Ce qui suit est le résultat d’une lecture cursive du projet de loi portant réforme des ports autonomes (désormais « grands ports maritimes ») et de son exposé des motifs. Ce projet est bon. Il est simple et ignore les divagations archéo-dirigistes résultant d’une fausse interprétation de la notion d’autorité portuaire. Il vise à parvenir à une gestion efficace dans le but de faire revenir le trafic. Mais il est encore très incomplet, n’aborde pas certains sujets essentiels et ne peut être considéré que comme la première phase d’une révision d’ensemble du Code des ports maritimes, elle-même reflet d’une politique de gestion qui reste à définir.
Conceptuellement excellent mais incomplet
Le projet contient l’essentiel: transfert des outillages et de leur exploitation au secteur privé, transfert du domaine public de l’Etat aux ports, modification des organes de gestion (directoire et conseil de surveillance).
L’exposé des motifs indique que les ports français souffrent d’un manque de compétitivité, sans s’étendre sur les insuffisances diverses évoquées, ô combien discrètement, par le rapport Gressier. Les portiqueurs ne sont pas seuls responsables de la catastrophique chute des parts de marché. Toute la chaîne portuaire, publique ou privée, corps de direction peu modestes et agents d’exécution exigeants, Etat impécunieux et tâtillon, et d’autres encore, dont les chemins de fer, ont leur part de responsabilité. Certes, un Exposé des motifs n’est pas un acte d’accusation. Et on ne peut pas demander à ses rédacteurs de tirer sur l’administration qui le propose et dont ils font partie. Mais il aurait été justifié de rappeler cette responsabilité collective. Car seul l’effort de tous redressera la situation. À en juger par certains commentaires déjà publiés, tout le monde n’en est pas persuadé. Responsables et coupables sont aussi rares les uns que les autres.
Survie d’une loi périmée et carences de la loi nouvelle
La loi de 1965 est périmée. On le savait et le rapport Gressier l’a confirmé. On attendait donc un texte d’ensemble, exposant des principes généraux, et définissant des politiques. Or le projet de loi se limite à des additions et modifications, certes importantes mais dispersées du Code des ports maritimes. Très détaillé sur le transfert des outillages aux opérateurs et sur les garanties données aux personnels, assez complète sur les nouveaux organes de direction, il est quasi muet sur le reste. Rien sur les finances, malgré les recommandations du rapport Gressier sur la fiscalité et les dividendes. Il y aura en fait subvention occulte. Rien sur la tutelle, les études et la recherche, le personnel, la formation professionnelle et continue. Que restera-il en fin de course et après promulgation des décrets d’application, souvent en sournois retrait par rapport à la loi?
Les missions des grands ports maritimes
Le projet de loi énumère les domaines de compétence des grands ports, dans une optique officiellement régalienne. Il ne fait aucune allusion aux services à fournir aux usagers, à l’inverse de la loi de 2005 sur l’Aéroport de Paris, qui insiste sur ce point et impose un cahier des charges à la société aéroportuaire. Or l’obligation de service s’impose davantage encore à un établissement public qu’à une société. Qualifier ses fonctions de régaliennes ne suffit pas à l’en dispenser. Et le trafic ne reviendra que si le service est correctement fourni.
Fort sagement, la loi n’attribue aux ports aucune compétence en matière de régulation des activités des usagers au sens du droit de la concurrence. En septembre 2007, le Conseil de la concurrence a, dans une décision peu ébruitée, frappé un port autonome d’une amende de 1,5 millions d’euros pour abus de position dominante. Un futur gendarme commençait sa carrière comme délinquant. Le projet de loi encourageant le développement par le port de zones logistiques, le risque existe qu’elles concurrencent les activités privées dans ce domaine, si le port jouit d’un régime fiscal préférentiel. Bref, on ne peut être à la fois juge et partie. Ce d’autant plus que le projet de loi dispose que le port détermine les modalités d’exercice de ses missions. Or une telle latitude ne peut être consentie à une institution de régulation, dont la loi peut seule fixer les modalités d’exercice des compétences.
Parmi les missions des ports, l’exposé des motifs mentionne celles d’ingénierie. Le projet de loi les élimine. Pratiquées par de nombreux ports, dans des conditions de concurrence parfois discutables, ces missions appellent des réserves. Procédés de promotion commerciale du port et de l’industrie de son pavillon, elles ne sont pas toujours menées avec l’objectivité et l’indépendance nécessaires. Bien adaptées éventuellement à la résolution de problèmes techniques, elles le sont rarement aux réformes institutionnelles, aboutissant au placage artificiel de structures juridiques inadaptées. La diffusion en copié-collé de cahiers des charges français de concessions portuaires dans des pays dépourvus de justice administrative pour en guider et contrôler l’application en offre un exemple. De tous autres travaux de droit comparé hors de portée d’une administration portuaire, sont nécessaires. La consultation juridique est un métier qui ne s’improvise pas.
Les organes de direction
Conformément aux recommandations du rapport Gressier, les organes de direction seront un directoire et un conseil de surveillance. Crainte de conflits d’intérêt et loi Sapin aidant, toute représentation des usagers disparaît. Etat et collectivités territoriales voient la leur renforcée. Celle des personnels du port est intégralement maintenue. La différence de traitement est évidente et sera ressentie. Car les intérêts du personnel sont aussi sujet à conflit avec ceux de l’établissement que les intérêts des usagers. Tout le monde a voix au chapitre sauf ceux qui paient et sont supposés bénéficier du service. Si décevante qu’ait été dans le passé la participation des usagers à la gestion, elle a été à la base de la doctrine française de l’autonomie des ports dès 1870. Certes les « milieux professionnels » ont leur place dans un conseil de développement aux compétences fort modestes et aux pouvoirs inexistants, à égalité avec des représentants d’associations ou entités publiques ou privées qui n’ont pas de semblables responsabilités financières, patrimoniales ou managériales. La matière mérite examen et révision. Certains ports étrangers qui eux aussi écartent les usagers de la gestion, pour les mêmes motifs, ont par exemple créé des commissions permanentes mixtes, spécialisées, lieux de débat et de décision.
La version définitive de la loi devra utilement préciser que le directoire, organisme collégial, devra regrouper des membres d’origines professionnelles différentes. L’un au moins d’entre eux sera de formation ou d’expérience managériale supérieure. Ou les deux. La présence dans le conseil de surveillance de cinq personnalités désignées par l’État doit permettre une meilleure représentation des entreprises proches de l’activité portuaire, tout en respectant les règles imposant l’objectivité des gestionnaires. Le risque existe d’un usage prébendier ou de parachutage de ce type de position.
Ventes de terrains
Si favorable qu’on soit au transfert du domaine foncier aux grands ports et à l’autonomie de ces établissements, on pense que la loi devrait soumettre toute vente de terrain à l’approbation particulièrement attentive de la tutelle. Les législations portuaires des pays de common law sont strictes sur ce point. La location doit être la norme, la vente l’exception. Telle était la règle dans les ports hanséatiques au moyen âge et il faut s’y tenir.
Parlez-vous français?
Inutile de promouvoir la francophonie si à Paris on est incapable d’écrire en bon français. Maladresses, lourdeurs, abus de la voix passive, termes inexacts, jalonnent le projet. Ainsi la loi n’est pas « mise en service »; elle est appliquée. Un contrat contient des clauses ou des stipulations, pas des dispositions. D’une vente ne résulte pas un « revenu » mais un produit. Et pourquoi écrire « les négociations pour le transfert sont menées… », quand on peut écrire « Le transfert est négocié… »?