Journal de la Marine Marchande: La loi sur la réforme portuaire a été adoptée le 4 juillet, l’accord cadre national a suivi le 30 octobre. Comment se sont déroulées ces discussions?
Bruno Vergobbi: Après l’adoption au printemps de la loi par le Parlement, la négociation de l’accord cadre avec les partenaires sociaux s’est déroulée dans des délais courts, quatre mois environ. Chaque partie a joué le jeu. Nous avons pu discuter et offrir aux salariés qui seront détachés dans les entreprises des conditions de départ beaucoup plus favorables que celles prévues dans la loi. Ainsi, pour prendre un exemple parmi d’autres, nous avons amélioré les garanties apportées aux salariés par le dispositif de détachement. Dans le texte de loi, le retour du salarié peut se faire dans un délai de sept ans en cas de licenciement économique. Les négociations ont permis de prolonger ce délai à 14 ans.
JMM: Cette disposition concerne principalement les grutiers, c’est-à-dire les salariés qui vont quitter le port. Les salariés qui restent dans le périmètre du nouveau port ont exprimé des craintes sur leur possible évolution. Êtes vous intervenus sur ce point aussi?
B.V.: Cet aspect représente la seconde composante. Les salariés concernés ont besoin d’être rassurés sur leur avenir. Une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et des plans de formation spécifiques, voire des mesures de reclassement, permettront de garantir une bonne adéquation entre ressources et emplois et aux salariés de s’adapter à l’évolution de leurs métiers. Ces différents points ont été abordés et font désormais l’objet de mesures prévues dans l’accord-cadre. Les réunions avec les partenaires sociaux ont permis d’avancer et de consolider les garanties accordées à ces salariés.
La signature de l’accord-cadre national le 30 octobre, a marqué une étape importante que nous avons tous ensemble su mener à bien. Maintenant, le chantier social s’est dédoublé. Il se situe au niveau local pour l’élaboration des projets stratégiques en déclinant localement les dispositions de l’accord-cadre. Il se poursuit au niveau national avec les discussions sur la convention collective unique.
JMM: Quelle approche privilégiez vous dans les discussions sur la convention unique?
B.V: Ce chantier d’une nouvelle convention collective est inscrit dans la loi. Le texte adopté le 4 juillet prévoit que nous devons l’avoir bouclé pour la fin du mois de juin. Nous avons déjà eu deux réunions avec les partenaires sociaux. Les discussions se déroulent dans une commission paritaire mixte présidée par Maître G. Bélier, qui intervient comme médiateur. Ce président dispose d’un capital de confiance étendu de la part des différents représentants syndicaux et patronaux présents autour de la table. En effet, il est intervenu au même titre lors des négociations pour la création de la convention collective de la manutention. Il connaît le sujet et a su faire preuve de professionnalisme.
La deuxième réunion s’est tenue le 8 janvier. Nous avons une approche pragmatique, partagée entre les partenaires sociaux, sur ce dossier. Notre idée n’est pas de créer ex nihilo une nouvelle convention collective ce qui nécessiterait plusieurs années de travail. Nous travaillerons par adaptation de la convention collective de la manutention aux spécificités des établissements portuaires. Cette convention de la manutention sera la référence. La convention « verte », qui régit les personnels des ports, est ancienne et souvent inadaptée compte tenu des évolutions légales et technologiques.
Au cours de ces deux premières réunions, notre tâche a été de définir le champ d’application de cette convention. Il faut définir avec précision les activités concernées. Avec la décentralisation, les concessions à géométrie variable qui sont signées, l’arrivée de nouveaux concessionnaires et la création de filiales par les Grands ports maritimes, nous devons trouver une rédaction qui garantisse un cadre conventionnel commun aux activités des établissements portuaires et des entreprises de manutention tout en évitant tout risque de superposition avec des conventions collectives existantes ce qui serait un obstacle à son extension.
J’ai été un moment inquiet quant à la faisabilité de cet exercice.. Aujourd’hui je suis plus serein et je suis certain que nous trouverons des solutions qui répondront aux attentes des personnes concernées. Avec du pragmatisme nous pourrons avancer rapidement et boucler ce dossier en temps et en heure. Nous aurons ensuite un travail de communication important à faire auprès des salariés.
JMM: Au plan local, les instances des Grands ports maritimes peinent à se mettre en place. Pensez-vous que ce délai soit un élément qui freine l’application de la réforme portuaire?
B.V: Vous le soulevez, les organes de gouvernance tardent à se mettre en place. L’État aurait dû anticiper. Il aurait fallu que ces instances locales dans les ports se mettent en place dès la signature de l’accord-cadre national. Sans véritablement freiner la mise en application de la réforme, cette situation de transition créé un flottement. Nous devons aller de l’avant.
La situation économique actuelle a des effets sur les trafics des ports. Nous allons avoir une année difficile. Nous devons mettre en place la réforme pour être prêt lors de la reprise que les économistes tablent pour le début de l’année 2010. Les ports devront être en ordre de marche à ce moment.
Ce point dépassé, les responsables des ports ont commencé à prendre des contacts avec les différents acteurs locaux sur le projet stratégique. Chaque port le fait avec ses spécificités.
JMM: Le constat est là, à ce jour seul un port a mis en place ses nouveaux organes de fonctionnement, le port de Nantes/Saint-Nazaire. Certains ont manifesté, récemment, leur étonnement à voir des personnalités disposer d’un siège au conseil de surveillance sans que leur fonction actuelle ait un rapport avec les métiers portuaires alors que d’autres en sont écartés. Qui doit pouvoir obtenir un siège dans le conseil de surveillance, selon votre analyse?
B.V: La logique de la loi veut que les membres du conseil de surveillance soient des personnalités indépendantes n’ayant pas d’intérêt direct sur le port. Vous vous êtes étonné de la nomination dans un conseil de surveillance du directeur de la société des auteurs et compositeurs de musique qui n’a aucun lien actuel avec le monde portuaire. Une preuve de la réelle indépendance de ces administrateurs. Mais il faut savoir que M. Vialla a exercé, au cours de sa carrière, des responsabilités très importantes dans les douanes. Il est même à l’origine du plan Douanes-Port et connaît bien le secteur. Le point important dans les nominations de ces administrateurs est de conforter l’assise locale des organes de gouvernance. Il faut privilégier une approche hanséatique des ports. Le tissu local économique et politique doit être présent dans le conseil de surveillance. Le risque de voir l’État prendre le dessus dans les organes de gouvernance existe. Il ne doit pas pervertir un système qu’il a mis en place. Aujourd’hui, nous ne sommes sûrs de rien mais nous devons veiller à ne pas tomber dans ce travers.
JMM: Le texte de loi prévoit un recentrage des missions des ports vers une fonction plus régalienne. N’est-ce pas réduire leur activité à un relais entre l’État et le local?
B.V: Leurs missions vont bien au-delà. Les ports n’auront pas seulement des fonctions régaliennes. Ils vont jouer leur rôle de pivot de la place portuaire. La culture locale disparaît aujourd’hui dans les ports. Les décisions des clients du port se font de plus en plus aux quatre coins du monde. La décision d’escaler dans un port se décide à Shanghai, Singapour, New York ou Hambourg. Localement, la communauté portuaire évolue sans cesse. Les sociétés présentes localement n’ont plus leur centre de décision dans le port, sauf le groupe CMA CGM à Marseille. L’autorité portuaire doit alors jouer un rôle de catalyseur auprès de ses clients et partenaires pour dynamiser son tissu économique. De plus, ce recentrage va permettre aux autorités portuaires de gagner en poids face à ses interlocuteurs.
JMM: La réforme vise les ports de la métropole. Comment abordez-vous la seconde étape de ce texte qui doit maintenant concerner les établissements des DOM TOM?
B.V: Le ministre l’a annoncé. La première étape du projet de loi concerne uniquement la métropole. Depuis la fin de l’année dernière, une mission interministérielle travaille sur le sujet. Nous l’avons rencontrée pour lui exposer notre point de vue. Nous pensons qu’il ne faut pas copier l’organisation métropolitaine dans les ports des DOM TOM. Ces ports sont dans une problématique d’insularité. Ils ont un monopole avec leur tissu local mais ils peuvent aussi avoir un rôle à jouer comme plate-forme d’éclatement pour la région. Cette double approche confirme leur particularité.
JMM: Les ports évoluent en France. La décentralisation met en place de nouveaux acteurs dans les ports, la réforme modifie le périmètre d’action des ports. Pensez-vous que l’Union des Ports de France doit suivre cette évolution?
B.V: L’Union des Ports de France regroupe tous les établissements portuaires au sens large du terme. Notre ciment se compose de notre appartenance à la branche professionnelle. Nous avons donc une légitimité à conserver cette organisation. Cependant, nous réfléchissons aujourd’hui à ouvrir nos débats aux nouvelles autorités concédantes. Les régions ont de nouveaux pouvoirs en la matière. Nous devons avoir un dialogue constructif avec elles. Nos préoccupations sont identiques à certains égards. Nous gérons des dossiers communs comme l’environnement, la sécurité, la sûreté des ports. Des sujets sur lesquels nous pourrions échanger des points de vue et apporter des idées nouvelles. Nous réfléchissons donc, avec le Président Trorial, à une évolution de l’ADPF (Association de développement des ports français) qui pourrait accueillir ces collectivités.
L’Union des Ports de France et l’Association pour le développement des Ports Français
L’Union des Ports de France (UPF) est la fédération professionnelle des ports de France. Elle regroupe quelque cinquante établissements publics ou sociétés gestionnaires de ports et représente ainsi la totalité des ports de commerce et la grande majorité des ports de pêche français tant en métropole qu’outre-mer. Bien qu’étant essentiellement représentative des ports maritimes, elle a parmi ses membres les ports autonomes fluviaux de Paris et Strasbourg.
L’Union est un interlocuteur reconnu par l’État pour les questions ou les décisions qui touchent à l’administration et à l’exploitation des ports maritimes de commerce et de pêche et notamment l’évolution du cadre législatif et réglementaire qui les régit.
L’Union est également chargée d’organiser pour ses membres l’exercice collectif de leurs responsabilités d’employeurs de personnel portuaire: elle est l’interlocutrice des partenaires sociaux pour la gestion de la convention collective (convention dite « verte » des personnels des ports autonomes et des chambres de commerce et d’industrie maritimes) et la négociation des accords de branche: salaires, prévoyance, retraites….
L’Association pour le Développement des Ports Français créé en 1917 (ADPF) regroupe les principaux acteurs du monde portuaire. Les membres de l’Association confrontent leurs opinions et intérêts dans les différents domaines communs aux ports, aux activités maritimes et à l’ensemble de la filière portuaire: infrastructures et équipements, communications avec l’hinterland, logistique, manutention, transport maritime… Les travaux de l’Association contribuent à une information mutuelle permanente de ses membres sur les évolutions en cours dans le domaine portuaire et plus généralement l’économie des transports et le commerce maritime.