appel à projets. Nous sommes désormais dans une autre phase. Nous avons répondu à l’appel à projets franco-portugais, de liaison entre la France et le Portugal. Nous portons notre réflexion sur de nouvelles lignes et notamment, l’arc Atlantique jusqu’au Maghreb.

JMM: Parmi les décisions récentes est intervenues l’annexe VI de Marpol qui oblige les armateurs à se doter de moteurs plus pauvres en soufre. Pensez-vous que cette mesure aura des effets sur votre activité?

J-M.R: La décision de Marpol VI est, pour nous, majeure. Elle signifie que nous devons réduire le taux de soufre de nos combustibles. Actuellement nous utilisons du fuel lourd, 40 % moins cher que le gasoil. En 2015, nous devrons utiliser du combustible aussi cher que le gasoil, ce qui retirera tout avantage au passage par la mer pour les camions. Les autorités françaises doivent donc réfléchir à inciter les transporteurs routiers à utiliser les navires pour une partie de leur voyage au risque de voir les lignes de report modal, à l’image des autoroutes de la mer, non utilisées.

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