Sur les routes Est-Ouest, le transpacifique et les liaisons Europe-Asie emportent la majorité des trafics. Au cœur de ce dispositif, la Chine continue de jouer son rôle de moteur de l’économie mondiale, aidée par la Corée du Sud, le Japon et les pays du Sud-Est asiatique.
Dans son rapport annuel pour 2007, le consultant néerlandais Dynamar évalue à 46,6 MEVP le volume conteneurisé sur les routes Est-Ouest, transatlantique compris. Le transpacifique y entre pour 42,4 % avec 19,7 MEVP. Ce volume comprend tous les trafics depuis l’Asie vers le Canada, les États-Unis et le Mexique tant sur la côte Est que sur la côte Ouest. Un trafic qui a augmenté de 6 % en 2007. Et les prévisions pour les prochaines années montrent une progression presque équivalente avec une hausse de 8 % par an. Entre l’Europe et l’Asie, le volume de conteneurs a été de 20,48 MEVP, en augmentation de 12 %. Ces chiffres comprennent toutes les boîtes transportées depuis le nord, le sud, l’est et l’ouest de l’Europe vers le nord-est et le sud-est asiatique.
La particularité de cette année tient surtout aux changements qui s’opèrent entre les deux trafics Est et Ouest au départ d’Asie. La progression plus marquée sur la route Europe-Asie la place désormais en tête des grandes routes maritimes mondiales. Elle dépasse, de quelques boîtes le transpacifique, traditionnellement première route maritime mondiale. Ce changement, intervenu en 2007, commence déjà à se remarquer dans les bilans trimestriels des armements. Le groupe singapourien NOL, propriétaire de l’armement APL, note « une contraction de 8 % des volumes sur les ports de la côte Ouest aux États-Unis ». Dans le même temps, l’armement a enregistré une baisse de 2 % de ses volumes transportés. Il indique malgré tout une hausse de 16 % de ses volumes transportés sur les routes transpacifiques, taux qui correspond surtout à la bonne tenue des trafics sur la route entre l’Asie et les ports de la côte Est des États-Unis. Une tendance dessinée par APL et confirmée auprès des autres armateurs. Mærsk Line, premier armement mondial, affiche une baisse de 18 % de ses volumes transportés entre l’Asie et les ports de la côte Ouest. Situation identique pour Cosco: au premier trimestre de l’année, les diminutions des volumes transportés par l’armement sur le transpacifique (− 1,2 % à 322 465 EVP) placent la route Europe-Asie au premier plan. Elle gagne 13,6 % à 363 360 EVP.
Une métamorphose annoncée
D’où vient cette métamorphose des échanges internationaux entre l’est et l’ouest de l’hémisphère Nord? L’élément déclencheur remonte certainement à plusieurs années avec les problèmes de congestion des ports ouest américains. La crise des « subprimes » qui a touché toute l’économie américaine a également son rôle à jouer. « Le pouvoir d’achat des ménages américains est en baisse, ce qui se traduit par une diminution de la consommation et une baisse des importations chinoises avec pour corollaire un ralentissement de l’activité des ports de la côte Ouest. Entre 2006 et 2007, ils perdent 1,2 % de trafic », note Isemar, institut d’économie maritime de Saint-Nazaire dans sa dernière note économique.
Cette baisse de régime du moteur transpacifique déteint sur les taux de fret. Au premier trimestre 2008, ils ont perdu 5,3 % à 9 162 RMB (840,2 €) par EVP, selon Cosco. Maersk Line affiche aussi des baisses de revenus sur les taux de fret des boîtes transportées sur le transpacifique. La diminution de ces taux conjuguée à la hausse du prix des soutes fait plonger les comptes d’exploitation des armements opérant entre l’Asie et les États-Unis. Selon un article de Vinamaso, site Internet vietnamien, les pertes des lignes transpacifiques s’élèveraient à plus d’1 Md$. « La machine à billets est devenue un bain de sang », indique Vinamaso. Pour contrer l’effet du prix des soutes, les armements membres du Transpacific Stabilization Agreement (TSA, forum de discussion et de recherche sur les trafics transpacifiques) adaptent les surcharges pour soutes. Ce poste est devenu déterminant dans la fixation des prix puisqu’il entre pour moitié dans les coûts du navire contre un cinquième une décennie plus tôt.
Selon un communiqué du TSA, les contrats signés entre les importateurs américains et les armements intègrent une hausse des taux de fret ainsi qu’une surcharge sur les soutes, indexée sur le prix du baril. « Les armateurs ont envoyé des signaux au marché pour signifier leur volonté d’intégrer une variable sur le prix des soutes. Les chargeurs attendaient de voir si nous étions sérieux et si cette demande allait se concrétiser dans les contrats à signer. Notre industrie souffre d’une grave crise financière. Les concessions lors des négociations sur les contrats des années passées sur les taux de fret et les prix des soutes, ne peuvent se répéter sans affecter la qualité de nos services. Cette fois nous sommes sérieux », a déclaré Ronald D. Widdows, pdg de APL et président du TSA.
Des négociations qui donnent le « la »
En avril, les chargeurs américains et les armements négocient les conditions des contrats annuels. Ces négociations donnent le « la » sur l’économie de la ligne et l’état à venir des services déployés sur le transpacifique en découle souvent. Ainsi, selon les premières prévisions, les trafics devraient augmenter à un rythme de 2 % à 5 % par an sur les prochaines années. Plusieurs éléments relevés par les armements du TSA devraient jouer un rôle de levier sur les éléments des taux de fret. En premier lieu, les armements s’inquiètent du départ de certains navires aujourd’hui affectés au transpacifique vers les routes plus lucratives de l’Europe-Asie. Ensuite, les négociations avec les ouvriers portuaires des ports de la côte Ouest des États-Unis influenceront les coûts de manutention. Elles concernent les conditions sociales et salariales dans ces ports. Ces nouvelles conditions doivent entrer en vigueur le 1er juillet. Pour les armements membres du TSA, l’issue de ces négociations pourrait avoir un effet bénéfique en réduisant la congestion des ports, mais avec une contrepartie, la hausse des coûts de manutention. Enfin, le programme environnemental mis en place par les ports du sud de la Californie doit entrer en vigueur dans le courant de l’année. Un ensemble de mesures dont les effets ne seront pas toujours positifs, selon les armement du TSA. « Ce programme, indique un communiqué de la conférence, peut entraîner un manque au niveau du personnel de quai, des camions et des chauffeurs et augmenter les coûts de manutention. »
À l’inverse, entre l’Europe et l’Asie, les chiffres sont beaucoup plus réjouissants. Le pronostic établit par la FEFC (Far East Freight Conference) à la fin 2006 tablait sur une croissance du trafic de 13 % à 14 %. Et chacun estimait que cette donnée était une façon déguisée d’annoncer une hausse des taux de fret. La réalité a été beaucoup plus loin. Entre l’Asie et l’Europe du Nord, la hausse des volumes s’est élevée à 17,6 % et à 22 % vers les ports de la Méditerranée. Dans le sens inverse, depuis les pays d’Europe vers l’Asie, les hausses de trafic ne devaient pas dépasser 4 % pour l’Europe du Nord et 7 % pour la Méditerranée. Au final, cette route a vu transiter 20,48 MEVP, dont 14,4 MEVP d’Asie vers l’Europe et 6,07 MEVP en sortie d’Europe. Le déséquilibre s’établit à 58 %. En d’autres termes, plus d’un conteneur sur deux repart vide d’Europe vers l’Asie. Si les armements ont décidé d’appliquer un taux de fret minimum de 100 $ par EVP sur les principaux ports asiatiques, certains ont joué une carte différente. Ils ont préféré embarquer des conteneurs vides pour les rapatrier au plus vite en Asie afin de prendre des parts de marché dans les trafics de conteneurs pleins en sortie d’Asie.
Des conteneurs vides moins chers
Ainsi, lors de son voyage inaugural, l’Eugen-Mærsk a entrepris une tournée en Europe du nord pour charger dans les principaux ports des conteneurs vides. À Zeebrugge quelque 2 000 boîtes ont été chargées. Au Havre, le navire a pris 1 500 EVP. Une stratégie qui peut se comprendre puisque les taux de fret en sortie d’Europe demeurent à des taux si faibles qu’il est parfois préférable de transporter des conteneurs vides plutôt que d’attendre d’hypothétiques conteneurs pleins. En 2008, selon le consultant Dynaliner, le taux de fret moyen s’établissait à 800 $ par EVP, contre 900 $ par EVP dix ans plus tôt. Au retour, les boîtes en sortie des ports asiatiques se négociaient aux alentours de 1 800 $ par EVP, contre 1 450 $ par EVP un an plus tôt. Ceci s’explique par l’augmentation de la demande européenne qui bénéficie d’une monnaie forte.
La question essentielle qui se pose aujourd’hui est de savoir combien de temps durera cette tendance. La crise financière qui touche les États-Unis commence déjà à se faire sentir sur les économies européennes. La hausse du coût du carburant et le ralentissement du pouvoir d’achat des consommateurs européens pourraient avoir des conséquences sérieuses pour les transporteurs opérant entre ces deux continents. Selon les chiffres publiés dans son rapport annuel, Dynaliner met en lumière la fragilité des relations Europe-Asie. 60 % des conteneurs transportés depuis l’Asie sont destinés à trois pays européens: le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas (sous-entendu le port de Rotterdam dont l’aura terrestre rayonne dans de nombreux pays d’Europe centrale et de l’Ouest). En Méditerranée, trois pays emportent 51 % des embarquements depuis l’Extrême Orient: l’Italie avec 20 %, l’Espagne avec 18 % et a Turquie avec 13 %. « Un être vous manque… », dit le proverbe. Si l’économie d’un seul de ces pays commence à chavirer, le marché risque de sombrer. Et la situation est encore plus criante sur l’autre rive de cette liaison. La Chine avec Hongkong entre pour 67 % des trafics westbound de ces lignes sur l’Europe du Nord et 69 % sur la Méditerranée. « Imaginez ce qui arriverait si la chaîne logistique chinoise s’écroulait », souligne le rapport annuel de Dynamar. Les inondations du premier trimestre en Chine du Sud, le tremblement de terre survenu récemment dans le Sichuan et les intempéries à répétition ont déjà sérieusement montré les limites de cette chaîne logistique. La croissance demeure fragile. L’entrée dans l’Organisation mondiale du commerce du Vietnam, en janvier, devrait conforter la position du continent asiatique comme moteur de l’économie mondiale. Même si des ombres planent sur la route Asie-Europe, les armements demeurent confiants. Pour APL, la demande est stable et les hausses en 2007 des taux de fret se maintiennent dans les premiers mois de l’année. La hausse du volume transporté continue même si elle se tasse en raison de la réduction de la capacité des lignes.
Une nouvelle carte des lignes
Face à la hausse du prix des soutes, certains armements ont, comme sur les autres lignes, décidé de réduire la vitesse de leurs navires afin d’économiser le carburant. Une politique qui les contraint, soit à ajouter des navires pour disposer d’une même capacité, soit à supprimer des escales. Mærsk Line a préféré cette solution et passe désormais outre le port de Dunkerque. D’autres ont choisi de transférer des navires qui opéraient auparavant sur le transpacifique. Et demain, une nouvelle carte des lignes maritimes pourrait se dessiner avec un axe central entre l’Asie et la Méditerranée. Les pays du pourtour méditerranéen et de la mer Noire, engrangent des taux de croissance parfois supérieurs à leurs voisins d’Europe du Nord. Les armements ne s’y trompent pas et la majorité des services voient leur capacité augmenter. Avec les pays d’Europe centrale dans leur proche hinterland, les ports des pays méditerranéens peuvent venir jouer les trouble-fête face à leurs voisins d’Europe du Nord qui souffrent souvent de congestion.