Des Beach Yards trop verts!

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Le congrès IUMI de Vancouver s’est déroulé du 14 au 17 septembre, en présence de 400 assureurs représentant 47 pays, dans le contexte très particulier de l’effondrement de Lehmann Brothers et de Merril Linch et des difficultés de l’International Group, Inc. (AIG), un leader mondial de l’assurance et des services financiers. Le 17 septembre, les congressistes ont appris la reprise d’AIG par l’État américain. Ce contexte financier a agité les assureurs rassemblés à Vancouver.

Parmi les innovations de ce 134ème congrès annuel, il faut noter la décision d’inviter, dès l’an prochain, des avocats et des experts externes au métier de l’assurance, à participer au congrès annuel. Deuxième nouveauté: un courtier a été invité pour parler de son métier et de sa relation avec les assureurs. Il a plaidé pour un partenariat plus structuré entre les deux professions du fait des évolutions financières et macro-économiques. « Signe peut-être d’une plus grande ouverture de l’IUMI à l’autre côté du marché qu’est celui des acheteurs et des clients », souligne Gilles Mareuse directeur général d’Allianz Global Corporate & Speciality France. Il faut préciser que chaque année des armateurs sont également invités à parler de leur métier.

Des « Beach yards » bien jeunots!

Le thème qui a dominé le congrès est celui des « Green fields shipyards » ou « Beach Yards » ces chantiers qui ont poussé comme des champignons sur le littoral chinois. On en a recensé près de 2 500! Certains armateurs auraient même commandé des navires alors que le chantier n’était pas encore sorti de terre. Ces chantiers construits à la va-vite sont un vrai sujet d’inquiétude pour les assureurs comme pour les armateurs. Des intervenants ont donc incité les assureurs à exercer à leur propos leur métier de sélection de risques.

Sur ces chantiers à la croissance trop rapide, quelles sont les compétences et l’expérience des architectes navals, des responsables de construction, des personnels en charge de la sécurité? Trop souvent les ouvriers y sont soumis à des horaires harassants, ce qui représente une accumulation de risques. Des assureurs ont recensé du matériel sous standard avec des aciers de provenance inconnue, du matériel recyclé provenant de navires en démolition, des soudures qui n’avaient pas la qualité requise ou des moteurs d’occasion. Une société de classification a même repéré, sur un navire en construction, un moteur de locomotive et un autre cas dans une erreur de traduction entre le système métrique et le système impérial de mesures qui a conduit à une surcharge d’acier sur le navire de 13 %.

« Chez Axa, nous n’assurons aucun Green Yard ou Beach Yard. C’est vraiment trop risqué! », précise Denis Develey, directeur corps chez Axa France. Quelle sera la qualité de ces navires quand ils navigueront? Ne vont-ils pas devenir une source de sinistralité supplémentaire?

Allianz a envoyé récemment des ingénieurs prévention ou des prestataires externes sur de nouveaux chantiers à Dubaï et au Vietnam (en pleine expansion avec 40 chantiers recensés) pour vérifier la qualité des procédures et l’expérience de leurs ingénieurs, mais pas encore sur des Beach Yards chinois.

Erreurs de pilotage

Autre sujet de préoccupation: les accidents liés aux opérations de pilotage. En 2007 quelque 50 incidents auraient eu pour cause une erreur de pilotage, avec des coûts de sinistres relativement importants. Parmi les cas disséqués, on peut signaler celui qui concernait une difficulté de communication entre le pilote et le capitaine. La difficulté provenait de difficulté de compréhension du champ sémantique de mots entre le « port capitaine », l’entité à terre, et le pilote à bord, ce qui a conduit à l’accident.

Les discussions ont porté sur la responsabilité des pilotes. Les lois qui régissent leur activité sont assez restrictives, quant à leur mise en cause. Peu d’assurances les couvrent, puisqu’ils ne sont pas responsables, donc, du point de vue des assureurs, à quoi servirait de lancer un recours contre un pilote fragile financièrement! En cas de sinistre mettant en cause un pilote, l’assureur corps couvre donc ce sinistre, sans possibilité d’exercer de recours. Les pilotes sont des officiers désignés par l’État qui ne veulent pas endosser cette responsabilité. Les difficultés auxquelles sont confrontées les pilotes ont été soulignées. Ils doivent garantir la fluidité d’un trafic maritime toujours plus dense, tout en assurant la sécurité de la navigation dans des grands ports internationaux toujours plus encombrés. Ils doivent manœuvrer des navires toujours plus grands, plus larges, aux tirants d’eau toujours plus importants.Les turbulences météorologiques et financières ont également été évoquées. Le passage de l’ouragan Ike sur le Golfe du Mexique a coûté 1 Md$ aux P&I Clubs. La crise financière a affecté la compagnie d’assurance AIG, assureur significatif en facultés. AIG a connu des pertes considérables, non pas du fait de son domaine de l’assurance, mais du fait de sa politique d’investissement à risque!

La crise financière et le cœur de métier

La crise des marchés financiers pourrait-elle affecter sérieusement le monde de l’assurance maritime?

Pour Gilles Mareuse, il n’en est rien. « Ce qui touche notre cœur de métier c’est le risque, donc les sinistres. Un événement de type 11 septembre affecterait notre compte de résultat de manière très brutal ou encore un ouragan comme Ike. Une accumulation de sinistres, du fait d’un événement majeur, mettrait en péril des compagnies d’assurance, mais elles ne jouent pas sur les marchés, elles ont plutôt des placements de père de famille. Nous pouvons être touchés dans la mesure où nous avons souscrit des obligations, des actions, éventuellement de l’immobilier; dans cette mesure, nous subissons le soubressaut de ces marchés, quand l’émetteur obligataire de ces obligations fait faillite, mais pas au même niveau que les institutions financières. Nous n’avons de risques de liquidités que lorsque nous avons subi une sinistralité excessivement aggravée avec par exemple des ré-assureurs qui deviendraient défaillants. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. »

Par ailleurs en France, les autorités de contrôle du marché financier obligent les compagnies d’assurance à limiter leurs investissements.

… et son effet positif

Au cours des cinq dernières années, le transport maritime de marchandise a progressé de 50 % en volume et 150 % en valeur. La conjonction de l’augmentation de la flotte, des volumes transportés et de la valeur des matières premières a profité aux assurés qui ont bénéficié d’un marché de l’assurance transport en surcapacité. Ce n’est qu’à partir du mois de juillet 2008, que les effets de la crise économique se font sentir sur le transport maritime, entré dans une période de ralentissement.

Le nombre de navires commandés dépasse les besoins de fret du marché à court terme. L’écart est plus ou moins important suivant les segments du secteur. Armateurs de France estime que « les opérateurs historiques sont organisés pour y faire face » et que ce ralentissement, bien que significatif, aura un effet régulateur sur le secteur.

Divers signes de retournement de la conjoncture mondiale apparaissent en effet. L’agence de notation financière Standard and Poor’s, dans un rapport sur le secteur des transports en Asie indiquait le 22 octobre dernier que « Les volumes des échanges entre l’Asie et l’Amérique du Nord ont subi des chutes à deux chiffres en juin et juillet, reflétant le ralentissement économique aux États-Unis. La plupart des lignes de transport de conteneurs souffrent d’une détérioration de leurs revenus, résultat d’une diminution du volume du fret et de coûts d’exploitation plus élevés. »

Deux armements japonais Mol et « K » Line ont ainsi décidé de réduire leurs services conteneurisés entre l’Asie, l’Amérique et l’Europe. La réduction de capacité serait de 20 % pour Mol et de 20 % pour « K » Line. Les autres armements réagissent de la même façon. CMA CGM redéploie ainsi certaines lignes maritimes, rendant à leurs propriétaires des petits navires en fin de contrat d’affrètement et renégociant avec les chantiers navals les conditions de paiement de certains de ses navires en commande.

Par ailleurs, les prix du transport maritime de vracs secs se sont effondrés à des niveaux qui n’avaient plus été touchés depuis six ans et les frets pétroliers continuent leur glissade.

Un effet collatéral de la crise financière a été souligné: le crédit devenant plus difficile, les banques vont devenir plus sélectives dans l’octroi de financements plus onéreux, limitant ainsi le gonflement effarant d’une bulle de commandes spéculatives jamais atteinte jusqu’ici, et dont on voit désormais les dangers face au ralentissement mondial des économies.

Fin 2007 le carnet de commandes de navires avait atteint les 530 Mtpl, soit environ cinq fois le niveau de 2 000. Il représente désormais plus de la moitié de la flotte en service. La moitié de ce carnet est constituée de vraquiers, or la bulle a éclaté: sur le segment des vraquiers d’au moins 100 000 t, l’indice Baltic Cape Index a atteint son maximum le 5 juin avec une valeur spot de 233 988 $. Depuis, il ne cesse de chuter. Les chantiers navals vont donc voir se multiplier les annulations de commandes. La question du manque d’équipages et de leur formation a été de nouveau évoquée à Vancouver. L’estimation des besoins d’équipages des armements est fonction du volume d’activité que connaîtront les échanges maritimes mondiaux au moment où on les cherchera. En faudra-t-il plus ou moins de 46 000 à l’horizon 2010? On sait qu’il faut de toute façon environ huit ans pour former un homme d’équipage.

Autre sujet de préoccupation des assureurs, les pertes de navires partielles mais sérieuses ont progressé de 270 % en 10 ans (0,64 % en 1998 et 1,73 % en 2007). Ces pertes ont totalisé 1 Md$ en 2007, même si une part de celles-ci se rattache à l’exercice de souscription 2006. Leur coût a progressé de 8 % par an depuis 2002. Parmi les raisons évoquées ont été citées: l’élévation du coût de l’acier, la taille et la sophistication toujours plus grande de certains types de navires bourrés d’informatique, l’encombrement des chantiers navals engendrant une plus grande distance pour trouver un espace disponible pour les réparations, et donc des délais plus longs, des prix en conséquence… Deirdre Littlefield, présidente de l’Iumi a commenté ainsi ces statistiques: « Ces chiffres soulignent l’inexorable hausse des incidents maritimes attribuable à de nombreux facteurs, dont le moindre n’est pas le boom du shipping lui-même avec des navires et des équipages traités plus durement que jamais. »

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