« La réforme de la manutention doit relancer les ports français »

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Le plus important – donc le plus urgent – est de réussir la réforme de la manutention. Il ne s’agit pas de la « privatiser » – elle l’est déjà et les ports autonomes (PA) ne font jamais de la manutention, leur activité est de louer les engins (avec le personnel de conduite) à ces entreprises privées.

Les activités industrielles et commerciales pour lesquelles le port autonome est en relation directe avec les usagers (chargeurs, armateurs) sont peu nombreuses (par exemple Marseille, fournitures de fluides aux navires, gestion des engins de radoub…). Il n’y a donc pas à craindre que des monopoles privés soient substitués à des monopoles publics en matière de manutention. Ceci dit, si dans un port un monopole privé de manutention devait être redouté, il faudrait placer l’entreprise sous le régime de la concession d’outillage public (ou à la rigueur AOT avec obligation de service public) – ce qui permettrait un contrôle public de son activité, et c’est vrai de toutes les autres activités industrielles et commerciales.

Concernant le transfert des engins de manutention avec personnel de conduite, il ne devrait pas poser problème pour les terminaux exploités par un seul opérateur (par exemple, un terminal à conteneurs ou vracquier), car son activité devrait permettre à l’entreprise d’avoir un volume d’activité suffisant pour une utilisation convenable de ces moyens. Cela peut être moins vrai pour des postes polyvalents où interviennent plusieurs entreprises de manutention dont certaines peuvent avoir une activité insuffisante pour une bonne utilisation de moyens « permanents ». Par conséquent, le transfert peut poser problème pour la rentabilité de ces entreprises (en général des PME).

Traiter le problème cas par cas

C’est encore plus vrai concernant le gros entretien et les réparations des engins de manutention. Une formule consisterait à ce que ce transfert soit fait à une « entreprise porteuse » qui en assurerait la gestion et louerait ses moyens à de petites et moyennes entreprises de manutention – voire dans un premier temps, à créer une filiale du PA en attendant de pouvoir transférer directement certains de ces moyens à des entreprises de manutention privées. C’est dire qu’il faut impérativement – comme le ministre l’a déclaré-traiter le problème cas par cas, et même poste par poste, en prenant en compte la réalité de la situation locale.

Le recours à des appels d’offres pour effectuer ce transfert est a priori logique dans la mesure où il ne s’agit pas de favoriser certaines entreprises au détriment d’autres, et effectivement des entreprises étrangères disposant de moyens financiers importants peuvent se « tailler la part du lion ». C’était déjà vrai concernant la mise en œuvre de la loi de 1992 sur les dockers: c’est ce qui explique certaines réticences exprimées à l’époque par des groupes français qui finalement « trouvaient que le régime de la loi de 1947 n’avait pas que des inconvénients ». Et cependant, la réforme s’est faite pour le plus grand avantage des ports français sans qu’on constate une arrivée massive d’entreprises étrangères.

Si, comme il serait normal, le transfert se fait à des prix couvrant la valeur réelle des biens transférés, doit-on craindre pour l’équilibre financier des entreprises – ou une augmentation des prix de la manutention? Car les prix actuellement pratiqués par les Ports Autonomes ne couvrent pas toujours les coûts de revient du matériel. Conséquence du contrôle effectué depuis de nombreuses années par l’administration des Finances sur les outillages concédés aux CCI, qui conduisaient à un déficit quasi systématique de ces services.

Il faut espérer que les prix pratiqués seront « normaux » et que s’ils sont supérieurs à ceux de la situation actuelle, une meilleure productivité permettra de contenir et même de réduire les prix pratiqués aux usagers. À cet égard, on ne peut contester, comme l’a fait observer la FNPD-CGT que la productivité par conducteur des PA a augmenté significativement. Mais ce qui compte pour le prix pratiqué aux usagers, c’est la productivité de la manutention, laquelle est incontestablement plus faible dans les ports français que dans leurs concurrents européens.

Selon le rapport Gressier, en 2003, à Marseille la cadence est de 41 mouvements par heure et par portique et 95 € par mouvement. Au Havre, elle est de 41 mouvements par heure et par portique et facturée 75 € par mouvement. Des données qu’il faut comparer avec Rotterdam où les manutentionnaires effectuent 90 mouvements par heure et par portique pour un prix de 75 € par mouvement. À Anvers, les chiffres s’établissent à 82 mouvements par heure et par portique pour un prix de 50 € par mouvement.

Il y a donc des progrès à faire dans les ports français en matière de productivité à l’égard des usagers… la seule qui compte dans une compétition. Il ne faudrait cependant pas exclure que, dans certains ports et pour certains engins (notamment ceux utilisés sur les quais polyvalents) puissent être effectués des transferts de gré à gré, évidemment à des conditions économiquement admissibles pour les PA, là encore en tenant compte de la situation actuelle dans ces ports. Donc en faisant preuve de la souplesse préconisée précédemment.

Le respect des intérêts des personnels transférés doit être une condition incontournable de leur transfert – notamment concernant leur rémunération et leur garantie d’emploi. D’où une nécessaire comparaison des conventions collectives de l’Unim et des PA, pour apprécier exactement la situation: c’est ce que doivent faire très prochainement les entités concernées en liaison avec les organisations syndicales.

En attendant un véritable transfert, une formule de mise en détachement des personnels auprès des entreprises (donc avec paiement des personnels par les entreprises à des conditions à débattre et garantie de leur retour au PA en cas de disparition de leur emploi dans l’entreprise privée) pourrait constituer une solution transitoire.

Une solution n’est certainement pas impossible puisque dès aujourd’hui des personnels du PA de Dunkerque ont été ainsi transférés aux entreprises qui opèrent à deux terminaux, et c’est également vrai au Port 2000 au Havre.

Une simulation en matière de fiscalité du PA est indispensable avant toute décision, avec évidemment la prise en compte de tous les aspects du problème, y compris les difficultés que certaines adaptations pourraient présenter au regard de la législation fiscale des collectivités territoriales. Une gouvernance des PA par un Conseil de surveillance et un directoire – à effectifs sagement limités – est une bonne formule pour un établissement public qui doit conserver sa double vocation administrative et industrielle/commerciale. Le renforcement de la place donnée aux représentants des collectivités territoriales est doublement logique – en raison de la participation financière de ces dernières (notamment les régions) aux investissements du port et de l’intérêt que présente la place portuaire pour les collectivités sur le territoire desquelles ils sont établis. Mais attention cependant à laisser une prédominance aux représentants de l’État et des usagers nationaux pour éviter que des comportements influencés par des intérêts non portuaires, ou des considérations politiciennes locales ne nuisent au bon fonctionnement des places portuaires!

Assouplir la tutelle de l’État sur les ports autonomes

La participation de « vrais » usagers (chargeurs et armateurs de lignes régulières) serait incontestablement une bonne façon d’éclairer le Conseil sur les réelles attentes du trafic – les usagers en cause devant avoir une dimension nationale (donc être également usagers d’autres ports) afin de ne pas risquer de confusion d’intérêts avec la seule place locale.

Sans oublier le nécessaire assouplissement de la tutelle de l’État sur les ports autonomes: autant elle est indiscutablement nécessaire (puisque c’est l’État qui devrait finalement supporter la charge financière de la « ruine » d’un établissement public) autant elle doit permettre de décisions plus rapides – notamment concernant les prises de participation des PA et la création de filiales.

La concurrence entre les ports

Faut-il prendre en compte la proposition de la commission Attali de fusionner certaines places portuaires?

Une fusion de plusieurs ports autonomes permettrait certainement une réduction des « frais généraux » mais serait-elle finalement favorable à la compétitivité de la nouvelle place portuaire? En effet, le trafic qui passe par un port ne passe pas par un autre. Les ports sont donc concurrents entre eux, et on ne saurait trop le regretter: la concurrence n’est-elle pas la meilleure incitation à la productivité – donc à la compétitivité de chaque place? Au surplus, les opérateurs privés qui interviennent dans les différents ports ne sont pas forcément les mêmes et on voit mal comment l’autorité portuaire de la place fusionnée pourrait favoriser « autoritairement » l’orientation d’un trafic vers un port alors qu’il passe aujourd’hui par un autre, sans léser les opérateurs de ce dernier. Et ce, sans que forcément le « transfert » rende la « place fusionnée » plus compétitive. La fusion permettrait-elle d’éviter des « doubles investissements »? En fait, en existe-t-il dans la situation actuelle? peut-on en citer un seul exemple? Preuve s’il en fallait une que les autorités portuaires ne sont pas irresponsables et que de son côté la Direction centrale en charge des ports maritimes fait correctement son travail – et que rien ne permet de considérer qu’il n’en sera pas de même à l’avenir!

La concurrence entre les ports ne saurait cependant exclure leur coopération pour l’accomplissement d’opérations d’intérêt commun: ainsi les PA ont un évident intérêt à conjuguer leurs efforts pour l’amélioration des infrastructures de desserte terrestre (tous modes confondus) de leurs hinterlands qui se recouvrent largement.

Répondre en temps réel à la demande du trafic

Les investissements, évidemment il en faut: à cet égard, les positions de l’UPACCIM et de la FNPD ne sont pas criticables. On peut dans une certaine mesure regretter que certains grands équipements en cours de construction n’aient pas été réalisés plus tôt: une réalisation plus précoce de Port 2000 au Havre ou de la plate-forme 2XL à Marseille Fos aurait très probablement permis un développement du trafic de ces deux places – et il faut souhaiter que l’État (comme il l’a fait dans les années soixante-dix) consente à l’avenir les efforts financiers nécessaires pour que les ports français répondent en « temps réel » à la demande du trafic. Bien évidemment, en continuant à s’assurer que chaque projet respectera l’environnement et aura une rentabilité économique suffisante pour l’économie du pays.

La rentabilité financière pour le PA serait d’autant plus rationnelle que seraient définies de nouvelles règles pour la participation de l’État aux ouvrages à longue durée de vie, les taux fixés par la loi de 1965 étant « économiquement » trop élevés: la bonne valeur doit permettre que la charge pour les ports de l’annuité des emprunts contractés pour financer ces infrastructures « lourdes » soit finalement celle qu’ils supporteraient si le marché offrait des emprunts de longue durée quarante/cinquante ans (donc à l’échelle de la vie technique des ouvrages), laquelle est inférieure de plus de 33 % à celle des emprunts de quinze ans.

Il n’en est pas moins vrai que si les investissements sont la condition nécessaire au développement des trafics, ils n’en sont pas la condition suffisante. Encore faut-il que les prix constitutifs du coût de passage portuaire aient un niveau permettant au port d’être compétitif. Cela passe souvent par une productivité suffisante des diverses opérations de ce passage en particulier de la manutention (par exemple, comme cela a été montré plus haut, avec un nombre de mouvements horaires des portiques à conteneurs comparables à celui constaté dans les ports européens concernés).

S’appuyer sur la réforme pour relancer les ports français

Il ne me parait pas inexact ou imprudent de considérer que dans ses grandes lignes – et même dans le détail de ses composantes, la réforme doit permettre une réelle relance des ports français. D’autant qu’il n’y a pas de raison de nous auto flageller! Techniquement, les ports français supportent la comparaison avec leurs concurrents européens, Pourquoi n’en serait-il pas rapidement de même pour ce qui est de leur fonctionnement?

On ne peut que se réjouir de constater que, moins de deux mois après l’annonce de la réforme par le Premier ministre, le secrétaire d’État aux Transports en ait – à plusieurs reprises – précisé le contenu, montrant à la fois une grande fermeté sur les principes mais une grande souplesse pour le détail des mesures. Le ministre et ses services ont multiplié les contacts avec tous les acteurs du passage portuaire et les usagers – témoignant de la plus large écoute. Cette concertation (notamment avec l’affirmation que seront prises en compte les situations propres à chaque port) est certainement la meilleure façon d’éviter des décisions qui léseraient injustement les intérêts concernés et surtout risqueraient d’être considérés – à tort ou à raison – comme des provocations qui entraîneraient inévitablement des troubles sociaux catastrophiques. Il semble bien que le ministre ait été compris au moins sur ce point.

Faut-il finalement que la réforme soit « officialisée » par une loi? Peut-être cela sera-t-il nécessaire pour des raisons juridiques, peut être faudra-t-il vaincre par ce moyen d’ultimes résistances fondées sur des considérations plus idéologiques qu’économiques ou excessivement égoïstes? La prudence s’impose car l’expérience a prouvé que le texte voté par le Parlement peut être modifié dans un sens qui n’est pas toujours véritablement opportun… comme il peut aussi être meilleur que la version initiale!… L’important est que cette réforme se fasse et permette effectivement aux ports français de jouer leur rôle « de poumons de l’économie du pays » en offrant à cette dernière une respiration au rythme et au volume nécessaires pour que la France conforte sa position dans la compétition internationale à laquelle sont et seront confrontés tous les pays du monde.

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