Journal de la Marine Marchande: La réforme portuaire, lancée au mois de janvier, doit franchir une prochaine étape avec la signature d’un accord cadre entre les partenaires sociaux. Comment se déroulent ces négociations et pensez-vous aboutir avant la date limite?
Dominique Bussereau: Cette réforme est importante pour le Gouvernement et elle tient à cœur au président de la République qui s’informe régulièrement sur l’état d’avancement de ce dossier. Les négociations se sont déroulées, depuis le mois de septembre dans un climat apaisé. Les partenaires sociaux avancent sur l’accord cadre national. Nous avons bon espoir d’arriver à une conclusion à la date limite. Nous tiendrons donc une table ronde, le 30 octobre.
Socialement, ces négociations portent sur les modalités d’intégration des personnels portuaires chez les opérateurs de terminaux. La loi adoptée en juillet avalise le transfert des personnels. Cet accord pose, au niveau national, un cadrage et apporte des garanties supplémentaires par rapport à la loi. Les modalités d’application port par port se feront dans le cadre des négociations au niveau local, au travers du projet stratégique avec les partenaires sociaux. En application de la loi, les ports disposent d’un délai de trois mois pour adopter leur projet stratégique. Les premiers transferts d’outillage pourront se faire dès le premier trimestre de l’année prochaine pour s’achever avant la fin de 2010.
JMM: Vous avez réussi à tenir le calendrier que vous vous étiez imposé. Quelles sont les prochaines étapes?
D.B.: Nous avons tenu nos engagements. Lors de la présentation du budget, nous avons augmenté le budget alloué aux ports. Les décrets d’application de la loi sont publiés, à l’exception de celui de Rouen. Des détails techniques nous ont amené à revoir notre copie mais le texte concernant le port normand est actuellement en examen devant le Conseil d’État.
Nous travaillons maintenant à la mise en place des différentes instances dans les Grands ports maritimes. Il faudra ensuite que les présidents des conseils de surveillance soient élus. Nous avons procédé, à la rentrée à des changements à la direction de ces ports. Les directeurs des ports ont vécu des moments compliqués pendant le premier semestre, il était légitime, en terme de gestion de nos ressources humaines, de procéder à des changements.
JMM: Vous avez procédé à de nombreux changements mais il demeure une chaise vide, celle du directeur du port de Bordeaux. Pensez-vous mettre en place un grand port atlantique qui couvre les trois établissements de cette façade?
D.B.: Dans le texte de la loi, nous avons prévu une instance de coordination entre les ports. Le Grand port maritime de Bordeaux aura bientôt un nouveau directeur général. La coordination entre les trois ports de la façade atlantique se fera aussi en nommant des membres communs aux conseils de ces trois ports.
JMM: La réforme des Grands ports maritimes est en marche. Quelles suites imaginez vous à ce chantier?
D.B.: Nous avons encore des étapes à franchir mais dès l’année prochaine nous allons nous pencher sur les ports d’Outre Mer. Les évolutions des statuts des collectivités locales de ces départements et territoires méritent que nous nous attachions à réfléchir à leur avenir. Ensuite, nous allons aussi procéder à des changements dans les ports fluviaux.
JMM: Après la table ronde qui s’est tenue en janvier sur la formation maritime, de nombreuses idées ont été proposées. Quelles sont celles que vous avez retenues?
D.B.: À la suite de la table ronde, j’ai demandé à Michel Aymeric, alors Directeur des affaires maritimes de préparer un projet de réforme. J’ai demandé à Damien Cazé son successeur, de reprendre les premières propositions avec deux objectifs: augmenter le nombre de jeunes en formation et renforcer les moyens en les concentrant. Je serais en mesure d’annoncer un plan pour la formation maritime d’ici la fin de l’année. Les services du ministère étudient les différents sites et leur vocation possible. Nous devons tenir compte des spécificités régionales et des demandes des armateurs. Des regroupements d’établissements seront nécessaires.
Des nouvelles dispositions sur l’enseignement maritime pourraient être mises en application dès la rentrée 2009.
Nous devons également tisser des liens plus forts en Europe en particulier avec les pays francophones: les armateurs sont sensibles à la connaissance du français par leurs équipages. Nous avons par exemple décidé de coopérer avec le gouvernement tunisien. Nous procédons de la même façon au Maroc pour développer nos relations avec l’Académie maritime de Casablanca.
JMM: Les questions d’équipage sont souvent liées à celles du pavillon. La création en 2005 du Registre international français (Rif) devait amener un développement de la flotte nationale. Pensez-vous avoir atteint l’objectif?
D.B.: Les chiffres attestent de la progression. Nous avions au 1er janvier 2006, 228 navires pour un tonnage de 4,3 millions de jauge brute. Au 1er octobre 2008, la flotte française sous Rif atteint 268 navires pour 5 millions d’unités de jauge brute. Nous avons dépassé le tonnage de l’ancien registre TAAF (Terres Australes Antarctiques Françaises).
Cet état des lieux n’est cependant pas entièrement satisfaisant. Un point joue en notre défaveur, le classement par l’ITF de ce registre au rang des pavillons de complaisance. C’est absurde. Nous devons agir. Il faut que nous continuions à promouvoir ce pavillon qui est désormais compétitif par rapport à ses concurrents européens. J’espère que l’ITF notera l’engagement de la France en faveur de la sécurité maritime en particulier lors de cette présidence française de l’Union européenne.
Nous voulons aussi renforcer le « guichet unique » de Marseille qui doit aller au devant des opérateurs, les démarcher en particulier dans le secteur de la grande plaisance. Ce registre répond à leurs attentes. De plus, dans le courant du premier trimestre 2009, les prévisions tablent sur l’arrivée d’une quinzaine de navires. Notre flotte a un âge moyen de sept ans et s’affiche au premier rang de la liste blanche du Mémorandum de Paris sur le contrôle par l’Etat du port. Le Rif et les mesures d’aides à la flotte notamment fiscales, la réforme de la formation, l’amélioration de la compétitivité de nos ports, sont autant d’éléments qui vont nous positionner parmi les leaders mondiaux de ce secteur.
JMM: Le Rif a été tiré du rapport du Sénateur Henri de Richemont. Ce rapport, remis en avril 2000, traitait d’un autre sujet, les autoroutes de la mer. En huit ans, les conclusions de ce rapport parviennent difficilement à entrer en application. Quels sont les freins à la mise en place de ces systèmes?
D.B.: Je suis mécontent car nous faisons du sur place. On fait des kilomètres de discours quand il faudrait faire des kilomètres de transfert modal. L’appel d’offres pour les projets d’autoroutes de la mer entre la France et l’Espagne n’a pas encore abouti alors que les offres ont été remises depuis près d’un an. Alors qu’il existe un véritable marché entre nos deux pays. Nous avons lancé une nouvelle initiative de liaison avec le Portugal qui, je l’espère, débouchera sur une ligne. En Méditerranée, nous pensons qu’il faut élargir la commission intergouvernementale avec l’Italie à l’Espagne. Sur ce marché de la Méditerranée, nous souhaitons élargir ce concept aux pays d’Afrique du nord. Une réunion des ministres des transports doit se tenir le 17 novembre, dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, pour élargir concrètement les projets à l’ensemble des pays concernés.
Il m’apparaît que le système d’appui européen mériterait d’être clarifié entre les aides au démarrage autorisées au plan national et celles prévues au plan européen. Il faut réfléchir à des aides à la construction des navires considérés comme des infrastructures. Les opérateurs ont besoin de clarification. La difficulté, dans la mise en place de ce concept, est de stabiliser les aides dans le temps pour leur permettre de passer le cap des premières années de lancement.
JMM: Cette volonté politique existe-t-elle en France?
D.B.: Elle est exprimée par le projet de la loi sur le Grenelle de l’environnement. Les autoroutes de la mer sont un des points importants de ce texte.
Dans le cadre de la loi sur le Grenelle de l’environnement, la redevance d’usage des infrastructures par les poids lourds constitue un outil qui va favoriser le report modal. Ce concept d’autoroute de la mer est difficile à mettre en œuvre mais les affréteurs routiers reconnaissent sa qualité et sa pertinence. Enfin, la structure actuelle du marché du transport routier en France et en Espagne, avec une grande atomisation des entreprises, ne facilite pas la mise en place de lignes.
JMM: Le troisième paquet sur la sécurité maritime a été adopté en conseil des ministres à Luxembourg le 10 octobre. Cette accord permettra de boucler ce dossier sous la présidence française?
D.B.: Je suis très satisfait du résultat obtenu, d’autant plus que nous revenons de loin. Lors des Conseils des Ministres d’avril et de juin, la situation était mauvaise. Nous avons redressé la barre. Lors du conseil européen informel qui s’est tenu à La Rochelle, nous avons beaucoup avancé. En plus du Président de la commission transports du Parlement européen Paolo Costa, j’avais invité le rapporteur de ce projet au Parlement européen, Gilles Savary. Ensemble, nous avons constaté que nous voulions arriver à un accord sur les deux derniers textes du paquet ERIKA 3.
Nous devions pour cela aménager un peu les textes en retirant du projet les questions supranationales, celles qui pouvaient entrainer des transferts de compétence des Etats vers l’Union européenne.
Nous avons convaincu nos partenaires de la nécessité d’agir. Le Royaume Uni et l’Allemagne ont joué le jeu et nous ont apporté leur soutien. Lors du Conseil de Luxembourg, nous avons adopté une déclaration qui engage les États en particulier à ratifier les conventions de l’OMI.
Nous sommes par ailleurs arrivés à avoir un accord politique sur les deux dernières directives. L’une concerne les obligations des États du pavillon, l’autre la responsabilité civile des propriétaires de navires. Avec ces deux textes, le Parlement européen devrait retirer ses amendements qui bloquaient l’adoption des six premiers textes et adopter l’ensemble du "paquet" de huit directives. Nous espérons donc pouvoir finaliser le "paquet" sous la présidence française.
JMM: Le projet de canal à grand gabarit Seine Nord Europe a franchi une nouvelle étape avec l’adoption de la Déclaration d’utilité publique le 11 septembre. Quelles sont les prochains rendez-vous de ce projet?
D.B.: En effet, le Premier Ministre, Jean-Louis Borloo et moi-même avons signé la Déclaration d’Utilité Publique le 11 septembre. Ce projet emblématique du Grenelle de l’environnement figure à l’article 10 du projet de loi adopté à la quasi unanimité le mardi 21 octobre par l’assemblée nationale. Nous entrons désormais dans une phase de négociation sur le partenariat public/privé (PPP). Avant la fin de l’année, nous devrions lancer un appel à candidature pour ce partenariat pour aboutir à la signature du contrat en 2010 et un démarrage des travaux. La mise en service de cet ouvrage est prévue pour 2015.
L’investissement sur cet ouvrage est estimé à 4 Md€. Nous avons déjà obtenu, dans le cadre des RTE-T, une enveloppe de 420 M€ par la Commission européenne. Une grande partie, 333 M€ concerne la partie française, le solde reviendra à la Belgique.
Le PPP, tel que nous le prévoyons aujourd’hui, fera porter la moitié des investissements par le privé dans le cadre d’un contrat de partenariat, l’autre étant supportée par l’État, l’Union européenne et les collectivités territoriales.
Le projet de canal Seine Nord Europe comporte quatre plates-formes multimodales qui jalonneront le tracé. Nous examinons actuellement les modalités d’inclusion des recettes de ces infrastructures dans le plan de financement de cet ouvrage.
JMM: La crise financière qui secoue le monde économique actuel n’épargne ni la France ni le monde maritime et portuaire. Des déclarations récentes du gouvernement portent sur un rééquilibre du budget. Pensez-vous être touché par ces mesures?
D.B.: La loi de finances telle qu’elle est actuellement discutée au Parlement est celle que nous avons adoptée en Conseil des ministres. Nous aurons peut être des ajustements qui se feront par des mesures techniques, mais les grandes lignes seront respectées. Il est certain que la crise économique actuelle n’épargne personne. Le secteur des transports est touché. Nous constatons des freins aux échanges, mais nulle part, dans cette crise, la mondialisation des échanges et les grands principes actuels ne sont remis en cause. Quand on regarde les précédentes crises économiques que nous avons traversées, nous constatons que le redémarrage économique se fait avec des taux de croissance plus importants que ceux d’avant la crise. Il faut donc espérer que la tourmente actuelle soit de courte durée.
Nous devons être vigilants sur un point essentiel, les contrats de partenariats. Quand nous bâtissons des projets de partenariat public/privé, les entreprises et collectivités locales empruntent souvent auprès du système bancaire pour assurer leur participation.
Quant à la crise dans le monde maritime, je partage l’avis de Philippe Louis-Dreyfus dans son récent entretien avec le quotidien Les Échos. Il dit que ce mouvement va rétablir les équilibres dans le secteur. Ces bouleversements sont donc importants mais ne modifient pas notre feuille de route.