L’an dernier 250 marins ont été enlevés par des brigands des mers et 25 ont été exécutés parce que leur rançon n’a pas été payée!
Le brigandage et la piraterie maritimes, en recul sensible depuis plusieurs années ont connu l’an dernier un rebond avec 263 incidents recensés contre 239 en 2006. Elle s’est déplacée du détroit de Malacca jusqu’il y a peu la zone la plus sensible de la planète, vers les côtes somaliennes. Ce détroit n’a connu l’an passé que deux cas de brigandage maritime. Depuis deux ans, la coopération et les échanges d’informations entre États riverains s’est renforcée et commence à porter des fruits. La Malaisie a créé voici deux ans un corps de gardes côtes et développé des sémaphores avec des stations radars, elle a des patrouilleurs côtiers, Singapour a également des moyens militaires. L’Indonésie a des moyens plus faibles, mais a reçu du Japon, voici deux années, des patrouilleurs. Avec 43 attaques de pirates en 2007, elle reste le pays le plus dangereux du monde, mais en 2003 elle avait enregistré 121 incidents!
À l’inverse, le Nigéria et le Golfe d’Aden connaissent un regain d’attaques. Le géant africain a connu l’an dernier 42 incidents recensés contre 12 en 2006. Les attaques se situent à 40 nautiques de la côte au plus près des côtes et dans les estuaires des rivières. Elles visent aussi bien les supply qui font la navette entre les installations à terre et les plate-formes pétrolières en mer, que les navires en attente de décharger en rade de Lagos ou les plates-formes off shore. Au brigandage ordinaire s’ajoute les actions du Mouvement de libération du Delta du Niger. L’État nigérian n’a pas les moyens de lutter contre cette montée du brigandage et de la piraterie maritimes.
Une zone à haut risque
Le Golfe d’Aden connaît une montée du brigandage et de la piraterie maritimes. En 2007, 31 attaques de navires ont été enregistrées au large de la Somalie, contre 8 en 2006 et depuis le début de l’année 2008, 63 navires ont été attaqués par des pirates venus de Somalie.
L’opération lancée dans la nuit du 15 au 16 septembre, par les hommes du commando Hubert, relevant du Commandement des opérations spéciales pour libérer les deux navigateurs du voilier Le-Carré-d’As a frappé le public français, mais ces attaques concernent avant tout les navires marchands.
L’attaque le 16 septembre, du thonier breton Le-Drennec qui a échappé de justesse à des tirs de roquette dans les eaux internationales au large de la Somalie, montre qu’aucun navire de pêche, de ligne ou de croisière n’est à l’abri de ces pirates. L’ouest de l’Océan indien représente 30 % de la ressource mondiale de thon. Une cinquantaine de thoniers français et espagnols opéraient dans cette zone.
Absence d’État et misère
Il y a une quinzaine d’années, l’abordage d’un navire supposait une maîtrise de la navigation à l’estime ou au compas. Aujourd’hui les pirates peuvent se procurer, légalement ou non, tout l’équipement nécessaire. Munis d’un GPS permettant une navigation exacte de nuit, ces pirates repèrent leur cible grâce à des jumelles à vision nocturne.
Pour s’approcher de leur proie, ils utilisent dans le Golfe d’Aden et l’Océan indien un navire pouvant naviguer en haute mer comme un boutre de pêche. Pour l’abordage, ils mettent ensuite à l’eau un zodiac, qui peut les propulser à 40 nœuds, à peine visible au radar.
Les armes circulent facilement à travers toute la Corne de l’Afrique dévastée par les conflits depuis une trentaine d’années. La Somalie elle-même est en proie à la guerre civile depuis 1991. L’État y est inexistant et les Tribunaux islamistes, qui ont peut-être contribué un temps à limiter ce brigandage, ont été défaits.
Les pirates n’hésitent pas à utiliser des fusils automatiques ou des RPG (lance-roquettes anti-char). Ils ne se limitent plus aux proies les plus faciles comme les navires lents et bas ou les chalutiers en activité, leurs armes lourdes leur permettent de trouer la coque des pétroliers.
Les pirates qui ont arraisonné le cargo ukrainien Faina ont déclaré vouloir protéger la mer somalienne de l’immersion de déchets toxiques par des navires étrangers. D’autres stipendient le pillage des ressources halieutiques, par les thoniers espagnols et français.
La misère dans laquelle s’enfonce la Somalie encourage la piraterie. Les fortunes accumulées par les brigands du Puntland, région autonome autoproclamée du nord-est de la Somalie, d’où part la quasi totalité des attaques, font bien des envieux! Depuis le début de l’année 2007, les rançons obtenues par ces pirates représenteraient 30 M€ alors que le budget estimé du Puntland serait d’environ 20 M€!
Résolution 1838 et redéfinition de la piraterie
Pour faire face à cette montée en puissance du brigandage et de la piraterie maritimes dans cette zone, la France et les États-Unis ont pris l’initiative de soumettre au Conseil de sécurité de l’ONU la résolution 1816 autorisant, en accord avec les autorités somaliennes, un droit de suite de la haute mer vers les eaux territoriales somaliennes en cas de flagrant délit. La résolution, parrainée par 14 autres pays, a été adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 2 juin 2008.
Le 16 septembre, à l’initiative de la France et de l’Espagne, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont décidé l’activation d’un centre de coordination maritime pour prévenir les actes de piraterie. Une force aéronavale doit déployer dans le Golfe d’Aden à la fin du mois de décembre une dizaine de navires. Le vice-amiral britannique Philip Jones devrait mener à bien cette opération. Cette « Task Force » devrait prendre la relève d’un destroyer italien et de deux frégates grecque et britannique appartenant aux forces de l’OTAN envoyés fin octobre, pour une mission d’escorte et de dissuasion dans le Golfe d’Aden. Quelle sera l’efficacité d’une dizaine de navires de guerre pour surveiller une zone qui outre le Golfe s’étend toujours davantage en direction de l’Océan indien?
Le 7 octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU dans sa résolution 1838, rédigée par la France et adoptée à l’unanimité de ses 15 membres a appelé « tous les États intéressés par la sécurité des activités maritimes à prendre une part active dans la lutte contre la piraterie au large des côtes de la Somalie, en particulier en déployant des navires et des avions militaires ». Une invitation qui s’adresse notamment aux États riverains du Golfe d’Aden. Mais la coopération est difficile avec le premier État concerné, la Somalie dont l’État est inexistant.
Plus récemment s’est engagée au Parlement européen une discussion sur une redéfinition de la piraterie comme acte criminel plutôt que comme un acte de guerre. Cette deuxième définition enlèverait aux pirates la possibilité de s’abriter derrière la Convention de Genève, facilitant leur poursuite judiciaire. Cette nouvelle définition supposerait l’adoption d’une résolution à l’ONU, en accord avec l’OMI, qui autoriserait les marines de guerre à arrêter les pirates et à les soumettre à la justice, soit dans le cadre de l’État du pavillon, soit en accord avec un pays de la région du Golfe d’Aden.
Coopération avec des États riverains
Une coopération existe entre le gouvernement djiboutien et la marine française, bénéficiaire d’une base sur le territoire. La Royale contribue à l’entretien de la marine djiboutienne et forme ses marins et ses douaniers. Elle aide la marine de ce pays à renforcer sa surveillance, notamment par la construction et le financement de trois sémaphores, avec les moyens de transmission de données qui vont avec. Cela leur permettra de savoir ce qui se passe dans le détroit de Bab al-Mandab ou « Porte des Lamentations » et un peu plus au sud. Cette coopération a ses limites côté terre puisque le responsable des douanes avouait récemment qu’au delà d’une journée de marche de la capitale, on se trouve dans une zone de non-droit avec des trafics d’armes! La France coopére aussi avec le Yemen: elle construit des pontons pour faciliter l’accostage de leurs vedettes sur une de ses îles et contribue à la formation des gardes côtes yéménites. l’Italie vient de leur fournir trois vedettes. Les États-Unis développent un système de surveillance dans la zone de Bab al-Mandab. Il y a donc clairement une volonté de renforcer les moyens de ces deux États riverains, favorisant une vision du trafic dans le détroit et le Golfe d’Aden.
Fin octobre, la France y disposait d’un aviso et d’une frégate, les États-Unis de cinq bâtiments de guerre, la Russie et l’Inde d’un navire de guerre. Mais du côté de la Royale, on fait observer qu’un bâtiment de guerre ne dispose que d’un quart d’heure après un appel à l’aide d’un commandant de navire pour prévenir un arraisonnement par des pirates. Reprendre un navire de vive force est toujours une opération très risquée!
Outre le Puntland, reste toute la partie sud de la Somalie, soit 3 000 km de côtes sans contrôle étatique. Combien de navires de guerre faudrait-il aligner pour couvrir cette zone en permanence? Organiser des convois signifie rigidités et attentes qui ralentiraient le trafic.
Mesures de prudence
Reste des conseils de prudence et des moyens de défense adoptés par certains armements. Le premier est évidemment, dans les zones à risque, d’établir un contact avec les navires les plus proches, de croiser loin des côtes, dans la mesure du possible, et de désactiver le transpondeur AIS, qui peut vous faire repérer par les pirates. La navigation de nuit et à plus de 15 nœuds est également conseillée. Une étude de l’US Office of Naval Intellignence montre que la quasi totalité des navires abordés naviguent de jour, à la vitesse de 14 n€uds, tandis que ceux qui naviguent à 15 n€uds ont échappé à leurs poursuivants.
Lances à incendie, barbelés ou câbles électrifiés sur les parties les plus accessibles d’un navire, systèmes de détection de proximité, canons à micro-ondes mettant en panne un moteur à plusieurs centaines de mètres, font partie de l’arsenal utilisé par certaines compagnies. Un équipage vigilant, des professionnels de la sûreté, sont les moyens dont devront se doter les armements fréquentant les zones à risque de l’océan, sans oublier naturellement de vérifier que la police souscrite les garantit contre les actes de piraterie.
Salaire des marins doublé dans le Golfe d’Aden
Pour compenser les risques encourus lorsqu’ils naviguent dans les eaux du Golfe d’Aden, l’IBF (International Bargaining Forum) prévoit de doubler les salaires du personnel à bord des navires couverts par des accords IBF.
L’IBF est constitué de l’ITF (Fédération des syndicats des ouvriers du transport) et d’associations de gérants de navires et d’armateurs.
Brigandage et Piraterie maritimes Qui paie quoi?
Selon la Convention de Montego Bay, il y piraterie quand un incident violent se déroule dans une zone non soumise à la juridiction d’un État, c’est-à-dire au-delà de la limite des eaux territoriales d’un État. Un incident qui se déroule dans la mer territoriale d’un État est un acte de brigandage et relève de la juridiction de cet État.
Dans un acte de piraterie qui paie quoi? La question a été posée à Vancouver et la réponse fut assez confuse! Chaque pays a sa propre vision.
La piraterie et le brigandage sont assurés dans le cadre de la police « corps » dite « risques ordinaires », par opposition aux « risques de guerre et assimilés » y compris le terrorisme, assurés par une police spécifique: une distinction qui fait toujours débat sur le marché.
À Vancouver certains ont estimé que le risque de piraterie devait être considéré comme un risque de guerre. Dans le montage des contrats, l’acte de piraterie est parfois assimilé à un risque de guerre. Les conditions d’assurance changent d’un marché à l’autre. Certains marchés assignent l’acte de piraterie à un risque de guerre qui englobe l’acte de terrorisme. De fait l’argent des rançons pourrait alimenter le terrorisme.