« Nous devenons une entreprise économiquement et écologiquement responsable »

Article réservé aux abonnés

Journal de la Marine Marchande: Vous êtes arrivé depuis trois semaines dans le port. À fin septembre, les trafics montrent une stabilité. Comment analysez-vous ce constat?

Laurent Castaing: En effet, le trafic sur les neufs premiers mois de l’année affiche une légère progression de 0,4 % à 59,2 Mt. Plusieurs raisons expliquent ce faible score. Au cours du premier trimestre, des mouvements sociaux liés à la réforme portuaire ont perturbé notre activité, notamment conteneurs. Depuis le mois de juillet, les arrêts de travail se limitent à quatre heures par semaine. Les clients du port anticipent ces désagréments pour minimiser leur impact. Depuis le second semestre, la faible progression des trafics, notamment sur les conteneurs, tient d’une part aux premiers effets de la crise internationale. Les taux de remplissage des navires sont moins importants. D’autre part, avec les mouvements sociaux du premier semestre et les négociations en cours au niveau national, les armateurs sont attentistes. La conclusion est évidente: nous avons un trafic à peu près étal par rapport à l’année passée sur les derniers mois mais nous ne participons pas à la croissance, même faible des volumes.

Nous affichons une baisse de 8,3 % des conteneurs en EV à fin septembre, à laquelle il faudrait ajouter les 4 % de croissance annuelle que le volume devrait amener. Une analyse brute des chiffres ne suffit pas, il faut la placer en perspective des données économiques générales.

JMM: Qu’en est-il des autres courants de trafic?

L.C.: L’impact des mouvements sociaux a été plus faible. Les vracs liquides sont en progression de 6,1 % à 36,3 Mt à fin septembre, avec une bonne performance sur les hydrocarbures. Du côté des vracs secs, les flux accusent un repli de 5 % à 3,2 Mt. Notons qu’à l’intérieur de ce trafic, le charbon se stabilise avec une perte de 1 %. Enfin, les marchandises conventionnelles autres que les conteneurs sont en bonne marche. Le Transmanche avec la ligne LD Lines continue sa croissance, qui devrait être dopée par l’arrivée d’un second navire pour l’Angleterre et l’Irlande au mois de novembre. L’explication de ces évolutions tient plus à la conjoncture économique qu’à une faiblesse des prestations portuaires.

JMM: Les négociations nationales sur l’accord-cadre s’achèvent. Celles sur le Plan Stratégique vont prendre le pas en déplaçant, dès le mois de novembre, le débat sur la place portuaire. Comment appréhendez-vous cette période?

L.C.: Sereinement. Le fondement de l’accord-cadre vise à déterminer les conditions d’application de la loi. Le texte, voté par l’Assemblée nationale le 4 juillet, est admis par tous. Si nous avions rencontré une véritable opposition locale, le texte de l’accord-cadre n’aurait pas été accepté.

De plus, à mon arrivée au Havre, j’ai trouvé sur mon bureau des dossiers de réflexion sur l’application de la réforme. Les personnels en parlent sans tabous. J’ai rencontré les syndicats. Ces entretiens avaient pour objectif de nous connaître, sans que rien ne soit négocié pendant ces rencontres. L’accueil a été ouvert et chacun a pu exposer avec calme et pondération ses attentes. Pour ma part, j’ai rappelé que la loi votée pose des règles explicites que nous appliquerons. C’est une donnée avec laquelle nous devons travailler.

JMM: Concrètement, quelles dispositions vont entrer dans ce Plan Stratégique?

L.C.: Le Plan Stratégique prévu par la loi n’est pas prêt. Nous devons passer par une première étape de négociation avec nos partenaires sociaux et économiques. Nous souhaitons démarrer. Avant de déterminer les affectations personnelles de chacun, nous devons admettre les modalités d’application de la réforme, terminal par terminal. Nous devons trouver des partenaires sans oublier nos interlocuteurs historiques. Cette phase doit se finir dans les trois mois. Ensuite, et nous avons jusqu’en 2010, viendra la phase de négociation concernant le personnel. Socialement la réforme touche toute l’entreprise portuaire. Plus concrètement, elle vise environ 500 personnes au Havre. Cela signifie donc nécessairement une réorganisation.

Ce projet stratégique est très attendu par les personnels. Il ne répondra pas immédiatement aux attentes, c’est pourquoi je souhaite que nous allions vite sur le Plan Stratégique pour passer à la seconde phase. Bien entendu, dans ces négociations, tous les personnels mis à disposition dans le cadre des conventions d’exploitation des opérateurs de Port 2000 (phases 1 et 2) seront intégrés dans les nouvelles dispositions du Plan Stratégique.

JMM: Et l’outillage, comment pensez-vous procéder à sa vente?

L.C.: Le Grand Port Maritime du Havre a cette particularité, en France, d’avoir déjà partiellement privatisé son outillage. 85 % des portiques à conteneurs sont le fruit de l’investissement de sociétés privées. Alors, je pense que nous n’aurons pas trop de problèmes d’autant que nous avons au Havre des sociétés de manutention portuaire qui ont investi de façon lourde. Ma mission est simple: développer le port du Havre. Il ne s’agit pas de gagner de l’argent avec l’outillage mais nous ne le braderons pas. La loi ou le décret prévoit une grille de valeur de ces engins.

Sur les autres outillages, la situation sera plus complexe. C’est cependant une chance car cela nous permettra de mieux structurer les autres activités. Elles ne sont pas toujours organisées par terminal. La discussion sur le transfert de l’outillage va permettre de clarifier les choses. Dès lors que deux ou trois opérateurs se partagent une activité, nous allons devoir repenser la gestion des outils dans une structure déterminée. Il faudra, dans cette hypothèse, trouver des solutions avec des alliances, des choix de gestion et d’exploitation du terminal voire la décision pour un opérateur de s’installer ailleurs dans notre port. Le Projet stratégique ne va pas répondre à tout, ce que nous essaierons de faire partager par la communauté portuaire, le conseil de surveillance et nos partenaires sociaux.

JMM: Un des investissements du Grand port maritime, décidé depuis quelques années, vise la seconde phase de Port 2000. À quel stade de réalisation en êtes-vous?

L.C.: Nous avons commencé les travaux de la phase 2 de Port 2000 qui comprend 2 100 m supplémentaires de quai. Nous sommes dans une position commerciale facile de construire alors que nous avons déjà vendu. Avec la réalisation de ces travaux, nous disposerons sur Port 2000 d’un linéaire de 3 500 mètres. Avec ces nouveaux quais, le Terminal de France et le Terminal Porte Océane vont pouvoir s’agrandir et TNMSC déménagera du quai Bougainville, situé derrière l’écluse François 1er, sur Port 2000. Il restera à construire, ultérieurement, mais les procédures ne sont pas achevées, un linéaire de 700 m pour compléter le projet qui offrira alors 4 200 m de quai. Pour la livraison, nous la ferons en cadence. Nous allons livrer 350 mètres tous les trois à quatre mois. Le Poste 5 sera livré milieu 2009 puis les autres le seront régulièrement jusqu’au milieu de 2010. Ensuite, les opérateurs doivent aménager leur terre-plein et acheter les matériels. La mise en service du poste 5 pourrait se faire dès 2010, les autres postes suivront. Sur les tirants d’eau, nous offrons 17 m sur les postes 6 à 10 et 15 m sur les postes 1 à 5, ce qui permet d’accueillir les plus grands porte-conteneurs au monde.

JMM: Qu’adviendra-t-il des autres terminaux à conteneurs derrière l’écluse François 1er?

L.C.: L’histoire récente de terminaux comme Bougainville a montré qu’il était possible d’y traiter 800 000 EV par an, c’est donc un terminal efficace. Le second point important est que le port du Havre doit rester ouvert à tous les armements. Dès lors que les trois premiers armateurs se sont installés à Port 2000, il faut que nous songions à tous les autres qui représentent 60 % du trafic conteneurs mondial. Dès maintenant nous devons nous interroger sur la manière de permettre aux autres armateurs d’avoir des prestations. Le port doit être le régulateur de l’existence d’une capacité. Nous devons maintenir l’existence d’alternatives pour les autres terminaux.

JMM: Parallèlement au trafic conteneurisé, quels sont les principaux investissements de ces prochaines années?

L.C.: Nous en avons deux importants: le terminal méthanier d’Antifer et le projet de prolongement de Grand Canal du Havre. Le premier dépasse la problématique du port du Havre puisqu’il s’agit de répondre à l’approvisionnement énergétique national. Nous devons nous préparer au niveau national à des consommations supplémentaires. La fourniture en gaz peut se faire soit par gazoduc soit par des méthaniers. Le gazoduc pose des problèmes au niveau géopolitique. La conclusion de tous est le besoin de diversification avec des terminaux méthaniers. Gaz de Normandie, maître d’ouvrage de ce terminal, rassemble une société de gaz allemande et des intérêts gaziers autrichiens au travers de l’actionnariat de Poweo. Ce projet de terminal dépasse le simple cadre français pour s’étendre en Europe. Sur le calendrier nous ne sommes pas maîtres. Le GPMH met le terrain à disposition, Gaz de Normandie assure les procédures. En 2009, Gaz de Normandie devrait démarrer les procédures. Au travers du débat public, nous avons insisté pour étudier l’aménagement de l’ensemble de la zone. Au final, la mise en service devrait intervenir en 2011 ou 2012.

JMM: Et le prolongement du Grand canal du Havre?

L.C.: Ce projet est aussi essentiel. Faire entrer des conteneurs dans le port par la voie maritime est une étape dans la chaîne de transport mais il faut aussi que nous organisions leur sortie vers l’intérieur. Aujourd’hui, le passage des barges par le canal de Tancarville occasionne des temps d’attente pour les autres modes. La solution proposée est d’achever le Grand canal jusqu’à Tancarville pour renforcer le trafic fluvial sans gêner le trafic ferroviaire ou routier. C’est un projet essentiel pour favoriser la part modale qui ne sera pas routière. Il a d’abord fallu étudier les objectifs du projet, puis ensuite avoir une très bonne compréhension du cadre environnemental du projet, le tout en concertation avec toutes les parties prenantes. Nous avons alors pu définir le projet en intégrant dès le départ à la fois la composante navigation et la composante environnement. Dans ce projet, l’élément environnemental est en effet essentiel. Nous souhaitons faire un projet qui prenne en compte l’aspect économique et environnemental.

Au travers des différents points que nous avons abordés, nous démontrons notre évolution. Nous devenons une entreprise économiquement et écologiquement responsable. Nous faisons des choix économiques pour nous remettre en cause si d’autres choix peuvent être réalisés qui auront moins d’impacts sociaux. La même réflexion nous accompagne lors des réalisations des chantiers. Nous étudions ce que nous pouvons faire en faveur de l’écologie.

JMM: Favoriser les modes alternatifs cadre avec la politique du gouvernement. Cela signifie que le dossier de l’écluse fluviale de Port 2000 sera remis sur le tapis?

L.C.: La question qui se pose est de résoudre l’équation entre le chargement/déchargement optimum des barges à partir des porte-conteneurs qui sont traités à Port 2000. L’écluse fluviale est une solution, ce n’est pas la seule. Il n’est pas évident que ce soit la meilleure solution et pas uniquement pour des questions d’argent. Dans les ports du range nord, les barges n’arrivent pas à charger aux postes maritimes. Port 2000 ce sont des postes maritimes avec des clients qui nous demandent de nouveaux espaces. Faire venir les barges directement à Port 2000 ne serait pas forcément la meilleure solution.

Il faut imaginer que cette écluse représente un investissement. Qui va payer et quel montant payera chaque conteneur qui utilisera l’écluse? Nous réactualisons régulièrement ces calculs et finalement, la solution du chantier de transbordement peut demeurer plus économique. Dans le cadre du contrat de projet État-Région, une étude est réalisée sur le plan économique et sur la réalisation technique.

JMM: D’autres rénovations sont prévues?

L.C.: Les autres grands projets se recentrent sur la rénovation du port ancien par rapport aux besoins actuels des armements. Tous les postes soumis au marnage vont arriver à saturation. Nous réfléchissons aux postes derrière les écluses. Nous pensons surtout à doubler l’écluse. Nous sommes dans la réflexion. Le projet stratégique ne donnera pas de solutions mais autorisera la continuité de ces réflexions.

JMM: Les autorités américaines veulent imposer le scanning de 100 % des conteneurs à destination de ce pays. Pensez-vous anticiper ce mouvement?

L.C.: Dans ce dossier, notre réflexion s’articule surtout sur l’anticipation. Doit-on être en avance sur ce texte? Nous disposons déjà d’un scanner, qui appartient aux Douanes, dans le port. Nous ne devons être ni en avance ni en retard. L’organisation du 100 % scanning pour les trafics vers l’Amérique du nord est difficile. La discussion continue au niveau politique mais aussi au niveau opérationnel. Le financement des opérations de scan par les opérateurs doit aussi être réglé.

Dossier

Archives

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15