Tout a pourtant commencé parfaitement. La partition qu’ont joué les armements opérant dans les vracs secs pendant des années a continué sur les premiers mois de l’année 2008. La demande en transport a maintenu sa croissance, suivant en cela l’essor du commerce mondial, avec une offre en sous capacité liée à la saturation de certains ports et des circuits logistiques. L’économie des matières premières transportées par ce mode, les minerais, le charbon et les céréales, ont alors connu une augmentation de leur prix. Le transport a pris une part de plus en plus importante dans le coût de revient des produits. La demande de la Chine pour des matières premières a joué un rôle non négligeable. Les infrastructures portuaires et de transport n’ont pas été dimensionnées en prévision d’une demande aussi forte. En Chine, pour la distribution intérieure, mais aussi dans les pays exportateurs comme en Australie pour le charbon et les minerais, les installations portuaires ne peuvent répondre aux besoins du marché. Les ports sont engorgés, les navires patientent parfois plusieurs semaines avant de pouvoir accoster. La fin de l’hiver est marquée, en Chine par des intempéries sans précédent. La congestion portuaire se répand. Quand les premiers effets de la crise du crédit surviennent aux États-Unis, les consommateurs sont confrontés à une situation ubuesque. Les produits de première nécessité ont fortement augmenté en raison du prix des matières premières et du transport alors que les consommateurs voient leur pouvoir d’achat fondre comme neige au soleil. La chronique de la crise est engagée.
La seconde partie de l’année s’engage sur une pente raide. Après avoir enregistré des taux records en avril et en mai, les taux de fret des vracs secs dégringolent pour se retrouver à des niveaux dramatiquement bas. « Des planchers que le monde du vrac sec n’a pas connus depuis 1987 », commente un analyste. Mauvais augure ou réaliste économique, Philippe Louis-Dreyfus, président de Louis-Dreyfus Armateurs, a rappelé sa position lors d’un entretien au journal Les Échos. « La bulle éclate », constate le président de LDA qui, douze mois auparavant a alerté les milieux économiques et politiques du déraisonnable de la situation dans le maritime. En décembre 2007, il a considéré la situation comme atteignant « un niveau anormal, déraisonnable et malsain ». Opérant une large flotte de Capesize, Philippe Louis-Dreyfus connaît le marché. Selon lui, si la crise vient du prix des matières premières et du ralentissement économique, un facteur déterminant de la situation actuelle tient aussi à la position de la Chine face aux vendeurs brésiliens de minerais. En décidant d’annuler des contrats avec les miniers brésiliens les sidérurgistes chinois ont libéré une flotte considérable de navire de type capesize sur le marché. Et l’effondrement des taux a pu commencer à perdre de la vitesse. Le pire est à venir? Les commandes de navires neufs auprès de chantiers sont essentielles pour ce marché. La flotte devrait doubler dans les prochaines années, si aucun navire n’est mis à la ferraille. Les difficultés de financement des armateurs peuvent jouer un effet régulateur en annulant des commandes. Le vrac sec a vécu une année de schizophrénie. Il enregistre des hausses à crever les plafonds des taux de fret tout en sachant pertinemment que la surcapacité guette en raison du nombre de commandes. Tout ce qui est pris n’est plus à prendre et l’attrait d’un pactole facile a amené, sur le marché, de nouveaux opérateurs préférant la rentabilité financière à l’investissement à long terme. La question sur l’avenir du vrac sec repose désormais sur des fondamentaux de base du marché. Compte tenu des premières estimations économiques, où se situera le curseur entre l’offre et la demande?
Les principaux trafics de vracs secs dans le monde, minerais, charbon et céréales, ne devraient pas connaître de fortes récessions mais des tassements de croissance. Selon le dernier rapport du département de l’Agriculture des États-Unis, les phénomènes extérieurs comme le prix du baril et la volatilité de la parité du dollar vont avoir des effets importants sur les prochains mois. L’année 2009 s’avère délicate, selon l’organisme américain. En France, le rapport mensuel de l’ONIGC (Office national interprofessionnel des grandes cultures) laisse quelques espoirs aux opérateurs. La dégringolade des indices de fret permet aux acheteurs d’arbitrer leurs achats entre toutes les origines, indique l’ONIGC. La crise financière mondiale a malgré tout un impact. Les financements peuvent devenir un outil commercial pour gagner des parts de marché. Pour le marché européen, les dernières semaines ont été plutôt bonnes avec des contrats remportés, notamment avec l’Égypte. La situation mondiale est attisée par les disponibilités des marchés. Le retrait partiel de l’Argentine offre de nouvelles dispositions pour les blés européens. L’Australie a retrouvé ses potentiels d’exportation et la Russie, soutenue par son gouvernement, adopte une politique agressive sur le marché extérieur. Le blé meunier ukrainien, de faible qualité cette année, peut être un levier pour les autres pays exportateurs. Avec des taux de fret au plus bas sur les vingt dernières années, ce marché dispose d’un fort potentiel, à condition de trouver les capacités financières.
Sur le marché du charbon, le dernier rapport de l’Abrare (Australian Bureau of Agriculture an Resource Economics) indique une augmentation du trafic de 4 % en 2008 à 722 Mt. Une hausse principalement liée à la demande des pays asiatiques comme la Corée et le Japon. Une tendance qui pourrait se reporter en 2009 aux environs de 3 %, selon la même source. Le Japon, qui se place parmi les principaux importateurs mondiaux, pourrait voir sa demande décroître l’an prochain. En Corée du sud, l’addition de nouvelles capacités de centrales thermiques devrait susciter une croissance des trafics. La Chine se placerait désormais comme importateur net de charbon. Du côté des exportateurs, l’Indonésie devrait se rester en tête en 2009 avec une capacité de 217 Mt de charbon.
Enfin, la situation dans les minerais enregistre des soubresauts ces derniers jours. Les taux de fret des Capesizes, navires utilisés majoritairement pour le minerais, sont remontés. Le marché du spot a largement contribué à ce renouveau, mais qui pourrait bien être de courte durée. Trois sociétés dominent le marché du minerai dans le monde: Vale, Rio Tinto et BHP Billiton. Toutes trois négocient actuellement des hausses du prix des minerais. Selon des analystes du Metal Bulletin, les aciéries chinoises devraient déstocker leurs produits jusqu’au milieu de l’année, laissant le marché des Capesizes dans une situation atone prévue au moins jusqu’au milieu de l’année prochaine. La reprise, si elle doit se faire en 2009, est, toujours selon les analyses du Metal Bulletin, dépendantes d’une baisse du coût des minerais. Un courtier en affrètement souligne la morosité actuelle du marché de ces navires. « Nous ne pensons pas que les taux de fret puissent aller plus bas, indique le courtier. Nous enregistrons des prises de position mais les armateurs demeurent sur leurs positions. Combien de temps pourront-ils tenir avec des taux si bas? La question demeure sans réponse. Nous ne pensons pas voir un retournement de situation avant le troisième trimestre 2009. » La production d’acier affiche toujours une baisse. Un facteur négatif pour les taux de fret maritime. Dans ce contexte difficile, les armements ont enregistré peu de changements capitalistiques. Les principaux noms du vrac sec restent entre les mains de leur propriétaire. Appartenant à des groupes opérant dans plusieurs secteurs (pétrole, gaz, conteneur), ils consolident leurs activités par les hausses des autres pour compenser les baisses de l’un. L’année prochaine pourrait-elle voir des changements dans ce secteur? Les commandes de navires et les difficultés de financement peuvent jouer en la défaveur de certains. Des liquidations pourraient survenir pour ceux qui n’ont pas su se constituer un trésor de guerre pendant les périodes propices. Quant aux chantiers, ils voient déjà les premières commandes de navires retardées à des dates ultérieures, voire sine die. Avec cette baisse de demande et ce ralentissement de l’économie du vrac sec, un point positif ressort. Les ports auparavant saturé, à l’image de Newcastle en Australie, peuvent désormais respirer et les navires patientent moins longtemps. Si la reprise intervient dans le second semestre de l’année, ne serait-ce pas l’occasion, au premier semestre, de prévoir les travaux pour améliorer les conditions logistiques des principaux ports de vracs? Gouverner c’est anticiper.