La cession de l’outillage public aux entreprises de manutention du secteur privé a constitué l’un des principaux points de discorde entre les Parlementaires lors de la discussion du projet de loi sur la réforme portuaire, cette mesure a été vivement contestée par une large partie des personnels concernés par le transfert de leur contrat de travail. Sur le plan social, ces inquiétudes sont légitimes dès lors que la sécurité de l’emploi est en cause. Cependant, au niveau national l’État se dote d’un nouvel « outil » ayant pour objectif d’améliorer la compétitivité des ports et de récupérer une part importante du trafic transitant par les ports voisins. S’agit-il d’un outil efficace? Il est bien entendu trop tôt pour en juger, mais tout dépendra du savoir-faire des pouvoirs publics, des gestionnaires de ports et des entreprises de manutention.
Un nouvel outil en faveur du développement économique
Les ports maritimes constituent des zones de transit pour le commerce national et international, ce sont des instruments d’aménagement du territoire. Ils tirent leur puissance économique en particulier de leur situation géographique, de la qualité de leurs dessertes terrestres et maritimes, de l’étendue et du dynamisme économique de leur hinterland, et bien entendu de la performance de leur personnel et de leurs équipements.
La loi no 2008-660 du 4 juillet 2008 portant sur la réforme portuaire vient de créer un nouveau régime portuaire: « le Grand port maritime ». S’il est destiné à remplacer les ports maritimes autonomes métropolitains, le texte reconnaît un pouvoir discrétionnaire au gouvernement pour choisir les ports maritimes relevant de la compétence de l’État qui seront dotés de ce statut. Il est en effet toujours possible de modifier par décret le statut d’un port étatique, de même que le changement de statut peut être étalé dans le temps port par port.
Désormais, les Grands ports maritimes ne pourront plus, sauf de manière exceptionnelle et marginale, exploiter et être propriétaires d’outillages publics, l’aménagement et la gestion de l’espace portuaire deviennent les missions principales de ces établissements publics, avec bien entendu, l’accueil des navires et bateaux. La circonscription constitue toujours la limite de la gestion foncière, mais les Grands ports maritimes peuvent acquérir des terrains situés en dehors de celle-ci en vue de les aménager pour des activités concourant au développement ou à la modernisation du port. Aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit que ces acquisitions puissent intervenir dans l’ensemble de l’Union européenne.
Le patrimoine foncier des Grands ports maritimes va être constitué du domaine public portuaire, y compris les plans d’eau ainsi que du domaine privé dont une partie comprendra des réserves foncières. La loi inclut dans les missions de ces établissements la préservation du domaine public naturel sans préciser s’il s’agit d’appliquer le principe de précaution, ou s’il y a lieu de définir et appliquer une politique environnementale.
Malgré la cession des outillages publics, les concessions en cours sont maintenues en vigueur jusqu’à leur terme sauf accord des parties. En revanche, de nouvelles concessions ne pourront plus être conclues, puisqu’en règle générale, les ouvrages et équipements concédés appartiennent à l’autorité concédante car ce sont des « biens de retour ». Il convient également de considérer que les conventions d’occupation de terminal ne comporteront plus d’outillages publics, même semble-t-il, sous la forme d’un apport en jouissance de la part du Grand port maritime.
S’agissant de la participation financière de l’État pour les travaux d’aménagement et d’entretien, ce sont les dispositions applicables aux ports maritimes autonomes qui sont applicables aux Grands ports maritimes, sous réserve de leur compatibilité avec le droit communautaire relatif aux aides d’État. Le régime des offres de concours, les contrats de partenariat « public-privé », les subventions des collectivités territoriales et de leurs groupements demeurent des modes de financement des ouvrages portuaires dont ces établissements publics peuvent bénéficier, sous la réserve que nous venons d’évoquer.
Enfin, la gouvernance du nouvel établissement public a été conçue de manière à favoriser la réactivité dans les prises de décisions. L’article L. 102-5 du Code des ports maritimes dispose que « Le directoire assure la direction de l’établissement et est responsable de sa gestion. À cet effet, il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom du Grand port maritime… ». Les décisions stratégiques doivent quant à elles être prises par le conseil de surveillance.
Il ne suffit pas de créer une nouvelle structure pour développer la productivité et améliorer une position concurrentielle, encore faut-il faire preuve d’un savoir-faire efficace.
Le savoir-faire facteur déterminant de la réussite
Le cadre législatif portant statut d’un port ne saurait être un mode d’emploi pour assurer la compétitivité des Grands ports maritimes. C’est la stratégie managériale mise en œuvre qui doit réellement y contribuer.
Le choix des investissements et des aménagements à réaliser, une tarification compétitive, des équipements adaptés au trafic, un personnel compétent et productif… sont des paramètres qui ne résultent pas des textes, mais du savoir-faire des gestionnaires de ports. Toutefois, ceux-ci peuvent être confrontés à divers handicaps, comme la réglementation en matière d’urbanisme et de protection de l’environnement, les dispositions communautaires relatives aux aides d’État, les délais imposés au titre du code des marchés publics…
Les décisions ayant trait au partenariat constituent également un facteur de compétitivité, notamment dans l’opportunité de créer des filiales et de définir leur objet en fonction des impératifs du marché. La référence faite dans la loi portant réforme portuaire aux filiales pour gérer les outillages publics en cas d’appel à candidatures infructueux pour les acquérir n’exclut pas la participation financière minoritaire des Grands ports maritimes dans des sociétés, voire dans des groupements d’intérêt économique. On peut regretter que la loi limite à cinq ans la gestion des outillages publics par les filiales, et que celles-ci seront progressivement soumises à la taxe professionnelle eu égard à la valeur locative de ces biens, ce qui n’était pas le cas lorsque les outillages publics étaient exploités en régie par un port maritime autonome.
Outre le contrôle a priori par le conseil de surveillance du Grand port maritime, des prises ou cessions de participations financières dans le capital de sociétés, il convient de ne pas sous-estimer le temps de réactivité de l’agence des participations de l’État lors de la prise de ces décisions.
La paix sociale est également un facteur déterminant pour le succès commercial d’une entité portuaire. La capacité de négociation du Président du Directoire et de ses collaborateurs peut être un atout majeur pour la compétitivité des Grands ports maritimes. Aucune disposition de la loi n’impose une tutelle de l’État dans ce domaine, toutefois les négociations ne peuvent être conduites que dans le respect des orientations gouvernementales. Le Commissaire du gouvernement et le représentant du contrôle général économique et financier participent au conseil de surveillance afin d’éviter des dérives par rapport aux intérêts de l’État.
Enfin, le législateur encourage les Grands ports maritimes à concourir à la promotion générale du port, c’est-à-dire qu’ils n’interviennent pas seuls, mais ils doivent avoir, en pratique, une attitude influente sur les autres membres de la communauté portuaire. Bien que non expressément mentionnée dans la loi, une concertation entre l’autorité portuaire, les collectivités territoriales et les opérateurs est souhaitable pour définir les actions de promotion du port.
Le gouvernement a estimé qu’il y avait urgence à réaliser la réforme portuaire. La loi a effectivement été votée dans un bref délai, mais les résultats ne seront pas immédiats malgré la volonté de publier très rapidement les décrets d’application. Tandis que le nouveau cadre juridique s’impose désormais aux Grands ports maritimes, ceux-ci conservent la possibilité de prendre des initiatives et d’innover afin de développer leur compétitivité. C’est une des clés du succès!