Le journal de la Marine Marchande: À l’heure où l’on commémore les quarante ans des événements de mai 68, est-on face à une révolte des ports?
Patrick Deshayes: Oui! C’est une révolte des ports. Cela pourrait même être l’élément déclencheur pour toutes les corporations qui veulent lever le bouclier face aux réformes annoncées. Aujourd’hui, nous avons tous les arguments, tous les prétextes pour que tout le monde soit dans la rue. Même en 68, il n’y avait par le quart de ce qui se passe aujourd’hui. Le gouvernement annonce plus de cinquante réformes et si tous les salariés concernés étaient dans la rue, ça ferait beaucoup de monde. On a tout pour faire une révolution!
Dans le plan de relance des ports, qu’est-ce qui est acceptable et non-acceptable?
Le Havre compte parmi les ports ayant vécu des évolutions marquantes, qui sont aujourd’hui acceptables pour les travailleurs portuaires du Havre. Je ne peux pas me prononcer pour les autres ports, mais lorsque nous faisons des débats au niveau national, l’acceptable aujourd’hui, c’est la mise à disposition des travailleurs, tel que cela se passe pour les terminaux de Port 2000. L’inacceptable (et l’on peut le souligner et le crier bien fort!), c’est le transfert des personnels et des outillages. Là-dessus, les travailleurs portuaires sont arc-boutés. Ils ont accepté la mise à disposition négociée avec tous les partenaires sociaux, le reste n’est pas acceptable.
Finalement, est-ce que le transfert n’est pas la suite logique de la mise à disposition?
Non. J’ai même tendance à dire que le transfert des personnels et des outillages est plutôt la suite logique d’une directive européenne qui se met en place, État après État. Ce n’est que cela.
A priori, en cas de difficultés économiques dans les entreprises, le personnel transféré au privé bénéficierait d’une possibilité de réintégrer l’autorité portuaire…
Qui peut prédire aujourd’hui la situation économique de l’établissement portuaire dans cinq ans? Qui peut nous dire que l’établissement pourra accueillir ce personnel dans les mêmes conditions, sans perte de rémunération? Prétendre que les salariés auront une possibilité de retour est une utopie. Dunkerque en a déjà fait les frais. Le port avait promis au personnel qu’il pourrait revenir au bout de trois ans. Mais quand on voit la situation du port de Dunkerque aujourd’hui, je le vois mal accueillir de nouveau ses anciens salariés. Il ne faut pas vivre avec la vie des salariés. Le gouvernement berne les travailleurs portuaires et l’opinion publique. Plus grave encore, on met à mal l’établissement public tel qu’il est aujourd’hui. Dans cinq ans, il est probable que les ports autonomes ne soient plus les mêmes et que les moyens financiers varient car il y aura beaucoup moins de recettes.
Selon vous, que va-t-il se passer prochainement?
Les gens sont fortement mobilisés et motivés. Ils sont derrière leur organisation syndicale responsable. Elle a su, dans le temps, prendre les virages nécessaires. Ce qui est dommage, c’est que le Havre n’ait pas su saisir la chance qu’il avait d’avoir des travailleurs portuaires et des partenaires sociaux capables de prendre ce virage. À partir de là, le personnel reste déterminé. Il y avait un moment que nous n’avions pas bougé. Mais aujourd’hui, les travailleurs portuaires sont trompés par leur direction et par le pouvoir politique. Ils ne le pardonneront pas et ça va mal tourner.
Certains parlent d’une grande action le 20 mai au Sénat?
C’est encore en discussion. Il y a une réelle envie de monter à Paris, mais cela nécessite une organisation qui doit être structurée par notre Fédération ports et docks.