JMM: Vous publiez votre rapport annuel. Quels enseignements tirez-vous de cette année écoulée?
Anne-Sophie Avé ( A.-S.A.): « D’abord merci de cette entrevue, votre journal est essentiellement lu par nos armateurs et en vous répondant je m’adresse un peu à eux. Je ne suis arrivée qu’en cours d’année 2007, mais je “fête” au 1er avril (date de notre assemblée générale et de notre dîner annuel) le premier anniversaire dans ma fonction chez Armateurs de France. Je superposerais donc volontiers ici le bilan de ma première année laissant au rapport annuel le soin de dresser celui de l’année 2007. Pour ce qui est des enseignements de cette année, si j’avais évidemment déjà une connaissance des dossiers du secteur dans mes fonctions antérieures, avoir été “adoptée” par les armateurs ouvre et confirme une vision particulièrement attachante d’une profession qui souffre bien souvent d’une image méconnue et entachée d’incidents heureusement rares, malheureusement très médiatisés.
Clairement, mais ce n’est pas une surprise, l’État, à quelques précieuses exceptions près, tarde à appréhender toute l’importance du secteur maritime dans la chaîne économique. C’est l’une des tâches auxquelles je me suis attachée, consciente que mes origines “administratives” constituaient un atout, que de rappeler sans cesse à tous niveaux de l’administration, l’existence, les spécificités et les richesses de notre secteur. »
JMM: En janvier, le tribunal de Paris a rendu son jugement dans l’affaire Erika. Vous avez, lors de la publication de ce jugement, montré votre approbation de la condamnation de l’armateur. Mais vous avez aussi souligné l’absence dans ce procès de l’État du pavillon. Quelles mesures seraient à prendre pour que ce dernier soit plus impliqué dans ces affaires?
A.-S.A.: En effet. Le combat pour la qualité des navires, la qualification des équipages et la sécurité maritime a toujours été celui des armateurs français. Ces efforts, parce qu’ils ont un coût, s’ils ne sont pas partagés par tous, disqualifient les plus vertueux dans la compétition internationale. De plus, la responsabilité de l’armateur est inscrite dans les conventions internationales et nous sommes, vous les savez, très soucieux que l’échelon pertinent pour l’élaboration du droit maritime soit l’OMI. C’est donc tout naturellement que nous avons salué la condamnation de l’armateur en ceci qu’elle s’effectue en application des règles du droit international qui sanctionnent les “voyous de la mer” et protège les armateurs respectueux des marins, de l’environnement et de la sécurité maritime.
Mais au bout de la logique du respect des règles et du contrôle de leur application, on bute encore sur le maillon originel, celui qui immatricule et accorde son drapeau, symbole de sa souveraineté: l’État du pavillon.
Il n’y a pas de “pavillon de complaisance” au sens des mémorandums de Paris et de Tokyo, il y a des pavillons d’ “États complaisants” qui renoncent à exercer leurs obligations de réglementation et de contrôle, souvent, parce qu’ils ne disposent pas d’administration maritime ou de juridictions compétentes. La responsabilité de l’État du pavillon est une condition sine qua non de la lutte contre la complaisance. Les règles du droit international existent, il faudra le courage politique de les faire valoir devant les juridictions internationales compétentes (et elles existent!). À défaut, la loi applicable sera celle du plus meurtri, du plus diligent ou du plus fort. Le droit maritime a été le premier droit écrit international. Renoncer à la responsabilité de l’État du pavillon c’est faire tomber en désuétude tout le système sur lequel repose le consensus international. À l’ère de la globalisation, un tel scénario est impensable. »
JMM: Les métiers de la marine marchande attirent peu les jeunes. Des études récentes démontrent le manque de navigants dans le monde, environ 40 000 personnes. Pouvez-vous chiffrer le manque des officiers en France et pour les navires sous son pavillon? Pourquoi ce manque n’est-il pas chiffré alors que la loi de 2004 oblige les partenaires sociaux à se concerter pour établir ces données?
A.-S.A.: « La pénurie de marins est mondiale et la pénurie d’officiers qualifiés d’autant plus sensible qu’il faut cinq ans pour “fabriquer” un officier, quinze pour former un capitaine. Les récentes tempêtes qui ont ravagé des digues et fait échouer un navire aux Sables d’Olonne montrent que la mer n’est pas un “long fleuve tranquille”, les marins sont des professionnels, ils maîtrisent des bâtiments quelques fois colossaux sur des mers parfois déchaînées. Lorsqu’un pilote d’avion pose son appareil “en crabe” par grand vent sur une piste enneigée, toutes les télévisions du monde en font un héros. On oublie trop souvent le talent et l’expérience que mobilisent quotidiennement nos officiers et leurs équipages pour “arriver à bon port”. Cette image méconnue contribue à la faible attractivité de nos métiers et s’ajoute au manque d’information diffusé par nos Écoles sur les cursus, les carrières, les débouchés, les salaires. Travailler en lien avec l’administration à la modernisation de nos écoles de marine marchande, mais aussi à la communication sur la réalité de nos métiers est un enjeu majeur pour les armateurs français.
Les “chiffres bruts”, même s’ils existent, ne sont pas pertinents: le marin navigue par essence dans un environnement international. Le raisonnement franco-français trouve un peu ses limites. Néanmoins, un travail de chiffrage fin doit permettre d’établir une cartographie des équipages, par nationalités, par navires, par pavillons, par armateurs: c’est la raison pour laquelle nous mettons en place dès 2008 un Observatoire des métiers.
JMM: Peu de femmes dans le monde accèdent à la profession. En 2003, l’OIT levait le voile sur cette faible participation et pointait du doigt certaines pratiques de harcèlement à l’égard des femmes employées sur les navires. Quelles actions devraient être menées pour favoriser l’emploi des femmes dans les métiers de navigants?
A.-S.A.: « On ne doit rien interdire aux femmes du fait qu’elles sont des femmes. On ne doit rien leur permettre du simple fait qu’elles sont des femmes! Il y a à bord des besoins de chaque minute pour des marins compétents, motivés, passionnés, responsables, prêts à travailler en équipe avec des équipages multiculturels. En pareil contexte, que ces “hommes” soient des hommes ou des femmes, n’est pas un critère. Nous avons d’ailleurs constaté, lors du Salon de l’Étudiant que la plupart des candidats à la vocation étaient des candidates… »
JMM: La réforme des ports autonomes est en marche, même si elle subit des sursauts. Comment abordez-vous ce chantier et sur quels points?
A.-S.A.: « Les armateurs sont les témoins de la croissance exceptionnelle du transport maritime et du développement rapide des ports internationaux. Parce qu’ils sont attachés à l’essor de leur pays, les armateurs français sont tout naturellement soucieux de voir se dégripper la courroie de transmission que constituent les ports français entre la croissance drastique du transport maritime et celle de notre pays. Nous transportons le “quotidien des Français” nous aimerions également transporter les points de croissance. »
JMM: Quels sont les principaux chantiers que vous souhaitez mettre en marche cette année?
A.-S.A.: « Trois chantiers nous semblent essentiels, nous venons d’évoquer deux d’entre eux, la relance des ports et le développement de l’emploi maritime. Le troisième enjeu essentiel des années à venir est indéniablement l’environnement. Il ne suffit plus d’être le transport le plus respectueux de l’environnement et le plus sûr à la tonne transportée. D’une part, il faut le faire savoir avec force arguments et exemples de bonnes pratiques, d’autre part nous devons nous associer aux efforts collectifs de tous les modes pour réduire encore les émissions atmosphériques. Pour tous ces chantiers, nous avons mis en place chez Armateurs de France, à l’instar des fédérations européennes et internationales, des comités thématiques qui travaillent à l’élaboration de nos positions et réfléchissent ensemble aux propositions que nous pouvons soutenir pour faire avancer ces grands défis.