Le Samco-Europe et le MSC-Prestige se voient, se parlent et se rentrent dedans

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Le Bureau d’enquêtes sur les événements de mer (BEA) diffuse depuis peu, un rapport non daté et non signé, sur la collision en décembre 2007 entre un VLCC « français », le Samco-Europe chargé de plus de 284 000 t de brut et le MSC-Prestige, porte-conteneurs de 293 m pour presque 73 000 tpl. Malgré des dégâts matériels « très importants », aucun blessé, aucune pollution dans le détroit de Bab el Mandeb. Un gros soupir de soulagement a dû être poussé à La Défense car l’affréteur à temps du VLCC, propriété de SAudi Maritime COmpany était… Total Chartering & Shipping Services SA.

Les navires sont très récents. Ils manœuvrent bien. L’ergonomie de leur passerelle est bonne. Ils disposent de tous les équipements de navigation possibles et imaginables; équipements qui fonctionnent correctement, notamment les « boîtes noires » et les radars anticollision (ARPA). Les officiers de quart passerelle et leur homme de barre sont correctement reposés. La visibilité est bonne (7 milles). Tout va bien. Tout va tellement bien que le BEA ne trouve aucun facteur déterminant. Une collision « ordinaire » avec 284 000 t de brut.

Les cinq dernières minutes

À 23 h 31, le 7 décembre 2007, venant d’Iran, le Samco-Europe, affrété coque nue par V.Ships France, qui en assure la gestion complète, fait route à 16,5 nœuds au 300o à 21 milles de l’entrée Sud du DST de Bab el Mandeb. Le MSC-Prestige est la cible 9 du radar anticollision.

À 23 h 36, le MSC suit une route au 101o à la vitesse de 23,8 nœuds et s’apprête à passer entre les deux navires situés sur son avant, l’un à 7 milles au 112o (le Samco) et l’autre à 9 milles au 102o. Le VLCC est la cible 2 pour l’ARPA du porte-conteneurs.

Au fil du rapport du BEA qui représente les captures des écrans radar sur la même page, une sorte de jeu virtuel semble se dérouler.

Une minute plus tard, le VLCC est toujours au 300o, il est privilégié, alors que le MSC suit une route fond au 104o. Si rien n’est fait, le second passera à 2,28 MN sur le devant du premier avec une distance la plus rapprochée de 0,48 MN. À 23 h 39, le VLCC vient au 295o; le Closest Point Of Approach diminue encore. Il est inférieur à une longueur de navire, une minute plus tard. À 23 h 41, le MSC-Prestige vient sur sa droite pour effectuer un croisement bâbord-bâbord (B-B). Moins d’une minute plus tard, le chef de quart de MSC-Prestige prend contact par VHF avec son homologue indien du Samco-Europe. Ils semblent convenir d’un croisement B-B. LE VLCC explique qu’il évolue sur la gauche, ce qui ne permet pas un croisement B-B. Au 3e contact VHF, à 23 h 45 min 53 s, il demande au Samco-Europe de mettre sa barre à gauche toute; ordre qui vient d’être donné, à bord. Le commandant du VLCC est réveillé quelques secondes plus tard. Il a juste le temps d’assister à la collision, full speed, de deux navires. Faute de facteur « déterminant », le BEA estime que le retard de l’officier de quart du VLCC (24 ans, indien) à alerter son commandant constitue un facteur « aggravant ». L’application qu’il fait du Règlement international pour prévenir les abordages en mer (Ripam) est estimé être un facteur « contributif » à l’accident. Par contre, la décision du lieutement (35 ans, également indien) du MSC-Prestige de poursuivre son évolution sur la droite alors que son navire est passé sur tribord du VLCC qui poursuit son évolution sur la gauche constitue un facteur « aggravant ».

Synthèse et recommandations

– La règle 16 de Ripam n’est appliquée que « partiellement » par l’officier de quart du MSC-Prestige (manœuvre « de quelques degrés seulement », relativement tardive).

– La règle 17 n’est « pas appliquée manière appropriée » par l’officier de quart du VLCC (abattée sur bâbord).

– Pas de remise en cause de la manœuvre à effectuer lorsque la situation devient très différente des conditions initiales: le porte-conteneurs « s’enferme » dans sa volonté d’un croisement bâbord – bâbord.

– Les contacts VHF n’ont pas permis d’aboutir à un « contrat » satisfaisant.

– Les performances de l’ARPA n’ont « pas été suffisamment exploitées (notamment à bord du MSC) ».

– L’aide à l’anticollision par réduction de l’allure machine n’a « pas été utilisée ».

– Le commandant du pétrolier est appelé par l’officier de quart lorsqu’il est « trop tard ».

– Manœuvre du VLCC dans les dernières secondes avant la collision.

– Les check-lists et procédures, en situation critique, ne sont « pas appliquées à la lettre ».

– La couverture du DST de Bab El Mandeb par un VTS serait « bénéfique ».

En clair, fautes nautiques partagées, balle au centre. Les assureurs apprécieront.

Les recommandations du BEA sont sans surprise: il convient de s’assurer que les officiers de quart ont une bonne connaissance des règles du Ripam et les appliquent de façon appropriés. Il faut également s’assurer qu’ils sont « suffisamment qualifiés pour l’utilisation des aides électroniques à l’anticollision (ARPA et AIS) ». Tout cela peut se contrôler grâce aux simulateurs de passerelle. En outre, « la promotion par l’OMI du développement des équipements sophistiqués de « e-navigation » doit être accompagnée de formations adaptées et fréquemment réactualisées ». « Aux associations de capitaines de navire, le BEA recommande aux capitaines de s’assurer qu’en cas de difficulté, les officiers de quart, notamment les moins expérimentés, n’hésiteront pas à les appeler à temps, appliquant ainsi sans faille leurs consignes permanentes »; sans précision sur les moyens d’y parvenir.

Le BEA rappelle qu’il n’est pas favorable à l’utilisation systématique de la VHF qui s’avère, dans certains situations, ne pas être une aide efficace à l’anticollision. Il « encourage » les États côtiers à installer un VTS dans les zones à forte densité de trafic.

Faute d’accident avec forte pollution médiatisée, la volonté politique pourrait être insuffisante.

Quelques précisions

La décision d’ouvrir une enquête technique est prise le 25 février. Les données de la boîte noire (Voyage Data Recorder) du VLCC sont reçues par le BEA le 27 décembre 2007 (avant même la décision d’ouvrir l’enquête). Celles concernant le MSC, propriété de Pedregal Maritime SA Panama et géré par Anglo-Eastern Group, arrivent finalement le 18 juillet. Il existe donc des marges de progression.

Le BEA note que « les bonnes performances de la carène et la vitesse d’évolution du MSC-Prestige contribuent même à créer un excès de confiance chez l’officier de quart qui “accepte” une situation très rapprochée sur l’avant du Samco-Europe en poursuivant son évolution sur la droite ». Il souligne également que l’exploitant du MSC-Prestige édite des « procédures très précises » sur la conduite à tenir à bord des navires. Ainsi est-il indiqué « qu’un changement de route inférieur à 30o ou 40o ne peut pas être perçu de manière apparente et rapide au radar d’un autre navire ».

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