Malgré l’exposé des motifs du projet de loi, des interrogations subsistent, sur divers points du texte.
L’imprécision des concepts
Le projet de loi ne précise pas le caractère de l’établissement public « Grand port maritime », cependant, compte tenu du recentrage de leurs activités sur des missions d’autorité publique, il n’est pas exclu que la jurisprudence puisse les qualifier d’établissements publics à caractère administratif.
La notion de terminal qui est au cœur de la réforme n’est pas définie, toutefois on peut déduire du Code des ports maritimes, qu’il s’agit d’un site aménagé comprenant des terre-pleins, des outillages et des aménagements nécessaires aux opérations débarquement et d’embarquement des navires. La notion d’opérateurs en place semble concerner non seulement les titulaires de conventions d’exploitation de terminal, mais aussi ceux bénéfiant de conventions d’occupation du domaine public disposant d’équipements et d’aménagements évoqués ci-dessus.
Si l’État détient un pouvoir discrétionnaire pour instituer un « grand port maritime » au regard de son importance, des enjeux économiques et de l’aménagement du territoire, il ne pourra pas, en l’état de la législation actuellement en vigueur, conférer ce statut à des ports transférés en pleine propriété aux collectivités territoriales ou à leurs groupements. Sans l’écrire expressément, le projet de loi consacre la jurisprudence selon laquelle un outillage public est un bien meuble ou immeuble destiné à la manutention et au stockage des marchandises. Malgré l’apparente simplicité de l’expression, des difficultés d’application pourront survenir notamment dans le secteur de la réparation navale.
Enfin, il est regrettable que le projet ne reprenne pas la définition de la circonscription du « Grand port maritime » qu’avait donné en 1976 le Conseil d’Etat, considérant qu’il s’agit de la zone d’action potentielle de l’établissement public.
Les conditions de mise en œuvre de dispositions imprécises
S’il appartient au législateur de fixer les principes fondamentaux, ceux-ci peuvent être complétés par le pouvoir réglementaire. Il serait souhaitable que ce dernier précise ce que l’on entend par la date d’institution du « Grand port maritime », laquelle conditionne le point de départ du délai de trois mois pour l’adoption du projet stratégique et pour la conclusion d’un accord fixant la liste des critères de transfert du personnel aux opérateurs de terminal. S’agit-il de la date d’effet de la loi fixée par décret, ou de celle à laquelle le directoire et le conseil de surveillance sont mis en place? Il serait logique que ce soit la seconde hypothèse qu’il faille retenir.
On note par ailleurs qu’à l’article 7 du projet de loi il est prévu la création de filiales aux « grands ports maritimes » en cas d’appel à candidatures infructueux, aucun délai n’est prévu pour leur création, en revanche, ces filiales ne pourront conserver, au plus durant cinq ans, les outillages appartenant à l’établissement public. Ne pourrait-on pas envisager que ce délai puisse être appliqué pour la cession des outillages publics faisant partie d’un apport en jouissance par les ports autonomes aux opérateurs de terminaux déjà en place?
Il risque d’y avoir une difficulté de coordination entre l’article 7 du projet de loi qui envisage le transfert des droits réels sur les outillages de nature immobilière cédés aux opérateurs de terminal et les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques. En effet, ces dernières visent la reconnaissance de ces droits aux titulaires d’autorisations domaniales, ce qui n’est pas le cas pour les ports autonomes, en outre, ces droits ne sont actuellement reconnus que dans des conditions restrictives pour les ouvrages existants. Il ne semble pas que cette réserve soit envisagée dans le projet de loi. À l’instar de la décentralisation en matière portuaire, le projet de loi prévoit le transfert en pleine propriété des biens de l’État à usage portuaire, à l’exception de ceux relevant du domaine public naturel. Malgré l’absence de transfert de propriété, on peut penser que la loi ne s’oppose pas à un transfert en jouissance de ce domaine naturel, circonstance qui permettrait la réalisation de travaux notamment d’extension sans requérir à chaque fois une autorisation domaniale de la part de l’État.
Enfin, dès lors qu’un décret fixe la durée du mandat des membres du directoire, il y a lieu de penser que cette disposition s’applique également à son président.
Les conséquences juridiques d’un décalage du calendrier
L’échéance du 1er novembre 2008 ne saurait être impérative pour la signature du décret rendant obligatoire l’accord-cadre, car en cas de retard dans l’entrée en vigueur de la loi, la négociation sociale qui constitue l’une des données importantes de la réforme ne saurait être écartée seulement par manque de temps. D’ailleurs, aucune sanction n’est prévue pour non respect de cette échéance; de surcroît, le transfert de personnel devrait être concomittant à la cession des outillages publics laquelle doit intervenir dans un délai de deux ans à compter de l’adoption du projet stratégique par chaque grand port maritime. Il serait judicieux de prévoir un délai plutôt qu’une échéance fixe.
En définitive, souhaitons que l’adoption du projet de loi selon la procédure d’urgence ne génère pas d’erreurs de la part du législateur que le pouvoir réglementaire ne serait pas en mesure d’y remédier!