Même lointaine, une adhésion possible offre en effet de nouvelles perspectives commerciales dans ce domaine à la Turquie, qui ambitionne de devenir le premier constructeur naval européen. Selon un rapport parlementaire rendu public en juin, la Turquie dispose de 62 chantiers, dont 56 sont privés, 4 appartiennent aux forces armées et 2 à l’État. La plupart d’entre eux ont des commandes jusqu’en 2020 et 41 sont membres de l’Union des industriels de la construction navale (GISBIR). 44 chantiers (3 883 personnes) et 563 entreprises sous-traitantes (18 042) se trouvent dans la zone de Tuzla, à la limite est de la province d’Istanbul sur la mer de Marmara. La valeur des ventes à l’export est passée de 1,4 Md$ en 2006 à 2 Md$ l’année suivante, grâce aux commandes « sur mesures » à haute valeur ajoutée que les grands chantiers chinois et sud-coréens ne peuvent honorer. Pour Vidar Smines, consultant du chantier norvégien Ulstein Group, « la Turquie est semblable à l’Espagne, à la Pologne, à la Croatie et aux autres pays constructeurs européens, mais elle les surpasse. Ici la valeur par navire est plus élevée, de sorte que la Turquie est plus importante dans la construction navale internationale que les statistiques ne le révèlent ».
Les commandes à l’export devraient représenter 80 % du chiffre d’affaires total des chantiers turcs en 2008, contre 60 % l’an dernier. Grâce aux prêts consentis aux chantiers, la construction, la réparation et l’entretien des navires rapportent en moyenne 3 Md$ à l’économie nationale.
Accidents graves en hausse
La capacité de la construction navale turque a crû de 400 % en cinq ans. Mais selon le quotidien turc en langue anglaise Today’s Zaman, 178 accidents mortels ont été comptabilisés depuis 1985 et leur fréquence s’est accrue depuis 2002. Une enquête du ministère du Travail et de la Sécurité sociale a découvert 1 061 infractions à la réglementation sur la sécurité au travail fin 2006. Cela a conduit, depuis le début de cette année, à la fermeture temporaire de six chantiers, des avertissements à 163 entreprises et des amendes totalisant environ 1 M€ à 74 d’entre elles. De son côté, une commission parlementaire a effectué sa propre enquête à Tuzla, où 98 accidents mortels ont été répertoriés au cours des sept dernières années. Les causes sont diverses: explosions, décharges électriques, incendies, écrasement par du gros matériel, chutes de grande hauteur, crises cardiaques et suicides. Parfois les accidents mortels ne sont pas signalés aux autorités judiciaires, avec le consentement des familles des victimes probablement par crainte des représailles. « Cela laisse entendre, écrit le rapport, que le nombre officiel de morts serait loin de la réalité ».
La plupart des accidents mortels se sont produits dans des chantiers recourant aux sous-traitants. Le nombre de travailleurs a en effet été multiplié par sept depuis 2004, sans que les infrastructures aient été agrandies, accroissant ainsi les risques d’accidents. Le rapport cite le président de GISBIR Murat Bayrak: « il ya 10 à 15 accidents en moyenne par semaine à Tuzla, qui est loin de tout centre hospitalier. Les blessés graves meurent avant leur arrivée à l’hôpital le plus proche. On en a construit un qui n’est pas encore ouvert, car on ne trouve pas de médecins ».
Pour changer cet état de faits, le rapport recommande une formation du personnel à la sécurité sur le lieu de travail. Les employeurs sont tenus de respecter leurs obligations légales en la matière et recruter les personnels techniques et médicaux nécessaires. Enfin, la commission estime que les pouvoirs publics devraient procéder à des inspections plus fréquentes des chantiers de Tuzla.
De son côté, le ministre du Travail de la Sécurité sociale, Faruk Çelik, a attribué les accidents au recours important à la sous-traitance et au manque de qualification du personnel. Il a demandé aux organismes concernés d’étudier la sous-traitance, en vue de la réglementer et d’améliorer la formation dans les chantiers pour que les travailleurs soient mieux informés de leurs droits. Enfin d’après les syndicats, la durée journalière de travail excède les 7 h 30 réglementaires, augmentant ainsi la fatigue du personnel de toutes les catégories.