Le salaire de la peur ad libitum

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Pour d’évidentes raisons de confidentialité, la nature exacte du matériel et les intervenants réels resteront anonymes mais tout cela s’est réellement passé en France, il y a un peu plus d’un an.

Compte tenu d’un enthousiasme très mesuré de la part des DDE concernées, un trajet terrestre de 250 km pour une masse indivisible de 333 t. mesurant 14,5 m de long pour 3,55 m de large et 4 m de haut se transforme en transport multimodal d’un mois. Fin juin, l’affaire commence mal, certains flexibles de frein de la remorque (composée de 20 lignes, trois fils, réparties en cinq modules de quatre lignes chacun) sur laquelle a été chargé le colis, fuient. Il faut donc décharger le colis, analyser les causes de la panne et réparer: deux jours de travail non prévus. Deux causes sont identifiées: n’étant pas rigoureusement sur le même plan horizontal, un des modules composant la remorque s’est « écrasé » et certains de ses vérins pinçaient les flexibles. La seconde cause vient d’une garde au sol insuffisante lors de la mise au repos de la remorque. Là aussi, certains vérins pinçaient les flexibles.

Accompagné de plusieurs véhicules légers et d’une escorte de police, le convoi composé de trois tracteurs dont un pousseur et la remorque, finit par prendre la route, après une nouvelle réparation d’un ultime flexible qui fit perdre une demi-journée supplémentaire. Le convoi ne roule pas longtemps car au premier pont, il faut dételer les tracteurs, la résistance de l’ouvrage n’autorisant pas le passage du convoi. La remorque est donc tirée sur plusieurs centaines de mètres par un câble relié au treuil de l’un des tracteurs.

Le navire fluvio-maritime qui doit charger le colis est parfait à un détail près: la résistance de son fond de cale est insuffisante. Il faut faire reposer le colis sur les poutres qui repartissent les pressions, en choisissant judicieusement l’emplacement des bois durs et tendres. Compte tenu de la valeur du colis (de l’ordre de 20 M€) et de la météo prévue sur l’Atlantique, il est finalement décidé de renforcer bien au-delà de la norme l’arrimage et le calage, alors que le transport a lieu en plein été. Judicieuse précaution car le navire devait s’abriter et réduire sa vitesse durant 36 heures en raison de de la météo.

Du ciment et de la sciure

L’ensemble finit par arriver sur le littoral de la Manche. Le colis est alors transbordé par manutention verticale dans une barge roulière et fluviale dans laquelle se trouve déjà une remorque de 16 essieux dont l’un des flexibles… fuyait. Il fut réparé au port fluvial d’arrivée.Une forte pluie attend la barge et son pousseur à destination. Un premier tracteur se croche à la remorque avec une barre; le 2e au premier par un câble; idem pour le 3e sur le 2e. Ce qui fait frémir l’expert d’assurance car un câble d’acier s’allonge toujours à la traction. Au premier essai de déchargement par roulage de la remorque, les roues motrices des tracteurs patinent. La pluie et l’absence de peinture antidérapante fournissent une explication plausible. Du ciment et de la sciure de bois sont donc répandus sous les roues. Et le convoi sort de la barge. « sans raison apparente » car la pluie avait très rapidement dissous le ciment. Preuve que le pire n’est jamais sûr.

Avant de repartir, il faut changer sur la remorque quelques flexibles de frein qui fuyaient et une roue crevée. Le convoi finit par partir vers 21 h. pour arriver trois jours plus tard à destination non sans avoir subi quelques tracas concernant (encore) les flexibles et une bielle. Parmi les points positifs mais rares, l’expert souligne la présence du représentant du constructeur du colis. Ce qui a permis de consulter les plans de la répartition des poids et grandement facilité le centrage du colis sur les remorques. Souvent, dans certaines « grandes maisons », le plan de la répartition des poids sort rarement des archives, si tant est qu’il y soit toujours, confie l’expert, en souriant. Autre point positif, le grand savoir-faire de la filiale de transport de la « grande maison » et la parfaite prise de conscience que si l’assureur paie la casse, il n’en reste pas moins vrai qu’en cas de perte totale, il faudra attendre entre 24 et 36 mois pour obtenir un colis de remplacement. De quoi provoquer bien des émotions.

À vos calculettes…

Sachant qu’un colis pèse 333 t, combien faut-il de chaînes pour qu’il tienne correctement sur sa remorque routière?

28 répond le transporteur. 34 seraient mieux, répond l’expert.

Explications:

L’arrimage sur remorque par chaînes suit les principes suivants:

— une tonne de matériel à immobiliser exige un saisissage dont la charge de rupture est de 3 t soit ici, 999 t. (333×3);

— mais sachant que du contreplaqué a été incorporé entre le fond du colis et le plateau de la remorque, on estime que 30 % du poids du colis est « immobilisé » par frottement. Il ne reste plus qu’à saisir les 70 % restant soit 233 t;

— dans le cas présent, les chaînes de 13 mm de diamètre, ont une charge utile de 10,3 t et une charge de rupture de 21,2 t. 11 chaînes devaient suffire (233 t/21,2 t) mais avec 34, le coefficient de sécurité de 3 est respecté ({34×21,2 t}/3 = 240 t). Encore faut-il que ces chaînes soient correctement positionnées compte tenu du risque le plus probable: le coup de frein. Huit chaînes partaient donc du colis vers l’arrière de la remorque afin de bloquer tout mouvement vers l’avant; quatre autres partaient sur l’avant de la remorque; et onze étaient disposées en éventail de chaque côté.

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