L’Afrique, terre de chasse des dragons asiatiques

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La Chine est le poumon de nombreuses économies à travers le monde. Et l’Afrique n’échappe pas à ce nouveau dogme. Le potentiel africain en matières premières offre aux économies asiatiques de nouvelles sources d’approvisionnement. Les pays d’Asie comme la Chine lorgnent sur le pétrole de la côte occidentale d’Afrique.

Source importante de matières premières, l’Afrique est aussi, pour les pays d’Asie, un marché en plein essor. Le taux de croissance des économies d’Afrique de l’Ouest avoisine les 5 % par an. Parallèlement au développement des trafics avec l’Asie, les États-Unis jouent désormais un rôle prépondérant dans les relations commerciales avec l’Afrique.

L’Amérique du Nord trouve une nouvelle source d’approvisionnement pour ses stocks pétroliers. Beaucoup de sociétés d’outre-Atlantique ont investi localement et notamment au Nigeria. Une tendance liée au risque de mettre tous ses œufs dans le même panier, selon le consultant Dynamar. Les États-Unis cherchent à se libérer d’un approvisionnement pétrolier uniquement depuis le golfe Persique dont la situation politique est trop incertaine.

La tendance s’est inversée en 2007

En 2005, les trafics conteneurisés sur l’Afrique de l’Ouest se divisaient presque équitablement entre l’Asie et l’Europe. Chacun de ces deux continents assuraient un volume de 450 000 EVP. 2007 a montré l’inversion de la tendance. L’Asie traite quelque 579 000 EVP, selon le consultant Global Insight, dont 473 000 EVP en sortie d’Asie pour l’Afrique de l’Ouest et 106 000 EVP en sens inverse. L’Europe a été dépassée. Les relations entre les deux continents représentent aujourd’hui 471 000 EVP, dont 325 000 EVP en sortie d’Europe et 146 000 EVP d’Afrique de l’Ouest vers le Vieux Continent. Ces chiffres démontrent aujourd’hui que les trafics avec la COA demeurent déséquilibrés. La majorité des boîtes arrivent en Afrique. Peu repartent pleines depuis le continent noir.

Si les produits européens ont plus de difficultés à s’imposer sur le marché africain, la chute n’a pas été aussi sévère, contrairement aux pronostics de certains analystes économiques. La croissance fulgurante de la Chine laissait présager une domination des produits asiatiques au détriment de ceux d’Europe. « Le marché européen n’évolue pas, mais nous remarquons une légère croissance de nos trafics. En d’autres termes, nous n’enregistrons pas une baisse de nos trafics mais plutôt une présence renforcée des pays asiatiques dans la croissance économique de l’Afrique de l’Ouest », observe Alain Cazorla, responsable des lignes africaines de l’armement MSC.

Au regard de cette tendance, les armements adaptent leur stratégie. L’armement japonais MOL est un exemple caractéristique. « La croissance de l’Afrique se fait surtout avec l’Asie, explique Colin de Souza, directeur général des trafics Nord-Sud de MOL. Pour répondre à la demande, nous nous attachons à assurer que les services existants demeurent réguliers et fiables. » Même son de cloche du côté de l’armement suisse MSC. « Le développement de l’Asie est incontestable », poursuit Alain Cazorla. Outre les trois services qui partent d’Asie vers l’Afrique en transbordement dans les ports de Valence et du Havre, l’armement a ouvert une nouvelle liaison depuis Singapour sur le port espagnol de Valence pour répondre à la demande croissante.

Ce basculement de la croissance des relations économiques entre l’Afrique et l’Asie n’a pas laissé l’armateur marseillais de côté. Le groupe CMA CGM a commandé dix navires de 3 600 EVP dans des chantiers des Philippines dessinés en fonction des gabarits portuaires ouest africains. Considérés comme des navires de type overpanamax en raison de leur largeur, ils affichent un tirant d’eau faible pour accéder dans les ports. Il faut se tourner vers l’Italie pour voir une exception confirmer cette tendance. Grimaldi Lines augmente la mise sur les relations Europe/Afrique de l’Ouest en investissant dans des navires qui s’avèrent être de véritables multipurpose car ils transportent du matériel roulant, du conventionnel et des conteneurs. L’armement de Naples miserait plus sur les liaisons d’Europe vers l’Afrique, puis l’Amérique du Sud, côte est.

Certains armements, à l’image de Safmarine, déploient des navires de type conventionnels pour répondre à une demande spécifique destinée aux marchandises pour les industries pétrolières. L’implantation de nombreuses sociétés pétrolières américaines dans la région du golfe du Guinée a incité des armements à aligner ce type de navires sur les services avec l’Amérique du Nord. Une illustration de la réponse de l’offre à la demande. Pour d’autres armements, présents uniquement dans les services réguliers conteneurisés, ce retour récent des navires conventionnels attisent la curiosité. « Nous regardons cette évolution avec beaucoup d’attention mais nous n’avons pas encore franchi le pas », reconnaissent certains armements asiatiques.

Répercussion sur les taux

La nouvelle donne économique des trafics avec l’Afrique a des répercussions sur les taux. La situation suit l’évolution des trafics. « Entre l’Europe et l’Afrique, les taux sont encore bas en raison d’une différence importante entre l’offre de transport et la demande », indique le responsable de l’armement MOL. Pour Alain Cazorla de MSC, « le marché s’est stabilisé sur les derniers mois. Quant aux lignes entre l’Asie et l’Afrique de l’Ouest, la croissance des trafics a résorbé partiellement la différence entre l’offre et la demande de transport. Les taux sont meilleurs », explique Colin de Souza. Tous les deux s’accordent sur l’effet néfaste de la hausse du prix des soutes. Un phénomène qui n’a pas épargné la rentabilité des lignes sur l’Afrique de l’Ouest.

Un élément important des trafics sur l’Afrique concerne les ports et la logistique intérieure. La congestion portuaire en Afrique de l’Ouest est devenue un mal chronique. Les nombreuses surcharges imposées par les conférences armatoriales démontrent l’ampleur de ce mouvement. Ewata (Europe West Africa Trade Agreement) augmente presque tous les mois les surcharges des principaux ports de la région. L’Union des Conseils des chargeurs africains (UCCA) s’alarment de ces hausses répétées qui touchent principalement les produits africains. Et pourtant une tendance s’affirme depuis quelques années. Des filiales d’armement prennent position dans les ports d’Afrique de l’Ouest. APM Terminals a posé ses premiers jalons. ZIM, par sa filiale Gold Star, s’installe localement et CMA CGM s’impose. La « chasse gardée » du groupe Bolloré qui détenait une large part de la manutention portuaire en Afrique semble s’effriter. En octobre, le groupe de Vincent Bolloré, s’est vu rafler la concession du terminal de Dakar au profit de DP World. L’arrivée de l’opérateur de Dubai démontre encore une fois les enjeux que représente cette région pour les opérateurs maritimes. Dans une note de synthèse publiée par Isemar en mars, Yann Alix, directeur de l’Iper au Havre, résume la concurrence actuelle autour des terminaux africains: « Les acteurs historiques tels que Bolloré, Getma ou encore AP Moller Maersk s’associent ou s’affrontent au gré des terminaux ». Un jeu de cache-cache pipeauté. La liste des prétendants aux opérations portuaires pourrait encore s’allonger? Portek, manutentionnaire singapourien indépendant du géant PSA, a posé un premier pied en Afrique Occidentale en prenant une concession au Gabon. Un exemple qui démontre que l’Afrique peut offrir une place aux opérateurs de taille plus modeste.

Du côté de MSC, les accords de l’armement avec l’opérateur Getma lui donne toute satisfaction, mais, reconnaît l’armement, « nous devons regarder les évolutions qui se passent sur ce continent ». D’autres armements répondent aux appels d’offres des propriétaires de ces ports. Peu d’armements asiatiques sont présents localement, même si certains ont montré des velléités à l’image de Cosco au Nigeria. MOL résume bien l’attitude de ces armements: « notre métier est d’opérer des services maritimes. Si des appels d’offres sont ouverts, qui faciliteront nos services, nous y regarderons de plus près mais tout dépend du potentiel économique de chacun de ces ports. » Une position timide. La résorption de la congestion portuaire en Afrique est plutôt liée au respect, à chaque maillon de la chaîne logistique, de ses opérations, selon l’armement japonais. Ce dernier cherche désormais à obtenir un système de répartition des quais par des fenêtres.

Engorgement routier

En plus, de la congestion portuaire, les questions de logistiques terrestres viennent compliquer le problème. Les colloques qui se tiennent en Afrique de l’Ouest abordent fréquemment ces questions terrestres. À cet égard, lors de l’assemblée générale de l’Association de gestion des ports de l’Afrique de l’Ouest et du centre (AGPAOC), la table ronde centrale a retenu ce thème. Le représentant du directeur général du port autonome de Lomé a rappelé qu’avec quinze pays sans littoral, contre trente dans le monde, l’Afrique reste, à l’échelle de la planète, le continent qui compte le plus de pays sans littoral.

Malheureusement, les problèmes du transport en Afrique engendrent des coûts additionnels à supporter par les pays sans littoral. Malgré le soutien régulier des investisseurs, la problématique de la gestion intégrée des corridors de transit de ces pays demeure. De plus, il a indiqué que si le réseau terrestre dispose d’une bonne qualité, il n’en demeure pas moins de faible densité en raison de la faiblesse des investissements. Quant au réseau ferroviaire, le représentant togolais a regretté son déclin sur l’ensemble du continent. « Le secteur du transport sur les corridors de transit en Afrique souffre du manque d’organisation du secteur dû à l’absence de cadre réglementaire, aux pratiques anormales de contrôle et à l’amateurisme des acteurs », a continué le représentant togolais. Ce problème de l’investissement a été abordé lors de la présentation de Aina Elizabeth Egbarevba, directrice générale adjointe de l’Autorité portuaire nigériane et représentante du Nepad. Elle a rappelé la position de l’organisation en faveur d’un programme d’investissement pour les infrastructures terrestres. De plus, elle a insisté sur la position politique des gouvernements locaux pour l’amélioration des infrastructures terrestres. Une des solutions face à ces problèmes d’engorgement routier viserait à la création de corridors. Pour Yann Alix, « le succès d’Abidjan dans la desserte de l’arrière-pays enclavé repose grandement sur la qualité relative des réseaux de transport terrestre qui drainent les flux du Nord. Il s’est créé un effet d’entonnoir logistique permettant des consolidations de produits avec pour conséquence quelques économies d’échelle et un meilleur potentiel dans l’équilibre des flux entrants et sortants ». Et Yann Alix de poursuivre, « la fidélisation des chargeurs tient surtout, à la fiabilité de ces corridors. Le corridor ivoirien présente un des meilleurs rapports qualité/fiabilité/coût/délais malgré les incontournables problèmes de contrôles, les ponctions illégales de taxes ou encore les récurrentes congestions aux abords des terminaux portuaires ». Les services de convoyage sécurisé orchestrés notamment par l’autorité portuaire d’Abidjan, en accord avec les services régaliens de l’État, ont pour ambition d’assurer des pré et postacheminements optimaux. Ces mesures n’empêchent pas la perte de valeur et alourdissent toujours de surcoûts dommageables la chaîne logistique intérieure ouest africaine. « Tous les concurrents d’Abidjan préconisent des solutions terrestres sécurisées car l’enjeu réside dans cet équilibre entrecoûts/services/performance/fiabilité », conclue le directeur de l’Iper. Et de citer l’exemple de Cotonou. Ce port surfe sur la vague du succès avec l’arrivée des services conteneurisés et rouliers en raison du manque chronique de sécurisation des interfaces portuaires et logistiques du Nigéria, son voisin. Aussi, les opérateurs préfèrent Cotonou pour acheminer leurs produits vers le Nigeria.

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