MSC-Napoli ou un certain regard sur le transport conteneurisé

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Un porte-conteneurs récent (1991), grand (275,66 m hors tout) construit par un chantier expérimenté (Samsung Heavy Industries) classé par des sociétés de classification membres de l’IACS (le BV puis le DnV), exploité par une société honorablement connue et comptant de nombreux navires (Zodiac Maritime Agencies) sous un pavillon de pays développé (Royaume-Uni), affrété par le deuxième transporteur mondial de conteneurs (MSC) casse au niveau du château. Etrange, impensable. D’autant que le navire n’était pas très chargé: moins de 41 780 t, soit 2 394 conteneurs alors que le port en lourd était de 62 277 t. Le rapport de la MAIB apporte des éléments de réponse préoccupants. Mais la sécurité maritime (ou industrielle) est ainsi faite: elle progresse par bond après un accident plus ou moins grave ou coûteux.

20 % des conteneurs en surpoids de plus de 3 t

La pesée des conteneurs débarqués du navire échoué montre que les poids déclarés étaient souvent faux (la MAIB ne dit pas sous-déclarés). Ainsi, sur les quelque 660 conteneurs chargés en pontée et dont le contenu n’a pas été mouillé, plus de 20 % présentaient un écart de plus de 3 t avec le poids déclaré. Le plus fort écart était de 20 t. L’ensemble de ces 137 conteneurs totalisait un surpoids de 312 t par rapport aux indications du manifeste cargaison. Durant le déchargement du navire, la position de 700 conteneurs chargés en pontée a été comparée avec celle enregistrée par le manutentionnaire et servant à paramétrer l’ordinateur de bord chargé du calcul de stabilité. 53 boîtes (7 %) étaient soit à la mauvaise place, soit mal déclarées. Or, souvent, 10 % des conteneurs ne se trouvent pas à la place prévue au chargement.

La pratique du surpoids est « largement répandue dans l’industrie du transport conteneurisé et s’explique de plu-sieurs façons », note la MAIB. Beaucoup de chargeurs et « d’emballeurs » ne disposent pas de moyens de pesage dans leur entrepôt. Des chargeurs sous-estiment volontairement le poids de leur conteneur afin de réduire les taxes à l’importation lorsque celles-ci sont calculées sur le poids. Voire d’augmenter la quantité de marchandises expédiées tout en restant dans les limites imposées par le transport ferroviaire ou terrestre. Comme les porte-conteneurs partent quasiment toujours avec une charge très proche du maximum autorisé en mer, tout surpoids venant des conteneurs peut amener le navire à dépasser le moment maximal autorisé. « Le transport conteneurisé est le seul secteur de l’industrie (du transport) qui ne connaît pas le poids de la cargaison. Si les contraintes sur les coques de porte-conteneurs doivent être contrôlées avec précision, il est essentiel que les conteneurs soient pesés avant l’embarquement », estime la MAIB. Après le scanning de tous les conteneurs destinés aux Etats-Unis à partir de 2012, voilà qui devrait réjouir transporteurs et manutentionnaires.

Les chargeurs français devraient prendre garde. En effet, la loi du 18 juin 1966 (modifiée en 1986 et 1988) sur les contrats d’affrètement et de transport maritime prévoit dans son article 19 que « le chargeur est garant de l’exactitude des mentions relatives à la marchandise inscrite sur ses déclarations au connaissement. Toute inexactitude commise par lui engage sa responsabilité à l’égard du transporteur ». Et l’article 31 dispose que « lorsque le chargeur a fait une déclaration sciemment inexacte de la nature ou de la valeur des marchandises, le transporteur n’encourt aucune responsabilité pour les pertes ou dommages survenus à ces marchandises ». En supposant que le poids soit bien un élément constitutif de la nature de marchandise, l’article 31 ne pourrait laisser indifférent l’assureur du MSC-Napoli. « Il y a là une véritable peine privée car la sanction opère même quand il n’y a pas de rapport entre le mensonge et le dommage (…). Si, par exemple, les marchandises périssent dans un incendie et qu’il est établi qu’elles étaient d’une autre nature, pas plus inflammable d’ailleurs, que celle qui a été déclarée (exemple, pour payer un moindre fret) alors la sanction du droit commun serait seulement l’obligation pour le chargeur de payer la différence de fret. En lui refusant toute indemnité la loi édicte une peine privée », stipule le précis Dalloz de droit maritime (11e édition). Il suffirait donc que la MAIB fournisse à l’assureur du navire, la liste des conteneurs en surpoids. Cela dit, le London P & I Club risque d’avoir d’autre priorité liée au non-fonctionnement du régulateur du moteur principal.

Navire automatisé à quart machine obligatoire

La MAIB explique que le régulateur électronique du moteur principal a deux fonctions. D’une part, il permet à l’officier de quart à la passerelle d’agir directement sur le moteur; d’autre part, en cas de sortie de l’eau de l’hélice, par fort tangage, le régulateur évite au moteur de partir en survitesse.

Ce régulateur étant hors-service, le contrôle du moteur principal n’était possible qu’à condition de rester près de la machine pour agir sur la commande d’arriver du combustible. « Le chef mécanicien et le superintendant technique le savaient », souligne la MAIB. Ce mode de conduite du moteur n’est possible qu’en situation d’urgence. « Penser que des officiers de quart vont maintenir ce mode d’exploitation de façon continue tout au long du voyage jusqu’à Sines, compte tenu des prévisions météo, était irréaliste », note le rapport.

La MAIB souligne également que « l’exploitant Zodiac n’a pas prévenu la société de classification de ce non-fonctionnement ». Dès lors, se pose une question: si la loi française était applicable, le MSC-Napoli était-il bien en état de navigabilité comme l’art. 36 de la loi de 1966 l’exige? « Le transporteur est tenu de mettre et conserver le navire en état de navigabilité, convenablement armé, équipé et approvisionné pour le voyage considéré et (…) ». La MAIB semble répondre que « non » puisque, pour pallier au non-fonctionnement du régulateur, défaut connu dès le début du voyage, le quart machine devait être assuré vingt-quatre heures sur vingt-quatre alors que son équipage machine était calibré pour un navire réellement automatisé. Or, avant le départ d’Anvers, les prévisions d’une mauvaise météo étaient connues.

Mais dans quelle mesure, l’armateur pourra-t-il invoquer, pour dégager sa responsabilité de transporteur, le vice caché « échappant à un examen vigilant »? En effet, ni le BV, ni le DnV n’avaient perçu la faiblesse de la coque au-delà du quart arrière. En outre, « le système de construction transversal présentait une faiblesse structurelle inhérente à la compression » (JMM du 25/4; p. 4).

Le procès du MSC-Napoli devrait être aussi passionnant que celui de l’Erika, d’autant qu’ici la plupart des opérateurs sont de premier rang: Zodiac Maritime, BV, DnV, MSC en affréteur.

La MAIB rejette en trois lignes toute conséquence du sévère échouement qu’avait subi le navire en mars 2001 quand il était sous pavillon français avec un équipage en partie français: « Il n’y a pas d’élément indiquant que la résistance de la coque au niveau de la salle des machines ait été réduite du fait des dommages résultant d’accidents précédents et notamment de l’échouement de 2001 ».

Maritime Investigation Accident Branch

Organisation maritime internationale

Dans le cas d’espèce, pour réduire son retard, le MSC-Napoli avait « sauté » à la remontée les escales du Havre et de Hambourg. Les boîtes devant transiter par ces ports, furent transbordées à Anvers. La loi française pourrait fort bien s’appliquer au moins pour les conteneurs couverts par un B/L Le Havre.

La « to do list » de la MAIB

Au terme de son rapport de 47 pages (sans les annexes constituées notamment des études réalisées par le DnV et le BV), le Beamer britannique recommande:

– à l’International Association of classification societies:

* de revoir le contenu de sa règle UR S11 sur la résistance longitudinale de la coque afin de s’assurer que les contrôles de flambement soient réalisés sur toute la longueur de la structure. Les membres de l’IACS sont invités à définir une méthodologie commune pour l’application des normes de résistance.

* de faire la synthèse des recherches entreprises en matière d’effet « vitesse du navire passant dans les vagues » (whipping effect) sur la coque et d’en tenir compte dans les futures normes de résistance.

* de faire le point sur toutes les dispositifs disponibles pour aider les commandants à déterminer les contraintes s’exerçant sur la coque tant au port qu’en mer.

– à la Chambre internationale maritime de veiller, lors de la rédaction du code de bonnes pratiques du transport conteneurisé qui lui a déjà été demandé en 2007, à y intégrer les futures recommandations de l’IACS en matière de limites opérationnelles des structures de coque ainsi que la nécessité d’une estimation et d’un signalement plus objectif des fissures de fatigue.

Le code devra également prévoir la vérification avant embarquement du poids réel des conteneurs. Il rappellera l’importance de respecter une vitesse de sécurité en rapport avec les conditions de mer rencontrées.

– à Zodiac Maritime Agencies Lt. de revoir son système de gestion de la sécurité et ses procédures d’audit afin de s’assurer que:

*les instructions données aux commandants en matière de vitesse dans le mauvais temps tiennent compte des enseignements de l’accident du MSC-Napoli;

* que le service technique consulte la société de classification compétente dès lors qu’il y a un doute sur le caractère critique ou non d’un dysfonctionnement d’un équipement de la machine;

* que les commandants soient totalement conscients de l’exigence de prévenir le pilote de tout élément susceptible de réduire la manœuvrabilité ou la stabilité du navire.

Quid du moteur en contrôle local?

« J’hésiterais à passer le Pas-de-Calais sans régulateur de moteur principal. Mais avec quelqu’un en commande locale en permanence, ça se fait », répond un commandant français de gros porte-conteneurs. Et d’ajouter « qu’actuellement, les bons techniciens d’entretien qui comprennent ce qu’ils font, sont très rares dès qu’il s’agit électronique un peu complexe ». Revenir de Chine avec un radar en rade n’est pas exceptionnel, pas plus qu’attendre plusieurs mois avant qu’il soit correctement réparé. Dès lors, appareiller sans régulateur n’est pas une « monstruosité » d’autant que de temps en temps, les mécaniciens s’entraînent à prendre le contrôle local de la machine en « jouant » sur le volant d’arrivée du combustible, le « cran ». « Cela reste difficile à faire lorsqu’il faut respecter une allure rigoureuse à vitesse basse mais je voudrais bien savoir comment un commandant justifierait son refus de partir avec “simplement” un régulateur HS ».

Autre sujet, le canot de sauvetage. « Nous savons tous que ce système a tué plus de marins lors des exercices qu’il n’en a sauvé dans la réalité. Cela rappelé, un commandant normalement constitué assiste personnellement à tout exercice de mise à l’eau car il y a trop de raisons de faire des erreurs graves. Surtout à bord de l’ex-CGM-Normandie qui a connu une mauvaise expérience », ajoute le commandant. « A 22 nœuds, le canot s’est détaché avec deux marins à bord qui bricolaient dedans. Personne ne s’en est rendu compte sur le moment. Un appel VHF a alerté l’officier de passerelle. Résultat: une évacuation sanitaire pour l’un et une jambe abîmée pour l’autre. Avec de jeunes officiers étrangers, il est largement conseillé de vérifier par soi-même leur pratique de la mise à l’eau. Il est évident qu’un canot de 32 places n’est pas fait pour accueillir 26 personnes avec leur combinaison de survie. Il est évident qu’avec des gants à trois doigts, il est très difficile de boire à la bouteille. Quand à pouvoir ramer dans un canot fermé, il n’y a qu’une société de classification pour le certifier ».

M.N.

Pensée prémonitoire du commandant?

Vingt minutes après avoir entendu un « grand bruit », le commandant bulgare ne se fait plus d’illusion sur la survie de son navire qui vient de « se casser le dos », explique-t-il. À 11 h 25, ce 18 janvier 2007, le bord lance son MayDay et se prépare à abandonner un navire sans propulsion, travers tribord exposé à des creux de 9 m et à un vent de force 10 à 11. Le commandant demande donc au bosco et à trois autres marins de préparer le canot de sauvetage bâbord. « Il est apparu clairement durant l’enquête que le commandant avait beaucoup insisté sur la nécessité de faire des exercices d’évacuation et d’entretenir très correctement les engins de sauvetage. En conséquence, la préparation et la mise en l’eau des canots de sauvetage étaient bien maîtrisées conformément aux instructions de la compagnie », souligne la MAIB.

Les autres membres d’équipage sont chargés de prendre des bouteilles d’eau. Le commandant et le troisième officier sont les derniers à quitter le navire après avoir vérifié que les 26 membres d’équipage étaient présents. Le canot descend « sans à-coups » les 16 m de muraille. Le bosco libère les garants de suspente avant et arrière depuis l’intérieur du canot maintenant à flot. Mais le garant avant reste coincé. Le chef mécanicien le coupe au couteau depuis le panneau avant du canot. Ce dernier s’éloigne d’un mille et demi du porte-conteneurs. Il est violemment chahuté et tout l’équipage souffre du mal de mer. Bien que le canot soit certifié pour accueillir 32 personnes, les 26 marins seront très serrés avec leur combinaison de survie et leur gilet de sauvetage. Ayant très chaud, plusieurs s’évanouissent et sont déshydratés. La situation devient plus « tolérable » lorsqu’ils coupent leurs gants avec le couteau du chef mécanicien. Cela leur permet de se servir de leurs mains et de pouvoir boire de l’eau à la bouteille. À 11 h 50, le premier hélicoptère britannique est sur zone mais il lui est impossible, compte tenu de l’état de la mer, de passer une sorte de touline (qui guide le dispositif d’hélitreuillage). À 12 h 30 environ, un plongeur britannique se jette à l’eau et rejoint à la nage le canot avec la touline. Les 13 premiers marins sont ainsi hélitreuillés quelques minutes plus tard. « Un second hélicoptère reprend l’opération à 13 h 25 et à 14 h 09, il ne reste plus personne à bord du canot », note la MAIB sans autre commentaire.

Mais alors par qui et dans quelles conditions, le canot avait-il été certifié conforme à la convention Solas?

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