Journal de la Marine Marchande: La réforme portuaire est engagée depuis le mois de janvier. Pensez-vous que le contexte est favorable à ces changements?
Daniel Lefebvre: Cette réforme adopté en juillet par le Parlement aurait pu attendre. Le gouvernement avait mis en place les conventions d’exploitation des terminaux dans certains ports. Nous avons démontré que ce concept pouvait être décliné dans d’autres établissements. L’idée était bonne et il fallait se donner le temps de valider ce concept. Une période de test de cinq ans était nécessaire. Au lieu de cela, le gouvernement s’est attaché à tout remettre en cause.
Au final, cette réforme est mal perçue par les salariés des ports autonomes. En premier lieu, elle leur apparaît comme traumatisante. Ensuite, les personnels sont en opposition sur de nombreux points. Ainsi, ils ont démontré que les vérités du rapport de Claude Gressier prêchaient parfois le faux. Il fait état de difficultés financières dans les ports. C’est faux! La santé financière globale des ports autonomes était correcte. Ainsi, les ports restituaient une partie des excédents financiers. Alors, présenter les ports autonomes à bout de course ou en situation financière précaire est faux! Cela a été perçu comme une volonté de nuire pour justifier la réforme actuelle. Un autre point vise l’essoufflement des ports autonomes. Certains ports n’ont pas eu la croissance attendue. À l’opposé, prenons le cas du Havre dont les trafics n’ont cessé de croître. De 2006 à 2007, il a augmenté de 25 %. Je ne considère pas cela comme un essoufflement. Depuis la Convention d’exploitation de terminal en 2005 et tous les investissements consentis, le développement de ce port est en marche. Dans ces conditions, pourquoi interrompre ce processus? Les salariés n’ont pas compris. Enfin, la question du transfert des salariés et de l’outillage a mis le feu aux poudres. Quant à l’outillage, la cession prévue par la loi risque de se faire dans des conditions particulières. Au Havre, 80 % de l’outillage est d’ores et déjà privé. La loi va obliger au transfert chez les opérateurs alors que les terminaux étaient sous convention d’exploitation de terminal et fonctionnait parfaitement. À Marseille, c’est l’inverse. Les salariés ont la fierté d’appartenir à un établissement public et ils refusent d’être transférés chez les opérateurs privés. Et s’agissant de la vente de l’outillage, que vendra-t-on et à quel prix? Nous voulons avoir des assurances. Le texte de loi prévoit que ces cessions seront contrôlées par une commission dans laquelle les travailleurs portuaires ne seront pas présents. Nous avons des doutes sur la transparence de ces opérations.
JMM: Lors des premières négociations de la loi jusqu’à son adoption par le Parlement, vous avez montré votre opposition avec de nombreux mouvements sociaux dans les ports français. Comment cela s’est-il passé pendant l’été et quel est votre attitude pour les prochaines semaines?
D.L.: Pendant les deux mois d’été, en juillet et en août, nous avons connu une tranquillité relative. Elle était voulue par notre fédération. Les négociations ont été interrompues, nous n’avions donc pas de raison de pénaliser les ports. Nous sommes raisonnables. Pendant ces deux mois, le personnel portuaire a observé des mouvements sur les heures supplémentaires, les heures de nuit et quelques heures pendant la semaine, mais, ces mouvements furent moins pénalisants que ceux du printemps.
Pour les prochaines semaines, nous attendons de voir l’attitude des autres parties autour de la table, les organisations patronales, Unim et Upaccim, et le gouvernement. Le calendrier prévu par le texte de la réforme prévoit que nous devons signer, avant le 30 octobre, un accord-cadre national. Dès le 12 septembre, nous reprenons les négociations. Il faut éviter les absurdités et les injustices qui pourraient naître d’un accord-cadre déséquilibré. Les salariés des ports autonomes veulent un présent et un avenir. Ils font un effort et un sacrifice, ils veulent être récompensés. À défaut, les actions reprendront.
JMM: En effet, les négociations reprennent sur l’accord-cadre. Il doit poser les principes des négociations qui se dérouleront ensuite port par port. Quels sont les principes que vous souhaitez voir inscrit pour aboutir à un texte qui vous satisfasse?
D.L.: Un premier projet circule. Soyons positifs et commençons par les points qui sont admis par toutes les parties. Ils s’agit de la garantie de l’emploi, la préservation des acquis sociaux, des dispositions sur les possibilités de retour après le transfert et des avantages sociaux. Il semble qu’il y ait un consensus mais il faut encore ajuster la rédaction du texte. C’est une belle avancée. Maintenant, nous avons encore des points d’achoppement sur lesquels nous devons négocier.
En premier lieu, figurent dans le texte de loi, les principes d’une nouvelle convention collective à finaliser avant le 30 juin 2009. Elle doit être une fusion des deux textes actuels, celui de la manutention et celui des personnels portuaires. Le délai est court. Nous avons donné notre accord sur ce laps de temps. Le désaccord porte surtout avec l’autorité politique, le ministère. Cette disposition sur la convention collective a été ajoutée à notre demande. Notre position est de dire que le ministère a pris l’initiative de bouleverser le travail dans les ports. Il est donc nécessaire de mettre en place de nouveaux textes. Cette nouvelle convention collective doit concerner l’ensemble des salariés, à savoir les personnels transférés dans les opérateurs privés et ceux qui demeurent dans les CCI ou les GPM.
La position du ministère est de restreindre la nouvelle convention aux seuls salariés transférés.
Nous n’adhérons pas à cette idée. De plus, personne n’a demandé aux salariés ce qu’ils veulent. Nous avons évoqué l’idée de faire un referendum pour avoir l’avis de l’ensemble des salariés. Le second point que nous voulons voir écrit dans cet accord vise à se prémunir contre les situations monopolistiques dans les ports. Des parlementaires ont proposé un amendement dans ce sens. Il a été rejeté. Nous voulons que le Grand port maritime ait un rôle de veille sur les situations qui vont naître après la cession de l’outillage. Au fond, ce texte ne concerne pas forcément les conteneurs, trafic sur lequel les opérateurs se battent, mais plutôt sur les vracs. Aujourd’hui, dans certains ports, des situations ultradominantes d’un opérateur se font jour sur les trafics de vracs. Si demain, dans le même port, l’opérateur prend le dessus sur les conteneurs, il devient monopolistique. Nous demandons que le Grand port maritime ait une prérogative de régulation. Les réponses que nous avons reçues de la part du ministère nous sont apparues peu convaincantes pour le moment.
Le troisième volet sur lequel nous voulons avancer concerne la pénibilité du travail. Nous avions bâti avec l’Unim un document structuré qui reprenait les points essentiels et notamment la pénibilité de certains travaux. Il devait être transmis aux ministères concernés. Nous ne voulons pas le perdre. Avec l’arrivée de la réforme, il a été remisé. Nous avons interpellé l’Upaccim pour élaborer un texte identique, mais elle est lente à réagir. Maintenant, toutes les parties semblent prêtes à s’engager sur ce point. Alors, figeons-le dans l’accord-cadre. Le ministère hésite, évoquant la solidarité gouvernementale. Pour nous c’est une question fondamentale. Le problème est à régler au niveau ministériel.
JMM: Dans l’accord-cadre les conditions de transfert du personnel doivent être abordées. Comment envisagez-vous ce point de la négociation?
D.L.: Cette question fait l’objet d’un document qui sera annexé à l’accord-cadre. Les conditions de transfert se feront sous une convention tripartite avec l’agrément du GPM, de l’opérateur et du salarié. Il sera un avenant au contrat de travail qui existe actuellement entre le salarié et le port autonome. Avec ce transfert viendra se greffer des obligations pour les personnels portuaires de se conformer aux règlements intérieurs de leur nouveau commandement: horaires, temps de travail, congés payés, droit disciplinaire. Nous ne sommes pas demandeurs de cette réforme, nous voulons donc que ces avenants se fassent avec la plus grande lisibilité et dans la transparence.
JMM: La gouvernance des ports fait aussi l’objet de dispositions. Les salariés sont écartés du conseil de surveillance et se retrouvent dans le conseil de développement. Pensez-vous que ce nouveau mode de gestion soit plus adéquat?
D.L.: La gouvernance telle qu’elle est définie par la nouvelle loi est scandaleuse. Nous étions représenté dans les conseils d’administration. Désormais nous serons éloignés du centre de décision. Nous sommes relégués dans les conseils de développement sans pouvoir de décision. C’est une erreur politique! Notre absence du conseil de surveillance peut amener à envenimer la situation. Nous n’aurons plus de contacts directs avec les décideurs des ports. La situation risque maintenant de devenir très conflictuelle.