Journal de la Marine Marchande: La Région Bretagne a été la première à prendre en charge les ports qui lui revenait de par la loi sur la régionalisation. Comment abordez-vous ces nouvelles responsabilités?
Jean-Yves Le Drian: Cette nouvelle responsabilité tirée de la loi sur la régionalisation des ports est une chance. Nous n’étions pas obligés de prendre la propriété des établissements de Brest, Lorient et Saint-Malo. Nous avons décidé de le faire en considérant que pour la Bretagne c’est une chance d’avoir la responsabilité de ces trois ports et de pouvoir établir une synergie entre eux. Cette chance nous l’avons saisie de par notre histoire et notre géographie. La Bretagne est avant tout une région maritime et nous nous devions d’assumer cette responsabilité.
À eux trois, ils réalisent un trafic global d’environ 8 Mt de trafic, ce qui nous situe à hauteur de certains ports autonomes français, à l’image de La Rochelle. Nous ne sommes pas un port autonome, cela nous donne une latitude d’action, mais nous en avons le poids en terme de trafic.
JMM: En prenant la propriété de ces trois ports que sont Lorient, Brest et Saint-Malo, ainsi que les ports de pêche, sous quel angle envisagez-vous de mener la politique portuaire de la Région?
J-Y. L.D.: Nous voulons créer une synergie entre les trois ports de commerce autour du concept de Port Breton. Il s’agit de penser l’ensemble de ces ports comme une entité globale tout en conservant les spécificités de chacun.
Pour appliquer ce concept, nous avons mis en place un comité stratégique, dont la présidence revient au président de la Région. La première réunion s’est tenue le 21 janvier. Il regroupe, outre la Région, le Conseil Général du Finistère qui est propriétaire de nombreux ports de pêche, les deux ports départementaux du Légué et de Roscoff. Il doit déterminer une stratégie et une complémentarité entre tous ces établissements. Il faut que ces ports arrêtent de lutter les uns contre les autres et qu’ils entrent désormais dans une phase de stratégie commune.
Ce comité stratégique a mandaté un bureau d’étude pour faire un diagnostic et établir une orientation stratégique pour l’avenir. Celui-ci a été rendu public au printemps. La stratégie sera affichée à la fin décembre. Au travers de ce concept de Port Breton, nous voulons afficher clairement notre volonté d’action collective. La Région, propriétaire des ports, l’imposera.
JMM: Vous avez publié un appel d’offres pour la gestion des deux ports de Brest et de Lorient. Quels sont les grands principes qui s’en dégagent?
J-Y.L.D .: La loi a prévu que les concessions en cours aillent jusqu’à leur terme. À l’avenir, nous ferons en sorte que le renouvellement des trois concessions survienne concomitamment. Les appels d’offres que nous avons lancés, d’une durée de 10 ans, concernent uniquement les deux ports que vous citez puisque le renouvellement de la concession du port de Saint-Malo arrive à échéance en 2017. Le renouvellement inclura alors ce dernier lorsque la concession actuelle sera arrivée à son terme.
Ces appels d’offres s’articulent autour de nombreux principes dont quatre ressortent. En premier lieu, le Port Breton sera fort si l’ensemble des ports est solidaire. Nous établirons des règles de solidarité. Deuxièmement, le Port Breton doit être internationalement visible. Nous devons rechercher des trafics nouveaux. Ainsi, nous avons un peu délaissé la conteneurisation. Nous devons revenir dessus. Il faut que ces ports soient à portée de main des grands trafics. Nous devons jouer des segments spécifiques sur l’internationalisation. Le troisième principe de cet appel d’offres vise à une meilleure articulation entre le Port Breton et l’économie régionale. La Bretagne dispose de deux secteurs clés, l’agro-alimentaire et les matériaux de construction. Le premier s’est un peu émietté au cours des années. Les produits liés à la construction affichent une forte expansion, notre région étant en pleine expansion démographique. Le quatrième point, essentiel, est encore lié à notre géographie. Nous sommes placés au croisement entre la route maritime qui relie la Chine et le Nord de l’Europe, d’une part, et la route terrestre du nord de l’Europe vers l’Espagne, d’autre part. Nous devons articuler intelligemment ce croisement. Il faut donc que nous nous dotions d’une liaison efficace avec une plate-forme logistique sur Rennes et les ports bretons, singulièrement le port de Brest.
Le concept global devrait privilégier une liaison entre la route maritime et terrestre par le fer.
JMM: Les candidats à l’exploitation de ces ports doivent être nombreux. Quels sont les postulants?
J-Y.L.D.: Nous sommes tenus par un droit de réserve envers les candidats. Pour l’exploitation du port de Brest, nous avons reçu trois dossiers dont l’un de la CCI, exploitant actuel, un autre de Véolia. À Lorient, la situation est différente. Outre les deux postulants précédents, le Port autonome de Nantes/Saint-Nazaire a déposé un dossier. Une question qui fait débat dans la région. Nous considérons qu’ils ont autant de légitimité à être candidat que n’importe quelle autre structure. S’il devait remporter le concours, nous passerions un contrat avec eux pour qu’ils obéissent à des règles. Nous demeurons propriétaire des ports, les candidats restent les exploitants.
JMM: Vous êtes la première Région à avoir misé sur ces responsabilités. Vous avez assumé la continuité des investissements engagés par le précédent propriétaire, l’État. Quels sont les ressorts financiers que vous utiliserez pour maintenir un taux d’investissement dans les ports?
J-Y.L.D: Sur les investissements, nous avons, en effet, poursuivi ceux que l’État avait engagés avant de transférer la propriété de ces ports. Ils nous sont apparus convenables. Nous avons attaché une enveloppe de 3 M€ à la poursuite de ces travaux. Ils concernent la forme de Radoub no 1 à Brest, le ponton pétrolier de Lorient et le terminal céréalier de Saint-Malo sur le quai Cartier. Ensuite, à la fin de la procédure d’appels d’offres, nous allons définir notre projet stratégique pour définir les grands investissements.
Sur le financement, la chose est plus difficile. Nous allons récupérer de l’État une forme d’équivalent de ce qu’il a versé aux ports pendant les trois dernières années de sa propriété. La différence vient de ce qu’il a peu investi au cours de ces années. Nous avons, à ce sujet, un contentieux. Les textes sont respectés, mais la dotation est trop faible. Du coup, comme la Région fait des ports une de ses priorités, nous allons devoir mettre la main à la poche.
JMM: Les dossiers des appels d’offre sont déposés à la Région. Quels sont les prochains rendez-vous jusqu’à la décision finale de la concession des deux ports?
J-Y.L.D.: Les candidats ont déposé leurs dossiers à la fin du mois d’août. La délibération se fera en décembre. À la mi-décembre, nous connaîtrons les exploitants sur Lorient et Brest. Nous tiendrons une réunion en janvier pour le plan stratégique. Nous déterminerons la cohérence globale de l’action sur autant de points comme la tarification, les investissements et les trafics. Nous sommes propriétaires, nous ne sommes pas exploitants et nous laisserons à ces derniers la gestion quotidienne de ces établissements.
Cette responsabilité nouvelle de propriétaire des ports et dans ce cadre, nous réfléchissons aussi aux pré et post-acheminements. Nous publierons, concomitamment au plan stratégique un schéma de transport multimodal, traitant des questions ferroviaires et routières. Il s’intégrera encore une fois dans ce concept de Port Breton à la croisée de la route maritime et de la route terrestre.
Nous ne sommes pas les seuls à décider. Sur la zone logistique, par exemple, nous sommes entrés au capital en exigeant que cette plate-forme soit connectée par le ferroviaire.
JMM: Parmi les recherches de nouveaux trafics ou marchés, pensez-vous que le futur Port Breton ait un rôle à jouer dans les autoroutes de la mer?
J-Y.L.D.: Ce concept des autoroutes de la mer est intéressant, mais le terme est galvaudé. N’oublions pas qu’en Bretagne, le système existe déjà vers les îles britanniques et sur le nord de l’Espagne avec la B.A.I. Dans ce concept d’autoroutes de la mer, deux notions sont fondamentales: la régularité de la ligne et le cadencement. Imaginer d’autres routes depuis d’autres ports, quand on veut une régularité et un cadencement, cela suppose une flotte particulière. Nous sommes prêts. La Région est propriétaire des navires au travers de notre participation dans la B.A.I.
Nous sommes prêts à relever le défi sous réserve que la prise en compte des autoroutes de la mer se fasse avec un concours de l’Union européenne. L’UE a récemment fait un saut qualitatif important en admettant que les autoroutes de la mer pouvaient être considérées au même titre qu’une route terrestre. Cependant, les sommes proposées ne sont pas à la hauteur des besoins en matière de construction de navires. Le second point à régler concerne l’exploitation. Le montant est insuffisant par rapport à l’enjeu. Au final, la volonté existe, mais elle ne s’est pas traduite par une action réelle.
Financièrement et écologiquement, ce concept d’autoroutes de la mer n’a pas de prix. Nous allons jouer cette carte avec les outils dont nous disposons.