Douvres, qui a fêté son 400e anniversaire en 2006, est un « trust port ». Il n’a pas d’actionnaires comme les ports privés, mais doit réaliser des bénéfices, destinés à son développement. Sa proximité avec la France en fait le port le plus fréquenté de Grande-Bretagne avec un mouvement de navire toutes les 10 minutes. À titre indicatif, le 21 février 2008, la tour de contrôle a enregistré dans les deux sens 24 133 passagers, 4 060 voitures, 105 autocars et 8 438 unités de fret. Pendant la période de pointe entre 14 h et 22 h, 350 à 380 camions entrent et sortent du port, soit un toutes les huit secondes! Une interruption des flux provoque des encombrements dans la ville. Lors d’une fermeture du port, en cas de très mauvais temps, il faut 12 heures pour un retour à la normale. Enfin, une grève à Calais transforme l’autoroute d’accès à Douvres en parking à camions.
Quatre opérateurs se partagent le trafic transmanche SeaFrance et P&O Ferries sur Calais, Norfolkline sur Dunkerque et Speedferries sur Boulogne pour des traversées inférieures à 2 heures. Les chauffeurs de camions, qui ont la possibilité de recourir aux trois premiers, choisissent le ferry pour se reposer et prendre l’air durant la traversée. Le confort est en effet un point fort du navire par rapport au tunnel. En 2007, le port a vu passer 2 363 583 camions, (+ 1,7 % en un an), 105 338 autocars (− 0,4 %), 2 837 559 voitures (+ 7,2 %) et 14,28 millions de passagers (+ 3,6 %). « Il y a quinze ans, le port de Douvres employait directement 1 000 personnes, aujourd’hui, elles sont environ 500 et traitent encore plus de trafic grâce à une meilleure productivité », a déclaré Kevin Richardson, directeur général des opérations portuaires, au Journal de la marine marchande le 22 février. Les autres ports britanniques du sud ne constituent guère une concurrence sérieuse pour Douvres, qui reste le principal débouché maritime de Londres. Portsmouth est trop loin vers le sud-ouest, Ramsgate dessert Ostende et Southampton traite les trafics océaniques de conteneurs. En revanche, l’ouverture en 1994 du tunnel sous la Manche a représenté une menace sérieuse. Pour y faire face, le port a décidé se diversifier dans la croisière et les marchandises générales, explique Kevin Richardson: « Sans le tunnel, nous ne l’aurions pas fait. Curieusement, il nous a rendu service! » En outre, le tunnel et le port de Douvres ont fait venir du trafic au sud du pays et tous en profitent. « Nous n’avons pas perdu les camions et, au contraire, le trafic augmente. Il y en a assez pour nous deux », ajoute le directeur des opérations. Selon lui, la capacité du tunnel est limitée et, quand il sera saturé, le trafic se reportera sur Douvres, bien placé pour accroître sa part de marché. De plus, la croisière, qui a démarré avec 5 escales en 1994, devrait en obtenir 145 cette année, faisant de Douvres le 2e port britannique dans ce secteur pour le nombre de passagers, derrière Southampton, mais le premier en termes d’opérateurs. L’armement américain Carnival doit même y venir pour la première fois. Quant aux marchandises générales, Douvres a opté pour les fruits, essentiellement des bananes, et a investi 2 M£ (2,62 M€) dans des installations frigorifiques. En 2006, le terminal fruitier a réalisé un trafic de 230 000 palettes au cours de 158 escales. Avec quatre navires par semaine, il est le quatrième port du pays pour ce trafic derrière Portsmouth, Southampton et Sheerness.
Le port sera saturé vers 2014-2015, en raison de la croissance des trafics, surtout du fret. Le « master plan » de développement sur 30 ans prévoit notamment le doublement de sa capacité dans les dix prochaines années. Or, le terminal de l’Eastern Dock ne peut être agrandi davantage. Il faudra donc développer celui du Western Dock par la construction de quatre postes à quai et le doublement de la surface disponible pour les ferries, même si la poldérisation coûte dix fois plus cher que le terrain existant. L’Autorité portuaire évalue les travaux nécessaires à 450 M£ (589,43 M€), obtenus sur fonds propres et auprès d’investisseurs privés, sans demander l’aide de l’État. Ces travaux, les plus importants depuis une vingtaine d’années, auront un impact sur les conditions physiques du port (marées, vagues et courants), les chenaux d’accès (manœuvres des navires actuels et futurs) et probablement sur l’envasement. Le projet a donc été modélisé sur ordinateur pour déterminer l’impact des vagues sur les futurs quais et aussi sur les installations de l’Eastern Dock. « Si tout se passe bien, indique Kevin Richardson, les travaux commenceront en 2010 pour une ouverture du nouveau terminal ferry en 2014 ». Ce « master plan » est élaboré simultanément avec celui du port de Calais, qui arrivera lui aussi à saturation vers 2015. Le trafic entre les deux ports a plus que doublé en dix ans pour approcher 2 millions d’unités de fret en 2007 et 4 millions vers 2030.
Les ports de Douvres et Calais doivent appliquer des mesures de sûreté très strictes, quoique moindres que pour le tunnel où chaque camion passe au scanner. Le code ISPS leur impose des inspections aléatoires sur un certain pourcentage de véhicules. Les passagers clandestins continuent de franchir la Manche, mais sont moins nombreux qu’avant en raison des vérifications effectuées en France et de l’amende de 2 000 £ (2 620 €) par personne infligée au chauffeur. « On en trouve chaque semaine dans des camions, précise Kevin Richardson, certains s’attachent sous les véhicules! » Aujourd’hui, il y a moins d’Afghans, mais plus de Russes, d’Algériens, de Marocains, d’Arméniens et d’Azéris. La lutte contre l’immigration clandestine rencontre un certain succès. « Nous ne voulons pas d’accident similaire à celui survenu il y a quelques années, quand une vingtaine de Chinois avaient été découverts asphyxiés dans un conteneur et seulement deux avaient survécu », conclut Kevin Richardson.
Le retour en grâce des ferries sur le transmanche
Les trafics de passagers en 2007 soulignent la préférence retrouvée du ferry à l’avion bon marché. L’Association britannique du transport maritime de passagers (PSA), qui regroupe 17 opérateurs dont SeaFrance, Brittany Ferries et LD Ferries, estime en effet à 4,3 millions en 2007 le nombre de voyages en voiture entre la Grande-Bretagne et le Continent, soit une hausse annuelle de 3,7 %. Ce type de trafic a atteint 1,3 million (+ 7,4 %) sur la mer d’Irlande et 2,07 millions (+ 2 %) à l’intérieur du Royaume-Uni. Quant aux routes elles-mêmes, le trafic Douvres/Calais a progressé de 7,2 % à 2,83 millions de voitures et celui d’Eurotunnel de 6,2 % à 2,1 millions. Le trafic de la Manche Ouest a augmenté de 1,9 % à 1,03 million. Par contre, celui de la mer du Nord a diminué de 11,9 % à 424 000 voitures, à cause notamment de l’abandon de la route Harwich/Hoek van Holland par Stena HSS. « Il ne fait aucun doute que le renforcement de la sûreté et la limitation des bagages dans les aéroports ont eu pour effet de faire redécouvrir les ferries aux passagers, a déclaré William Gibbons, directeur de PSA au Journal de la marine marchande, selon notre étude de marché c’est dû en particulier aux restrictions sur le transport de liquides de et vers la Grande-Bretagne, aux tarifs d’excédents de bagages pratiqués par les compagnies aériennes et à l’engorgement croissant des voyages en avion en général. »
Depuis 2003, PSA poursuit une campagne promotionnelle des ferries intitulée « Sail and Drive » (partez par la mer et conduisez) face à la concurrence de l’aérien. Le trafic de et vers la Grande-Bretagne a été particulièrement touché par la suppression des ventes hors taxes au sein de l’Union européenne en 1999, rappelle le directeur de PSA. En outre, les compagnies aériennes à bas coût, comme EasyJet et Ryanair, sont arrivées. Mais les chiffres de l’an dernier montrent que cette tendance est réversible, estime William Gibbons qui ajoute « que les gens reviennent pour la simple raison que, si vous emportez une quantité raisonnable de bagages, c’est le seul moyen de voyager ».
Enfin, PSA a entrepris une étude sur l’impact du voyage par ferry sur l’environnement. Les résultats préliminaires suggèrent, que « par passager, il est deux fois et demi plus écologique de voyager sur un ferry que sur un avion court courrier ».